A Paris, des bâtiments désaffectés reprennent vie et mixent les populations

© Elena Manente (Yes We Camp)

Au coeur de Paris, dans un hôpital désaffecté, artistes, jeunes entrepreneurs et anciens sans-abri côtoient touristes et « hipsters ». Aux manettes: Plateau urbain, une association de jeunes urbanistes qui fait revivre des bâtiments délaissés.

L’idée de mettre en relation propriétaires d’immeubles vacants et occupants fauchés a germé il y a quelques années dans la tête de Simon Laisney, qui débutait comme analyste immobilier dans un grand groupe. « J’ai pu constater qu’il y avait 2,9 millions de m2 de vacants dans ce qu’on appelle les immeubles de seconde main, ceux qui ont déjà été loués une fois. Parmi ces 2,9 millions de m2, il y a 800.000 m2 qui n’ont pas été loués depuis plus de cinq ans. L’idée était de redonner un usage à ces espaces », explique le presque trentenaire.

Le premier projet, en 2013, a permis à une artiste d’investir une boutique vacante du quartier du Marais, dans le centre de Paris, moyennant 150 euros par mois. Depuis, une dizaine de réalisations ont vu le jour, dont la plus impressionnante, les « Grands Voisins », fait cohabiter plus d’un millier de personnes sur le site de l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul (3,2 hectares dans le XIVe arrondissement, dans le sud de Paris): travailleurs étrangers, jeunes migrants isolés, anciens sans-abri y vivent; entrepreneurs, créateurs, responsables associatifs y travaillent.

A Paris, des bâtiments désaffectés reprennent vie et mixent les populations
© DR

« On a aussi des personnes du quartier, des voisins qui viennent le midi prendre un café, des touristes, des « hipsters » qui viennent (…) en « fixie » (vélo urbain) parce qu’ils trouvent ça cool ici », raconte Simon Laisney. « C’est une espèce de grand laboratoire de l’insertion ».

Dans l’ancien service gynécologique, Margot, 26 ans, un masque devant les yeux, fait jaillir des étincelles en soudant. Cette jeune artiste plasticienne travaille là depuis un an avec une équipe d’illustrateurs, de graphistes et d’artistes. Avant, tous n’avaient pas d’ateliers. « Du coup, c’était du système D. Là, ça permet d’avoir un lieu stable ». Pour 17 euros le m2 par mois. Un prix « très raisonnable », considère la jeune femme.

Les
Les « Grands Voisins »© Elena Manente (Yes We Camp)

Pragmatisme urbain

Dans les espaces gérés par Plateau urbain, les occupants ne s’acquittent pas d’un loyer mais d’une redevance destinée à couvrir les charges. Un accord « gagnant-gagnant » qui a séduit Laurent Vuidel, président du bailleur social Lerichemont. En avril, il a laissé à un collectif d’artistes les clés d’un bâtiment vacant de 530 m2 dans le XIIIe arrondissement de Paris, dans le sud de la capitale française. « On n’a pas de recettes mais on a pu éliminer les charges de gardiennage qu’on avait auparavant, et puis les occupants participent aux charges générales de l’immeuble, au chauffage, à l’électricité, etc », explique-t-il.

Artistes et artisans aux Grands Voisins - Adrien Collet, luthier
Artistes et artisans aux Grands Voisins – Adrien Collet, luthier© Elena Manente (Yes We Camp)

L’autre option aurait été de laisser ces locaux inoccupés, au risque de les voir se dégrader ou être squattés. Ou de les faire surveiller, mais cela coûte cher: « entre 10.000 et 15.000 euros par mois pour avoir une présence permanente sur le site », calcule M. Vuidel.

Lerichemont, qui avait déjà expérimenté des colocations étudiantes dans des immeubles voués à être démolis, a donc tenté le coup.

Et l’ancien bâtiment universitaire est devenu l' »Open bach », où s’épanouissent peintres, dessinateurs, sculpteurs, céramiste et paysagistes, entre autres. « Pour nous, c’est un coup de pouce à la création », s’enthousiasme Nicolas Bouchet, du collectif Labolic, qui gère les lieux.

Enthousiaste aussi, mais prudent, le président de Lerichemont estime que « c’est un modèle qui doit encore faire la preuve que le jour où on voudra récupérer le bâtiment, on arrivera effectivement à pouvoir le récupérer ». Lui a fait ce pari.

Côté Plateau urbain, l’association, qui a maintenant quinze membres et deux salariés, rêve de semer son « pragmatisme urbain » partout à Paris et dans la région parisienne. Simon Laisney voudrait « rendre systématique » cette démarche, comme cela se fait de plus en plus aux Pays-Bas ou à Berlin. « Que dès qu’un élu, un propriétaire a un bien vide il se dise « je vais passer par l’occupation temporaire » ».

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