La nouvelle vie surprenante des vieilles prisons

© Belga

Les voix résonnent en un ample écho sous le dôme majestueux et lumineux de la prison de Breda, dans le sud des Pays-Bas. Elles brisent le silence dans ce bâtiment vieux de 130 ans, vide de tout détenu comme des dizaines d’autres établissements pénitentiaires du pays, et désormais réaffecté à un tout autre usage.

Centre de détention depuis sa construction en 1886, la prison de Breda a récemment perdu sa fonction principale, en raison d’une criminalité en chute libre depuis plus de dix ans aux Pays-Bas grâce à la prévention et à la politique de réintégration.

Sous la coupole, depuis le centre de la cour principale, il est possible d’observer tout ce qu’il se passe aux alentours. C’est le principe du panoptique tel qu’imaginé au XVIIIe siècle par le philosophe anglais Jeremy Bentham et popularisé au XXe siècle par son confrère français Michel Foucault dans sa réflexion sur la question du contrôle dans une société disciplinaire.

Une telle architecture offre une vision à 360 degrés: des escaliers métalliques en colimaçon à la cantine sous le sol de verre, et des terrains de sport tracés sur le béton aux cellules qui ponctuent les murs hauts de quatre étages…

Leurs portes couleur rouille sont grandes ouvertes et les nouveaux occupants des lieux ont la clé qui leur permet d’entrer et de sortir à leur guise: 90 entrepreneurs travaillent dans les ailes de ce monument historique protégé.

Parmi eux, Miguel de Waard, co-fondateur de la start-up d’images 3D Red Panda VR. Lui et ses collègues ont branché écrans et ordinateurs dans une pièce épurée de l’ancien tribunal situé dans l’enceinte de la prison.

« Nous sommes instantanément tombés amoureux de ce bureau: le haut plafond, les grandes fenêtres… », explique le jeune entrepreneur. « Et puis c’est en plein centre-ville ».

Mais s’ils ne voient plus les barreaux qui traversent toujours les fenêtres, l’atmosphère des lieux continue de les impressionner. « Chaque fois que nous entrons dans le dôme ou la prison pour femmes, c’est plutôt sombre, il y a beaucoup d’histoire, ça se sent », remarque Miguel.

Le tribunal, lui, s’est métamorphosé en salle de réunion, où une table haute en plastique où l’on peut manger debout trône désormais à la place du siège du juge, entourée de tables de cantine.

Du collège au resto étoilé

Si 38 prisons abritent encore des détenus aux Pays-Bas, 27 établissements pénitentiaires et judiciaires jugées excédentaires ont été fermées depuis 2014, selon les ministères de l’Intérieur et de la Justice.

Six d’entre eux ont été vendus pour un revenu total de 20,7 millions d’euros. D’autres ont été loués, le plus souvent pour l’accueil de demandeurs d’asile, rapportant jusqu’à présent 18 millions d’euros.

Car après une forte hausse de la criminalité et la saturation des prisons en Europe dans les années 1990, la tendance néerlandaise est à la baisse. « Les juges condamnent différemment, pas plus légèrement mais bien autrement, avec des peines de travail, des bracelets électroniques et des cliniques » spécialisées, rapporte Anneloes van Boxtel, directrice de projet immobilier auprès du ministère de l’Intérieur. Résultat: les crimes et délits ont dégringolé de 26% de 2007 à 2015, d’après l’Office central des Statistiques (CBS).

En dix ans, le nombre de personnes envoyées en prison chaque année a chuté de 25%, de 50.650 en 2005 à 37.790 en 2015. Et le taux d’incarcération s’affichait à 57 détenus pour 100.000 habitants, contre 458 aux Etats-Unis.

C’est ainsi que la maison d’arrêt de Veenhuizen (nord) est louée, gardiens compris, à la Norvège pour ses propres hors-la-loi et qu’un restaurant étoilé a pris ses quartiers dans la prison pour femmes de Zwolle (nord-est).

A vendre pour 60 millions d’euros, prix de départ: l’Etat cherche à céder l’établissement pénitentiaire d’Amsterdam Overamstel, qu’il souhaite voir transformé en un véritable quartier avec des milliers d’habitations.

Et la prison-coupole d’Haarlem, rachetée par la municipalité pour 6,4 millions d’euros, doit devenir un collège universitaire d’ici la rentrée 2019. « Du sur-mesure », précise Mme Van Boxtel, avec une « valeur ajoutée pour la ville ».

Rouvrir la prison

A Breda, les 33.302 mètres carrés de la prison ont été confiés fin 2016 à l’organisme de gestion VPS pour la réalisation de ce projet à « destination sociale ».

« Cela nous a pris un mois avant de pouvoir accueillir les premières entreprises », souligne Mandy Jak, conseillère en communication et marketing. « Nous devions surtout veiller aux clés: quelles portes ouvrir et fermer? les gens peuvent-ils s’enfuir en cas d’urgence? Comment empêcher les intrus d’entrer? »

« Notre plus grand défi était… de rouvrir la prison! », s’exclame-t-elle. Certains soirs, quand vient la nuit, le dôme haut de 37 mètres fait un bond en arrière et les lourdes portes métalliques se ferment à nouveau derrière 350 personnes fraîchement incarcérées… de leur plein gré !

Des participants à un jeu grandeur nature « Prison Escape » (s’évader de la prison) pour adultes, où sont enrôlés 80 acteurs pour l’occasion, se barricadent dans les cellules inoccupées et prennent possession des lieux avec l’objectif d’en sortir à tout prix.

Euphoriques, 60 à 80% de ces prisonniers d’une nuit réussissent à s’échapper via l’une des dix pistes possibles. Après le jeu, l’établissement revient à sa nouvelle vie sans détenu.

D’autres prisons pourraient encore être fermées dans les mois à venir, d’après Mme Van Boxtel. Pour entamer une vie meilleure…

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