Xaveer De Geyter, la ville comme muse

Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Le bureau

« XDGA a été créé en 1991. La structure compte actuellement cinquante-trois collaborateurs – dont cinq pour l’antenne parisienne – de dix à quinze nationalités différentes ! Ici, il n’y a pas une seule personne, le boss, qui donne toutes les idées de départ, et une équipe qui les concrétise. Chaque projet est conçu à partir de l’analyse d’une petite équipe qui met en avant toutes une série de pistes de réflexion, y compris les miennes. Après, c’est à travers la confrontation des arguments, souvent contradictoires, que naît le concept. Ce travail peut prendre un ou deux deux mois, en fonction de l’échelle ou de la nature du projet. L’essentiel pour nous est de n’avoir aucune idée préconçue, que ce soit pour la création d’un bâtiment en tant que tel ou pour la philosophie générale de notre bureau. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes confrères se composent une liste de dogmes d’après lesquels ils créent ensuite. Nous essayons au contraire de garder le regard le plus ouvert possible. »

La ville

« Ce n’est pas un hasard si XDGA est installé à Bruxelles. D’abord parce que nous sommes très intéressés par la notion de ville et d’espace public et par l’idée de pouvoir ajouter quelque chose à l’organisation de la société, en faisant de l’urbanisme ou des architectures clés dans la cité. Pour nous, il n’y a d’ailleurs pas de différence essentielle entre ces deux disciplines. Elles sont intimement liées. Mais nous avons aussi choisi Bruxelles car c’est la seule vraie ville de Belgique. Toutes les autres sont trop déterminées par leurs origines médiévales pour qu’on puisse vraiment parler de métropole. Un aspect intéressant de la capitale belge : à contrario de Paris qui est une ville accomplie où tout est déjà déterminé et où il est très difficile de changer quelques chose, Bruxelles est un collage de villages, sans véritable unité, ce qui offre un champ d’expérimentation incroyable parce qu’il n’y a pas de traits de caractère spécifiques à conserver à tout prix. »

Les inspirations

« Londres reste parmi les villes qui me parlent le plus mais j’ai aussi, l’an passé, visité Chicago et j’ai apprécié la radicalité de sa structure. Ces dernières années, je me suis intéressé aux Etats-Unis pour percevoir notamment jusqu’où le concept de ville peut être poussé… Entre autres, Houston. Là, c’est la ville diluée. Beaucoup d’urbanistes européens considèrent que c’est un exemple à ne pas suivre : un hypercentre de quelques tours, peu de squares, pas de parc… et autour un maillage de rues et une étendue presque infinie de bâtiments de plus basse hauteur. Et pourtant, cela fonctionne et c’est cela qu’il m’intéresse de comprendre. Car finalement, ça ressemble à une version améliorée de notre paysage urbanisé, avec ses noeuds urbains qui flottent dans un étalement perpétuel du bâti. »

Les concours

« C’est la seule façon d’avoir accès à des projets intéressants, chez nous, aujourd’hui. Quand j’étais étudiant, je ne pouvais m’imaginer que j’arriverais à mener une telle diversité de projets et à les construire. A cette époque, il n’y avait pas, ou presque pas, de concours. On était sous un régime de commandes politisées. Ce n’est qu’à partir du début des années 90 que l’Union européenne a mis sur pied ce système de compétitions pour les projets publics. Désormais, on fait environs dix concours par an, on en gagne quelques-uns… et on en perd aussi beaucoup ! Et pourtant, certains de ces dossiers non retenus deviennent des projets clés de notre bureau. Pour l’expo du Civa, par exemple (*), on a ramassé quelques vieux dossiers qui n’ont pas été réalisés et ont les a plus développés. C’est le cas du projet d’extension dans la mer à Monaco notamment. »

Le modèle

« J’étais déjà très intéressé pendant mes études par le travail du Néerlandais Rem Koolhaas et de son atelier Oma. Une fois diplômé, en 1981, j’ai estimé que le paysage architectural belge n’était pas très motivant et je suis parti là-bas. J’y suis resté presque dix ans, on peut dire que c’est réellement là que j’ai appris mon métier. Ce que ça m’a apporté ? Avant tout une méthode de travail, qui est celle qu’on applique encore dans notre bureau aujourd’hui. Même s’il y a un personnage très connu à la tête d’Oma, les collaborateurs fonctionnent en équipe où chacun a son mot à dire. Et si c’est la femme de ménage qui a la meilleure idée, c’est celle-là qu’on suivra finalement… »

La banalité

« Certes, l’architecture doit parfois faire rêver mais nous vivons dans un monde où la banalité à quand même ses droits, où la base de la ville, ne doit pas être forcément fantastique et extraordinaire. Il faut avant tout essayer de bien gérer cette banalité. XDGA est à l’opposé de ces architectes qui débarquent quelque part et décrètent immédiatement : « il faut faire ça ! » Je ne pense pas que toutes les questions de la ville peuvent être gérées uniquement avec des icônes de béton et d’acier et des formes les plus audacieuses possibles. Cela fabrique un « soap opéra » architectural très ennuyeux. Mais ça ne veut pas dire non plus que nous ne faisons jamais de constructions emblématiques. Parfois cela se justifie, soit par le programme, soit par la position dans la ville en tant que point de repère ou symbole.

L’avenir

« La ville du futur ? Elle n’existe pas en soi. C’est une évolution continue. Au fil du temps, nous ajoutons et enlevons des couches à la ville. C’est de la complexité que naît la beauté. »

L’engagement

« L’architecture est toujours engagée. Le concepteur se doit de se positionner par rapport à la question posée par le commanditaire. Il faut toujours garder en tête l’intérêt général, quitte à aller à l’encontre des promoteurs, clients publics ou politiciens. Quand nous faisons des concours, notre première question est souvent : « est-ce que leur demande est justifiée ? » Ça veut dire que, parfois, on livre une réponse à contre-courant de la demande initiale. Prenons le cas du rond-point Schuman, que nous réaménageons. Il est évident que pendant les presque cinquante années durant lesquelles le pouvoir européen s’est lentement installé à Bruxelles, les choses se sont faites à l’improviste. L’échec de cette non-intégration dans la ville a beaucoup à voir avec la forme de ce pouvoir, toujours en train de se définir. Pour nous , il est donc primordial qu’un espace dédié aux gens accompagne cette institution. Ce qu’on a proposé pour Schuman, c’est une première pierre dans cette marée de voitures et d’infrastructures qui n’ont jamais considéré, jusqu’à présent, la notion d’un espace public lié à l’Union européenne. La demande du client, c’était avant tout de créer une entrée pour la nouvelle gare ferroviaire souterraine, qui est d’ailleurs presque achevée. Nous avons proposé de « relever l’asphalte » et d’ainsi donner forme à un véritable parlement citoyen en plein air, un endroit où chacun peut venir manifester, se rencontrer, exprimer un point de vue. Lorsqu’un accord sera conclu pour que le tunnel Cortenberg soit connecté en sous-terrain à la rue de la Loi, notre projet sera construit. Difficile d’établir un timing mais je suis convaincu que ce chantier se fera. »

L’actu

« En ce moment, nous travaillons simultanément sur trois projets de concours, dont le nouveau siège du Comité international olympique à Lausanne. Nous sommes en plein chantier de la place Rogier, à Bruxelles également. La partie souterraine est presque terminée ; les travaux de surface sont en cours et l’auvent, qui va être très impressionnant, est à l’étude. Nous travaillons aussi, entre autres, sur la construction de la maison de province, à Anvers, sur un vaste complexe de logements à Louvain, avec Stéphane Beel, et sur un très grand ensemble à Paris. Il y a actuellement douze grues sur le chantier et le bâtiment a la longueur de la rue de la Loi ! » Propos recueillis par Fanny Bouvry

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