Le blanc, c’est chic

Une drôle de salle " obscure " au White Cinema, à Bruxelles. © SDP

Ces dernières années, tout est passé à l’immaculé : jeans, télé, manteau, baskets ou grosses cylindrées. Qu’importe la saison. De là à y voir l’envie d’une époque en quête de paix et de spiritualité…

Tout ça, c’est la faute de Jony Ive. Jony qui ? Jonathan Ive de son vrai nom, c’est le monsieur design d’Apple. C’est à lui qu’on doit le premier iMac – l’iMac G3 – en 1998, moulé dans sa carapace transparente indigo ou vert citron. Un bonbon acidulé qui fait triper la fin du siècle dernier. C’est également ce concepteur qui a imaginé une version baptisée Snow, couleur neige évidemment, de l’iMac, puis la fameuse patte épurée et claire qui fera le succès d’Apple : le blanc, rien que le blanc. Celui de l’iBook Ice, celui de l’iPod dans ses lignes simplissimes en 2001, celui de l’iPhone plus tard. Quand, en 1997, Steve Jobs revient à la tête d’Apple – entreprise qu’il a créée en 1976 mais qu’il avait quittée en 1985 -, il fait le pari de donner une place majeure au design, et ce sera là toute la réussite de son business. Chez Apple, immaculé rime désormais avec technologique, branché, inspiré, audacieux. C’est la teinte du futur… qu’un André Courrèges brandissait déjà dans son vestiaire visionnaire des années 60.

Le vélo Sladda d'Ikea, lui aussi dans le ton.
Le vélo Sladda d’Ikea, lui aussi dans le ton.© SDP

TECHNOLOGIE D’AVANT-GARDE

 » Dès lors qu’il s’agit d’innovation, on opte pour des coloris sobres, le blanc en tête, explique Fériel Karoui, consultante pour le bureau de tendances Promostyl. C’est le cas chez Apple bien sûr, mais aussi quand le créateur Alexandre Vauthier débarque avec des coupes très impressionnantes sur les podiums ou quand on réalise les premières créations imprimées en 3D : en choisissant ce ton, on focalise avant tout sur la prouesse technique.  » De fait, le monde du high-tech est enfin sorti du noir. Les téléviseurs se sont ourlés de bords éclaircis, y gagnant en discrétion et modernité. Les designers Erwan et Ronan Bouroullec ont ainsi dessiné Serif TV pour Samsung, un écran à poser ou à monter sur des pieds filiformes. Un modèle hyperdesign pensé comme un meuble, avec un rebord qui fait étagère sur le dessus et décliné en blanc, surtout, ou en bleu nuit ou rouge.

Du côté automobile, même chose. Là où cette non-couleur était jusqu’alors symptomatique des véhicules utilitaires, des ambulances ou des petits formats, ces dernières années l’ont vue monter en tête des ventes, y compris du côté du haut de gamme. Et les Porsche Cayenne, Tesla ou Lamborghini LP540 d’arborer des carrosseries complètement virginales. Au salon automobile de Genève, Rolls Royce vient même de présenter trois Dawn blanc nacré, avec sellerie assortie et capotes colorées en rouge, orange ou bleu. Un signe qui ne trompe pas : chaque année, les Américains de PPG Industries, parmi les leaders de la peinture pour voitures, livrent leur bilan colorimétrique des ventes. Et 2016 confirme la position de numéro un du blanc avec 38 % des véhicules fabriqués dans le monde (contre 35 % en 2015), 33 % en Europe et même 47 % en Asie, où ce ton symbolise la pureté. Axalta Coating Systems, autre leader de la peinture auto, précise même dans son rapport 2016,  » qu’en Chine, le blanc uni est plus apprécié que le nacré, de plus de 39 points de pourcentage. A l’inverse, les Japonais préfèrent le nacré (27 %) à l’uni. « 

La collection immaculée, chez JeanPaulKnott.
La collection immaculée, chez JeanPaulKnott.© HIDEMI ILZUKA

Et c’est tout l’enjeu de ce coloris aujourd’hui : il mise sur ses nuances – rappelons d’ailleurs que les Esquimaux en perçoivent sept.  » On l’utilise de manière uniforme sur les rétros, l’habitacle, le carénage… comme pour un iPod. Mais on évolue de plus en plus vers des jeux de matières, précise Fériel Karoui. L’association du mat et du brillant, la céramique, le Corian lisse face à des pierres plus naturelles. Cette teinte ultraclassique se renouvelle par les matériaux. On sort de la froideur technologique pour privilégier l’aspect tactile. Dans un univers où on ne touche plus rien – les portes s’ouvrent automatiquement, Siri appelle nos contacts pour nous – on réinvestit ailleurs les sens.  »

LA FORCE DU SYMBOLE

Cette tendance, on la relève aussi en matière de décoration. Après feu le White Hotel imaginé sous la houlette de Michel Penneman, en 2007, dans un esprit hyperurbain, Bruxelles peut désormais se targuer d’avoir son White Cinema, signé par l’architecte d’intérieur Renaud Dejeneffe. Exit l’atmosphère aux murs sombres et tapissés de velours, cette institution, initiée par Belga Films, joue sur une veine avant-gardiste, en blanc presque uniquement, à l’exception des salles de projection. Au dernier étage du récent centre commercial Docks, près du canal, le nouveau venu s’étire sur une immense esplanade vierge et zen ponctuée d’une billetterie cachée dans une boule futuriste et d’un bar aux lignes minimalistes. Un ovni absolu. Le créateur y a mixé lumière naturelle et LED colorés. Dans les couloirs comme ailleurs, rien de rectiligne mais des courbes et des espaces fluides, les murs servant d’écrans pour les trailers. Les portes qui donnent sur les salles de projection sont quant à elles en miroir et renvoient à notre position d’acteur qui va entrer dans un univers. Ce concept a été pensé pour être total et préfigurer d’autres ouvertures. On parle du site de Médiacité à Liège et du nord de Bruxelles.

Là où le blanc était clinique, il est devenu chic. Comme les murs d’une galerie d’art contemporain. Comme une chemise de serveur, dans un restaurant étoilé. Et hypnotique. Surtout dans la répétition. Quand, pour le printemps-été 1968, Valentino faisait défiler sa Collezione Bianca – devenue mythique car Jackie Kennedy y a choisi la robe dans laquelle elle a épousé Aristote Onassis la même année – le magazine Vogue écrivait :  » Le blanc de Valentino, toute l’Europe en parle. La pureté, la distinction de ses blancs si nets, ses blancs si raffinés, ses blancs doux et crémeux, montrés tous ensemble, blanc sur blanc. Tout cela est un triomphe pour ce couturier âgé de 35 ans qui, en déversant tant de beauté, de romance et de perfection, est devenu l’idole de la jeunesse, un nouveau symbole du luxe contemporain…  » Près de cinquante ans plus tard, en décembre 2014, la maison italienne célébrait l’ouverture de son nouveau flagship store new-yorkais avec un défilé baptisé 945 Sala Bianca, complètement monochrome cela va sans dire. De son côté, Eddie Barclay a également créé un style en paradant invariablement dans des looks immaculés. Un tic vestimentaire aussi adopté par le père des Aventures de TomSawyer, Mark Twain, et assumé à l’époque d’un  » je ne voudrais pas avoir l’air prétentieux mais cela ne me dérange pas qu’on me remarque « . Ou encore par l’écrivain américain Tom Wolfe. L’auteur du Bûcher des vanités a endossé son premier costume du genre en 1962, en parfait gentleman du Sud. Mais celui-ci était trop épais pour être supporté sous la chaleur; il décida donc de le porter l’hiver et constata la surprise qu’il provoquait. Un parfait effet brise-glace et une parade géniale face à la presse, qui reprend invariablement cette histoire.

L'hiver 17-18, de Louis Vuitton.
L’hiver 17-18, de Louis Vuitton.© © LOUIS VUITTON MALLETIER, TOUS DROITS RÉSERVÉS

IL N’Y A PLUS DE SAISONS

Alors quand, pour l’été 2016, Alexander Wang quitte Balenciaga après trois ans avec un défilé reniant l’arc-en-ciel, c’est le même esprit. A la fois pureté d’une douceur folle et audace en pied de nez. Comme une carte blanche où tout reste à faire. Entre symbole de paix, quête de quiétude, besoin de spiritualité et connexion à soi, voilà donc une non-couleur forte de symboles. Une véritable pancarte.

Du reste, longtemps cantonné au registre estival, à coups de jupons légers, la tonalité dépasse désormais la saisonnalité. Pour sa collection de 1968, Valentino déclarait :  » Pour moi, le blanc est une couleur. C’est la légèreté de l’été, la pureté.  » De fait. Mais il est également duveteux, quand il se taille dans un manteau de laine ou dans un pull en mohair. Optique et brillant quand il habille une botte en vinyle. Multiple quand il se découpe dans un marbre veiné. Nébuleux sur une dentelle ou un organza. Les marques qui viennent de défiler à Paris, pour l’hiver 17-18, affichent cette virginité, qu’il s’agisse de pulls chez Saint Laurent ou Vanessa Seward, de costumes chez Lanvin ou de pantalons chez Vetements. Pour Fériel Karoui,  » aujourd’hui, les collections se construisent plus dans la continuité. On a besoin de rassurer avec des paramètres qui sont connus. C’est comme cela que le blanc se retrouve désormais en hiver. C’est une nouveauté rassurante, presque factice, car on la connaît.  »

Il y a dix ans, on aurait proscrit le jeans décoloré – vulgaire, grossissant – sous peine de verser dans la parodie de cagole. Les cheveux grisonnants étaient vite cachés. Le slip blanc était brandi en icône de la ringardise. Et la basket virginale restait connotée. Mais la Stan Smith d’Adidas est passée par là. En débarquant en masse en 2014, elle a remis cet accessoire à tous les pieds et l’a sorti de ses sphères banlieusardes. Dans cette lignée, Balenciaga, Fendi, Givenchy, Valentino, Dior, toutes les maisons de luxe y vont de leurs sneakers.  » Elles impulsent des codes novateurs pour se démarquer, mais elles doivent aussi séduire les Millennials, observe l’expert en tendances. Ce n’est pas un hasard si les références street et populaires sont de plus en plus présentes. Une nouvelle génération de stylistes traduit ce mélange créatif en assumant un certain mauvais goût. C’est un mix and match complètement singulier.  » Et de cultiver autant la face bling-bling du blanc que son esprit chic et basique.

PAR AMANDINE MAZIERS

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