Les projets « justes » de Kristiaan Borret, nouveau maître-architecte bruxellois

Pour Kristiaan Borret, "les architectes ont une responsabilité morale qui est d'améliorer la vie en ville". © Serge Brison

Le nouveau maître-architecte bruxellois entame son mandat avec une idée en tête : multiplier les projets contemporains « qui soient justes » dans la capitale. Entre volontés politiques, impératifs des promoteurs et devoir d’insuffler une qualité de vie supérieure, il nous livre son plan de bataille. En parfait équilibriste.

Les projets
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« Le moment est venu pour le passage à l’acte. » C’est en ces termes que Kristiaan Borret, 48 ans, a fait son entrée sur la scène bruxelloise, début 2015. Nommé au poste de maître-architecte pour succéder à Olivier Bastin, premier bouwmeester – un vocable souvent utilisé pour désigner ce job – de la capitale, l’homme n’en est pas à son galop d’essai. Architecte de formation, diplômé d’urbanisme et de philosophie, il a occupé cette même fonction, à Anvers, pendant huit ans, avant de la quitter, quelque temps après l’arrivée de la nouvelle majorité N-VA en 2014. Convaincu de l’importance de son rôle, et amoureux de Bruxelles, où il vit depuis la fin de ses études il y a vingt ans, le natif de Gand poursuit donc le travail entamé dans la métropole flamande, et s’apprête à relever de nouveaux défis puisqu' »aucune autre ville belge ne peut revendiquer cette dialectique si particulière entre des identités locales fortes et une position internationale évidente ». Fin juin, il remettra une note d’orientation au gouvernement et passera à la vitesse supérieure pour que plus jamais on ne parle de son fief comme d’une terre frileuse en matière d’art de bâtir. « Cette réputation est déjà en train de changer, grâce notamment à Olivier Bastin qui a brisé ces préjugés », rassure-t-il. Rencontre sous le signe de l’optimisme.

Comment définiriez-vous votre rôle ?

Il y a plusieurs bouwmeesters en Belgique. Un pour la Région flamande, un pour la ville d’Anvers et un pour celle de Charleroi. Ce qui est amusant, c’est que ce dernier s’appelle de manière officielle « bouwmeester », ça veut dire que c’est devenu un mot français ! Le devoir de cette personne est de veiller à la qualité du bâti, en matière d’architecture, mais également d’urbanisme, d’espace public, etc. L’idée n’est pas de contrôler les dossiers à la manière d’une police, mais d’intervenir au maximum en amont des projets. C’est à ce moment-là que l’on peut convaincre le maître d’ouvrage d’organiser par exemple un concours, dans de bonnes conditions, pour que les concepteurs qui y participent puissent bosser de manière convenable. Notre job, c’est en fait de cultiver l’ambition d’une ville ou d’une Région en matière d’art de bâtir. Dans cette optique, le gouvernement a agrandi le cadre de ma mission qui se cantonnait davantage au secteur public. Mon prédécesseur avait déjà commencé à oeuvrer avec le privé. Aujourd’hui, c’est explicite : mon rôle sera notamment d’améliorer la qualité des grands chantiers de promotion. Je veux montrer que l’on peut là aussi rafraîchir la manière de faire.

Les promoteurs seront-ils obligés de passer par vous ?

Ce sera à moi de les contacter mais certains sont déjà venus me voir. Les mentalités doivent inévitablement changer mais je pense que l’idée va percoler… Durant ces six premiers mois de mandat, je réalise une note d’orientation dans laquelle je donne mes priorités et une sélection de dossiers prioritaires. En parallèle de cette phase d’exploration, je suis en train de forger une sorte de « coalition of the willing », donc de rassembler des gens, qu’ils viennent du public ou du privé, qui partagent cette volonté de faire évoluer le système.

Dans quel sens va votre note ?

On ne peut pas encore tout en dire mais certaines grandes lignes suivent celles de mon prédécesseur. La zone du canal est en haut de l’agenda politique. Il est donc évident que je planche là-dessus en priorité. Je pense qu’on est à un moment charnière dans le développement du territoire car c’est la première fois qu’un axe qui traverse la Région de part en part, d’une frontière linguistique à l’autre, est mis à l’ordre du jour, ce qui rend enfin possible une réflexion à l’échelle de la ville entière.

Que manque-t-il à notre capitale ?

J’ai décidé de miser sur l’optimisme et donc de ne pas trop parler de ce qui ne va pas, mais plutôt des opportunités. Ce qui est fascinant à Bruxelles, et c’est lié à sa taille et sa topographie, c’est que chaque quartier possède son identité. La diversité d’atmosphères est quelque chose d’assez typique qui doit être renforcé.

Comment voyez-vous cette métropole dans dix ou vingt ans ?

On dit souvent qu’il n’y a pas de vision d’avenir ici, ou pas assez. Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il y a un bagage intellectuel énorme chez nos concepteurs… J’espère juste que dans une décennie, il y aura plus de cohérence car ces visions sont peut-être aujourd’hui trop dispersées. On a besoin d’une sorte de récit fédérateur qui relie toutes ces intentions. Par ailleurs, il y a un gap énorme entre ces réflexions et les réalisations concrètes sur le terrain. Ce qui induit une perte de qualité. On est toujours un peu déçu quand un immeuble sort de terre et qu’on le compare aux idées véhiculées lors du concours. Je voudrais faire avancer les choses plus vite. Pour la zone du canal entre autres, il faut stimuler un développement plus intensif. Il y aura donc une équipe au sein de l’administration qui sera dédiée à ce territoire. J’espère lancer là une dynamique qui montre que si on veut, on peut !

Quel sera votre objectif pour les six mois suivants ?

Même si je suis en train de rédiger cette note, la vie ne s’arrête pas. Il y a déjà des projets en cours, comme du côté d’Anderlecht, autour du bassin de Biestebroeck, où on a l’opportunité de créer un quartier neuf avec des centaines de logements, des entreprises et des activités économiques.

Qu’avez-vous retenu de votre expérience anversoise ?

Qu’il est impératif de faire la navette entre les différentes échelles car l’architecture renforce l’urbanisme et vice-versa. Là-bas, j’ai planché sur le réaménagement des quais, sur 6 km de long, et en même temps, j’ai suivi un programme de la Société immobilière locale pour construire des maisons individuelles un peu partout, dans une logique « d’acupuncture ».

Est-ce qu’un bouwmeester peut travailler en toute indépendance ?

C’est crucial ! Mais je suis le premier à avouer que cette indépendance est relative. Je compare souvent ma place à celle d’un funambule. Je dois être critique sinon mon rôle n’a pas de sens, mais lorsqu’on l’est trop, on finit par être mis de côté, si bien qu’on perd clairement de son influence. Le défi est de chercher une sorte d’équilibre afin de continuer à avoir de l’impact.

Les tours sont-elles une solution à la densité de la capitale ?

Une solution oui… parmi d’autres ! On peut en intégrer dans le tissu urbain mais il y a des quartiers où ce n’est vraiment pas recommandé. Et pour la vie urbaine, le socle est très important. Il faut qu’il y ait des activités, qu’il soit semi-ouvert, qu’il y ait un rapport entre le gratte-ciel et l’espace public. Ça a été un peu oublié dans la tour UP-site, qui a été achevée l’an passé le long du canal et a beaucoup fait parler d’elle. Nous nous devons de faire mieux.

En matière de patrimoine, Bruxelles reste quand même frileuse, non ?

Là, il est clair que l’on n’ose pas assez. Je pense qu’on peut mettre sur pied un dialogue intéressant entre vestiges anciens et lignes contemporaines. Pas toujours en contraste mais aussi parfois en symbiose très discrète, très retenue.

Quel est le rôle de l’architecte en milieu urbain ?

Il ne doit pas se considérer comme une sorte d’expert en esthétique. Je crois à une notion de qualité architecturale plus étendue, qui va au-delà de la discussion sur ce qui est beau et pas beau. Je pense qu’on a une responsabilité morale qui est d’améliorer la vie en ville. C’est exactement la raison pour laquelle j’ai eu envie de m’engager et de devenir bouwmeester !

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