La ringarditude, c’est aussi tendance pour nos intérieurs

Défilé Gucci, été 2016 : la ringardise, signe de branchitude. © getty images
Mathieu Nguyen

En déco comme en mode, les tendances vont et viennent. On brûle ce que l’on a jadis chéri, et vice versa. Mais à quoi peut tenir la réhabilitation de goûts tabous ? Focus sur quelques cas d’école, tels que le fauteuil relax. Du genre que l’on adore détester.

On dit souvent que mode et design sont liés, et à raison : d’une saison à une autre, tons et tendances se font écho ; les inspirations observées sur les podiums des défilés tapissent ensuite les pages des magazines de déco – les plus prestigieux acteurs de l’industrie textile ont d’ailleurs lancé leur propre ligne Home, il y a des années. Il demeure cependant des différences, des exceptions caractéristiques et notamment le rapport à une certaine ringardise assumée, qui frappe les Fashion Weeks depuis quelques années, portée par les très commentées collections de Gucci. Le postulat graphique est à la fois kitsch et vintage, fait de motifs fleuris surannés, lunettes à grosses montures, noeuds en pagaille et cols en dentelle, dans une palette de couleurs plutôt osée. Plus c’est ringard, plus c’est tendance. Tant d’audace décalée et de second degré ne manquent pas de diviser les foules, et quand certains se déclarent conquis par le  » granny chic « , d’autres ne comprennent pas cette  » mémérisation « .

Côté déco, ce n’est que rarement que l’on peut observer un total look rétro, ascendant bobonne.

Côté déco, si l’on observe quelques analogies, qui nous reviennent par petites touches, ce n’est que rarement que l’on peut observer un total look rétro ascendant bobonne – les tendances se suivent et, souvent, se ressemblent, sans grande rupture ni surprise. Pourquoi le secteur reste-t-il si sage alors que Gucci s’éclate à revisiter le dressing de mamy ? Plusieurs éléments de réponse émergent. Déjà, ce granny chic bénéficie de la force de persuasion d’une maison mondialement connue comme Gucci, et de celle de son directeur artistique, le fantasque Alessandro Michele. De plus, notre intérieur relève de notre intimité, là où un vêtement peut se permettre de ne refléter que notre humeur du moment – et, il s’avère nettement plus facile de changer sa tenue que toute sa déco.

Les Gambettes Fashion formica

Les Gambettes
Les Gambettes© sdp

En lançant Les Gambettes, Céline Tahar et Doriane Sablon se sont mis en tête de remettre au goût du jour une matière que l’on avait un peu oubliée : le Formica. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, cette mélamine thermorésistante est dotée d’un grand pouvoir d’évocation, réveillant d’innombrables souvenirs de réfectoires d’école, de cantines ou de tables de cuisine. Avec ce tandem, on surfe clairement sur cette nostalgie, tout en la parant d’atours contemporains, pour  » faire des meubles de vrais accessoires de mode « , destinés aux petits comme aux grands.

www.lesgambettes.fr

Stigmatisation

Avant d’examiner d’autres éléments de déco qui sont déjà réhabilités, ou en passe de l’être, penchons-nous sur un cas qui s’attire invariablement les inimitiés du milieu tout entier : le fauteuil relax. Des dizaines d’années après l’arrivée des premiers modèles sur le marché, ce type d’assise reste considéré comme l’un des pires tue-l’amour par les amateurs d’aménagement d’intérieur, et ce malgré d’incomparables propriétés au niveau de l’ergonomie. Selon Frederik Delbart, qui fut amené à plancher sur de tels modèles en tant que directeur créatif de la marque Recor Home (lire par ailleurs), ce tabou est  » une sorte de réflexe, hérité d’une période où il fallait choisir, parce qu’un fauteuil était soit beau, soit confortable « , résume-t-il. Et l’on admettra sans peine qu’évoquer le concept de fauteuil relax revient souvent à s’imaginer un mobilier moche et massif, truffé de mécanismes disgracieux et spécifiquement taillé pour le troisième âge, segment prêt à sacrifier l’esthétique pour la fonctionnalité.  » Pour le grand public, c’est gros, c’est lourd, bref, c’est stigmatisant – même s’il y a toujours une clientèle et des tas de gens qui aiment ça. Or, de nos jours, on a le savoir-faire pour parvenir à la synthèse des deux, confort et beauté, avance Frederik Delbart. On est tous d’accord : si on te bande les yeux et qu’on t’installe dans un relax, tu vas juste penser  » Waouh, je suis vraiment bien « . J’ai déjà fait le test, et tant que j’étais assis, je me disais  » J’achète « . Puis, en le voyant, je suis tout de suite moins catégorique. Pourtant, un fauteuil devrait toujours remplir ses deux fonctions, statique et dynamique. Quand tu es dedans, tu dois être parfaitement bien, et quand tu le regardes, il doit te faire de l’oeil. Donc, quand j’ai briefé les designers au sujet de ce nouveau projet, je leur ai dit :  » Faites-en un que j’aurais envie d’avoir ; si j’avais quelques milliers d’euros à dépenser. Débrouillez-vous pour que je choisisse celui-là et pas le Eames « , relate-t-il en citant le populaire Lounge Chair de chez Vitra.

Le défi était lancé.  » Il fallait déjà régler un premier problème : habituellement, le relax n’est pas assorti au salon ; c’est un design différent, qui détonne dans un intérieur. La première chose était d’uniformiser tout ça et de l’intégrer aux collections. Et si l’on veut encore aller au-delà, tout est personnalisable, au niveau des matériaux, tissus, cuirs, couleurs.  »

Design et Nature Revival animal

Design et Nature
Design et Nature© sdp

Ouverte en février dernier, la boutique Design et Nature est l’antenne bruxelloise d’une célèbre enseigne parisienne. Ici, on vit en direct le revival qu’a récemment connu la taxidermie.  » C’est revenu en force et ça ne se calme pas du tout « , confirme le gérant, Thomas Seydoux. Pourquoi ce retour en grâce alors que l’on croyait les animaux empaillés réservés aux cheminées de grand-mère ou aux pavillons de forêt ?  » Parce qu’on ne fait rien de mieux au niveau décoration. Il n’y a rien de mémère dans un zèbre, rien qui évoque le trophée de chasse dans une poule. Autrefois, c’était réservé à la science ou à la chasse, mais grâce à des boutiques comme nous, il y a eu une émulation. Et maintenant, avec tout ce travail d’esthétique, on touche un autre public, et un perroquet dans un intérieur, c’est génial.  » S’il reste des gens que cela effraie ou met mal à l’aise,  » 90 % du public sort de la boutique émerveillé  » ; les réactions agressives, invectives, crachats ou stickers sur la vitrine sont le fait d’une infime minorité, observe le passionné.  » La nature fascine, les gens veulent s’en rapprocher « , peut-être parfois pour se rappeler qu’elle est si riche, à la manière des cabinets de curiosités.  » Ce qui marche particulièrement, poursuit-il, ce sont les oiseaux et les papillons. Les mammifères, c’est parfois plus compliqué au niveau affectif, mais c’est plus cher aussi.  » Quant à savoir ce que l’on doit attendre pour les prochaines années, le mystère reste entier.  » Il y a quelque temps, c’était très  » Afrique  » : artisanat ethnique, antilopes et kudus. Là, je me demande quelle tendance va débarquer. J’espère un truc un peu baroque « , conclut Thomas Seydoux.

www.designetnature.fr

Oublier Papy

Cette personnalisation jusque dans les surpiqûres n’étonne plus personne à l’ère de la customisation et du sur-mesure. Mais alors que chaises de bureau ou sièges auto sont désormais réglables au millimètre près pour offrir une expérience la plus douillette possible, pourquoi cette noble ambition reste-t-elle absente des salons ? Pourquoi continue-t-on à imposer le même canapé à toute la famille sans faire cas des envies ou morphologies, alors que l’on s’apprête à y passer des milliers d’heures à discuter, se reposer, lire ou regarder la TV ? On trouverait presque étonnant que cette quête du confort absolu ne soit pas devenue une tendance lourde auprès des éditeurs prestigieux, qui se contentent généralement de proposer quelques fonctionnalités au niveau des appuie-tête ou des accoudoirs. Un comble, alors même que certains labels italiens collaborent avec des fabricants de supercars, comme Zanotta avec Maserati ou Poltrona Frau avec Ferrari.

Meisterwerke Moyen Âge et tatouages

Meisterwerke
Meisterwerke© sdp

Autres pratiques autrefois tombées en désuétude qui opèrent un retour remarqué ces dernières années : les techniques de tapisserie, tissage, broderie et même macramé se réinvitent dans les salons. Chez Meisterwerke, on ambitionne rien de moins que de  » révolutionner les codes de la tapisserie « , notamment en y injectant une dose d’humour anachronique et décalé. La preuve avec The Historians d’Isabelle Torrelle qui fusionne Moyen Age et tatouages de hipsters.

www.meisterwerke.be

Grand fan de design automobile, Frederik Delbart ne manque pas de rebondir sur notre comparaison avec les habitacles de voitures :  » C’est exactement ça ! J’ai visité l’usine Lamborghini, je me suis installé dans une Murcielago, tout y est électrique. J’ai examiné l’intérieur du fauteuil, et j’ai bien vu qu’il était très proche de celui d’un relax, c’est la même structure, les mêmes moteurs. Alors on a poussé notre boulot plus loin, on a questionné chaque pièce, pour essayer d’en réduire les dimensions et tout affiner, la base, le dossier, etc.  » Tout est mis en oeuvre pour se débarrasser de l’encombrante image de  » chaise à papy « , avec sa grosse manette à boule qui met l’engin en branle dans un concert de ressorts. Afin d’éviter les réactions épidermiques, de nombreux efforts ont donc été produits pour dissimuler toute trace de mécanique apparente.  » Maintenant, on a réussi à tout cacher, on a redessiné les petits boîtiers à boutons, ainsi que leurs pictogrammes. Au départ, j’avais demandé  » pas de boîtier  » ; je voulais un système complètement intégré au fauteuil, qui se déclenche par geste ou par infrarouges. Mais on a réalisé qu’il nous en fallait tout de même.  » Intuitif, le recours aux boutons permet de trouver sa position idéale en quelques manipulations. Recor dispose aussi de fauteuils connectés et contrôlés via une interface sur smartphone.  » La technologie ne cesse d’évoluer, observe Frederik Delbart. D’ici quelques années, on verra encore plus de fauteuils ou l’on pourra travailler ou même dormir, grâce à une ergonomie soigneusement étudiée – avec notamment la position des pieds plus hauts que le coeur, pour une circulation parfaite et le moins de fatigue possible. Sans compter qu’un nombre énorme de gens ont des problèmes de dos, et ce de plus en plus jeunes – en fait n’importe qui souffre après une journée assis à son bureau.  »

On trouverait presque étonnant que cette quête du confort absolu ne soit pas devenue une tendance lourde auprès des éditeurs prestigieux.

A parler de bien-être au quotidien, on repense au monde de la mode, avec ces fashionistas qui enfilèrent des baskets pour le style, et ne peuvent désormais plus se passer de ces moelleux accessoires. Notre Designer de l’année ose même une dernière analogie :  » Quand ils ont lancé les vélos électriques, même mon grand-père n’en voulait pas, il disait que c’était  » un truc de vieux « . C’est lourd, c’est moche, c’est juste bon pour les mamys. Maintenant, plus personne ne penserait à dire ça. Oui, c’est un confort, mais tout le monde a droit au confort.  » On en reparle d’ici quelques années.

Jori Quand la NASA inspire l’objet

Jori
Jori© sdp

On dit que les Français furent les premiers à concevoir des fauteuils relax, ou au moins des sièges dont le dossier s’incline tandis que le repose-pied s’élève, et que le premier modèle au point aurait été la propriété de Napoléon iii. Pour autant, les Belges ne sont pas en reste, notamment grâce à certains fabricants historiques. Chez Jori, les relax, on connaît. Et pour cause, cela fait un demi-siècle que ce produit est l’un des best-sellers de la marque, quelque 200 000 modèles sont déjà sortis des ateliers du fabricant belge. C’est dans les années 60 que le fondateur, Juan Jorion et le designer Paul Verhaert ont commencé à brainstormer sur le concept de ce siège, jusqu’alors considéré comme un  » instrument « , pour tenter d’introduire sur le marché une version ergonomique et harmonieuse. C’est ainsi que le duo s’appliqua à trouver une géométrie manuelle la plus discrète possible, et aboutit à un fauteuil pivotant à 360 °, muni d’une assise inclinable pour amener le corps à une phase de relaxation au  » tonus musculaire 0  » – soit une position de détente totale, grâce à une répartition optimale de la pression. La source d’inspiration de l’ingénieux concepteur ? Rien de moins que la NASA, et les techniques de sciences spatiales utilisées dans les cockpits des astronautes. Un demi-siècle plus tard, son mécanisme breveté fait encore les beaux jours du label, puisqu’il reste présent sur les modèles Yoga, Symphony, Brainbuilder et Mensana. Pour célébrer ce 50e anniversaire, la marque a sorti une élégante déclinaison all black du Brainbuilder et du Square, subtiles variantes aux pieds noirs mats et accoudoirs sculptés.

www.jori.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content