RÔLES MODÈLES

Quand Catherine Deneuve, dans Belle de jour, inspire Valentino, pour l'hiver 13-14. © ISOPIX / GETTY IMAGES

Depuis l’âge d’or des studios hollywoodiens, les liens entre mode et cinéma n’ont cessé de se resserrer. Ou quand les personnages et les chefs-d’oeuvre du septième art inspirent les créateurs. Analyse.

La saison des awards est à peine terminée que le Festival de Cannes pointe déjà à l’horizon son lot de tapis rouges. Une aubaine pour les maisons de couture, qui n’hésitent d’ailleurs pas à investir les plus belles suites des palaces de la Croisette, transformée pour douze jours en eldorado de la visibilité médiatique. Si la course est lancée pour habiller les membres du jury et les stars invitées à monter les célèbres marches, l’intérêt de la mode pour le cinéma se traduit aussi dans les collections nourries de références aux grands rôles du septième art. Dès les années 30, déjà, en pleine période de gloire des studios, Elsa Schiaparelli avait eu le nez creux en affirmant que ce que Hollywood montrait à l’écran un jour serait porté dans la rue le lendemain. Jamais démentie, cette chronologie stylistique n’a d’ailleurs cessé de se resserrer jusqu’à voir atterrir en boutique des vêtements inspirés de films tout juste sortis en salle.

 » Dans le cas des collections dédiées à La belle et la bête que l’on vient de voir apparaître ces dernières semaines (lire par ailleurs), il s’agit moins d’une inspiration artistique que d’une opération rondement menée par les services marketing de Disney « , note Amber Butchart, auteure d’un ouvrage sur les liens étroits entre mode et cinéma (1). Loin d’être totalement désintéressée, la relation entre la production du film et les marques sous licence s’apparente davantage aux pratiques commerciales de l’âge d’or de Hollywood, où les grands studios orchestraient le lancement de lignes de vêtements presque identiques à ceux portés par leurs stars dans les blockbusters d’alors.  » Le lien si particulier qui unit, quasi depuis toujours, la mode et le cinéma est devenu possible grâce à la démocratisation d’un prêt-à-porter accessible au plus grand nombre, poursuit l’historienne de la mode. En ce sens, les films et les actrices ont servi de catalyseurs. Les gens qui allaient les voir avaient tout à coup les moyens d’acheter les vêtements qu’on voyait à l’écran. Les femmes se sont tournées vers les comédiennes célèbres pour des conseils mode alors qu’avant, elles prenaient plutôt exemple sur l’aristocratie.  »

CRÉATEURS COSTUMIERS

Des looks aperçus à l’écran percolent ainsi spontanément dans la rue, comme le rappelle Joëlle Moulin, docteur en arts et sciences du cinéma.  » La manière dont Vivien Leigh était coiffée dans Autant en emporte le vent a relancé la mode des résilles pour cheveux dans les années 30, pointe celle qui est aussi l’auteure d’un ouvrage sur les liens ténus unissant ces deux formes d’art (2).  » Très vite, les créateurs de mode, européens surtout, verront dans le cinéma une manière de faire connaître leur travail au grand public, ajoute-t-elle. Audrey Hepburn deviendra la muse d’Hubert de Givenchy, qui l’habillera dans la plupart de ses films ; Catherine Deneuve, celle d’Yves Saint Laurent, qui imaginera les costumes de Belle de jour pour elle et participera ainsi à la construction de son image, en s’y projetant aussi lui-même. Parlant de l’héroïne du film de Buñuel, ne disait-il pas d’ailleurs  » Séverine, c’est moi  » ?  » La garde-robe bourgeoise et pourtant faussement sage pensée par Saint Laurent pour Deneuve continue encore de servir de référent à plusieurs créateurs plus de quarante ans après la sortie du long-métrage.  » Alexander McQueen n’a cessé de répéter qu’il s’agissait là de ses costumes de films favoris lorsqu’il était étudiant au Central Saint Martins de Londres, souligne Amber Butchart. Miuccia Prada n’a jamais caché non plus l’influence qu’a eue cette pépite sur l’ensemble de son travail. Elle avait 18 ans lorsqu’il est sorti. La dualité entre sexitude et joliesse qui sous-tend tout le scénario est aussi un thème récurrent chez elle.  »

S’il arrive encore régulièrement que certains grands noms de la mode passent à leur tour de l’autre côté du décor pour participer à la création de costumes pour le cinéma – épinglons notamment Miuccia Prada, encore, pour Gatsby le magnifique de Baz Luhrmann, Jean Paul Gaultier pour Le cinquième élément de Luc Besson, ou Raf Simons, alors directeur artistique chez Dior, pour A Bigger Splash de Luca Guadagnino -, l’exercice reste périlleux et toujours supervisé par un chef costumier au sein de l’équipe de production, qui parfois n’hésite pas à faire directement son  » shopping  » sur les catwalks. Sur le deuxième opus de la franchise The Hunger Games, Trish Summerville a ainsi pris le parti d’utiliser des silhouettes cultes d’Alexander McQueen pour habiller l’extravagante Effie Trinket. A l’inverse, c’est à un grand nom du sportswear, Lucas Hugh, qu’elle demandera de dessiner les tenues d’entraînement des malheureux participants à ces jeux mortels. Le Britannique a ensuite développé ses propres croquis pour construire sa collection automne-hiver 13-14 autour d’un thème plutôt guerrier. La société de production Lionsgate, bien décidée à ne pas en rester là, a ensuite lancé une ligne Capitol Couture imaginée par Trish Summerville et commercialisée, lors de la sortie de L’embrasement, sur le très sélectif site de vente en ligne Net-a-porter.

LA PREMIÈRE FASHIONISTA

 » Chaque film développe une esthétique propre, met en place un univers, une nouvelle réalité même, détaille Amber Butchart. Et si vous avez une sensibilité artistique aiguisée comme la plupart des créateurs, cela ne peut qu’influencer votre travail, en fonction bien sûr de vos centres d’intérêt. Quelqu’un comme Nicolas Ghesquière (NDLR : directeur artistique de Louis Vuitton) est porté sur la science-fiction alors que Christian Dior revendiquait son amour pour les scénarios romantiques historiques.  » Marie-Antoinette, que l’on peut considérer, selon la thèse développée en 2006 par la réalisatrice Sofia Coppola, comme la première fashionista, le fascinait comme elle subjuguera par la suite d’autres stylistes de la maison Dior… eux-mêmes influencés par les représentations cinématographiques données d’elle. Un cercle vertueux, en somme, où il est difficile de déterminer qui a vraiment la main.

 » On pourrait croire – à tort – que ce sont surtout les superproductions historiques qui tiennent la corde quand il s’agit de titiller l’imagination des créateurs, remarque Amber Butchart. Ce serait oublier que Belle de jour, au moment de sa sortie, était un film de son temps, mettant en scène l’esthétique et la mode de son époque. Même chose pour Annie Hall de Woody Allen, qui peut nous paraître vintage aujourd’hui. Il est difficile de spéculer sur les réalisations actuelles qui passeront un jour pour intemporelles. C’est tout le paradoxe qui unit ces arts majeurs : un film capture un moment donné dans une époque donnée. La mode, elle, est sensée être dans l’ici et maintenant, voire même dans le futur. Et elle ne cesse pourtant de regarder en arrière vers ces longs-métrages qui ont réussi à préserver un instant précis.  » Un exercice qui demande de fréquents arrangements avec la vérité historique dans les films  » à costumes « , parfois visibles et assumés, comme dans le cas du caméo de la paire de Converse au milieu des souliers en satin dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola, ou plus subtilement guidés par des impératifs de tournage qui imposent de moderniser le vestiaire, pour permettre aux comédiens de bouger de la manière la plus naturelle possible aux yeux des spectateurs d’aujourd’hui.

Finalement, on ne peut que s’amuser de voir les liens subtils – et parfois inconscients – qu’il peut y avoir entre la silhouette thirties de Kristen Stewart dans le Café Society de Woody Allen et les looks de Céline aperçus sur les catwalks l’automne dernier, les références à Tron (version 1982 ou 2010) repérées chez Givenchy hiver 99-00, époque McQueen, ou chez Thom Browne été 15 ou les armures féminines dignes de celles des Sept samouraïs du défilé hiver 08-09 de Gareth Pugh.

Et si la robe de bal a longtemps trusté les tapis rouges – et avant cela les défilés de la haute couture – comme une sorte de réminiscence de la figure de Claudia Cardinale dans Le guépard de Visconti, tant de fois revisitée chez Dolce & Gabbana, là aussi les codes sont en train de changer.  » Cette vision de la féminité traditionnelle est même battue en brèche dans les nouvelles mises en scène de contes de fées, conclut Amber Butchart. On voit de plus en plus de femmes arriver en smoking et c’est un parti pris fort vis-à-vis de l’image de princesse fragile que l’on aimerait leur donner dans ce contexte particulier.  » Un bel outil pour les rendre mieux armées afin de se battre, à l’écran comme dans la vraie vie, pour l’égalité.

(1) The Fashion of Film – How Cinema has Inspired Fashion, par Amber Butchart, Octopus Edition.

(2) Cinéma & mode, par Joëlle Moulin, Editions Citadelles & Mazenod.

PAR ISABELLE WILLOT

CERTAINS FILMS CULTES CONTINUENT D’INSPIRER, SAISON APRÈS SAISON, LES CRÉATEURS DE MODE.

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