Delaktig, une collab’ personnalisable entre Tom Dixon et Ikea

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Mathieu Nguyen

Superstar du design british, Tom Dixon a dominé la création métallique avant d’essayer ses talents à d’autres types de productions – toujours avec succès. Nous l’avons rencontré en exclusivité à Milan, au Festival Ikea, où il venait défendre le système  » open source  » Delaktig, élaboré avec le géant suédois.

Pourquoi Tom Dixon monte-t-il toujours des installations si spectaculaires ? C’est la question que nous lui avons posée la veille du Festival Ikea, lors d’un talk au Multiplex, la pop-up gallery du Teatro Manzoni où le designer faisait son cinéma.  » Il faut bien tirer les gens de leur lit un mardi matin ! « , nous répondit-il en un sourire, avec son habituel mélange de franchise un peu brutale et d’humour anglais.

Le Delaktig mis en scène à Milan.
Le Delaktig mis en scène à Milan.© sdp

Si, comme chaque année, son élégant quartier général méritait à lui seul le déplacement, avec la mise en scène de ses nouveautés et la réédition de ses classiques, désormais qualifiés d’  » antiquités « , sa grande actu pour 2017 était évidemment la collaboration restée longtemps top secret avec le groupe suédois. Qu’a bien pu donner cette rencontre entre deux pôles aussi éloignés ? Le système Delaktig ( » implication, participation  » dans la langue d’ABBA), une sorte de lit-banquette dont l’absolue sobriété a décontenancé ceux que le Londonien avait habitués à plus de flamboyance – un visiteur du Multiplex a qualifié le projet de  » design allemand « , à son grand amusement. Qu’on ne s’y trompe pas : derrière son minimalisme un peu frugal, le modèle constitue un pari sur l’avenir, que son concepteur espère voir parcourir des horizons inexplorés. Septante-cinq étudiants en design du monde entier se sont déjà penchés sur son cas, et l’ont transformé en transat à roulettes, couchettes superposées ou radeau de survie. Avec cette  » plate-forme à hacker  » dont il vante la longévité et la flexibilité – deux qualités qui lui vont si bien – il n’est pas impossible que Mister Dixon ait une fois de plus capté l’air du temps, tout en permettant à l’empire suédois de reprendre la main sur le phénomène du Ikea-hacking, la personnalisation DIY de ses produits, et de développer des accessoires et compléments à l’infini.

La banquette Delaktig créée pour Ikea
La banquette Delaktig créée pour Ikea© sdp

Ex-bassiste du groupe éphémère Funkapolitan, Tom Dixon avait un jour comparé le Salon du meuble de Milan au plus important festival rock du monde, Glastonbury. L’enseigne Ikea l’a pris au mot, et a mis sur pied son propre festival, au coeur du jeune et dynamique Design District de Lambrate. Coolitude bon enfant, street food, posters, tee-shirts, sans oublier l’ambiance musicale tonitruante, assurée par un gang de DJ penchés sur leur console, et même la bière en gobelet – tout y était. Après lui avoir rendu visite chez lui, sur les docks de Portobello à Londres, c’est donc là que nous avons retrouvé le concepteur britannique, fidèle à lui-même, goguenard et décontracté.

A Milan, vous avez enfin pu dévoiler ce fameux Delaktig…

Oui, même si, dans le fond, je le montre depuis des mois, je commençais d’ailleurs à m’ennuyer…

La présentation de différentes versions et de prototypes permet enfin de dépasser la seule photo qu’on avait pu en voir jusqu’à présent…

Bien sûr, et je pense que c’est le plus intéressant, à l’heure actuelle : le travail de ces septante-cinq étudiants. La théorie prétendant qu’un point de départ est plus excitant qu’un produit final est vraie.

Quelles réactions attendiez-vous au sujet de ce produit très différent de ce que vous proposez habituellement ?

C’est drôle, parce qu’après tout le bla-bla et les réactions du genre  » Tout ça pour ça ? « , on comprend que ce qui a de l’intérêt, c’est ce qu’on en fait. Quand on me demande  » C’est ça, le meilleur sofa que tu puisses faire ? « , je réponds  » Non, mais c’est l’un des plus intéressants « . Cette semaine, j’ai été littéralement choqué par des covers horribles qui avaient été réalisées pour le Delaktig, mais j’ai aussi vu des idées exceptionnelles, des fonctionnalités supplémentaires imaginées par d’autres. Et ça fait peur : on n’a plus aucun contrôle, alors qu’en tant que designer, une grande partie du boulot consiste justement à conserver le contrôle. Mais quand on ouvre un objet à des adaptations, des customisations, il faut accepter qu’il soit peut-être torpillé – ou au contraire, sujet à des améliorations.

Certaines réactions mitigées ne viennent-elles pas de gens qui ont vu un produit plutôt qu’un concept ?

Dans le design, il y a toujours une attente, et j’y ai contribué au fil des années. Le public espère vous voir sortir des créations extraordinaires, plutôt qu’un système, ou un point de départ. Or, l’expérience est passionnante, et assez courante dans d’autres domaines, comme le sampling en musique : on coupe un échantillon de son, on le retravaille et cela aboutit à un autre résultat. Pour des raisons assez évidentes, le business du mobilier est assez statique. Dans un futur proche, la vraie disruption peut venir d’idées un peu différentes, comme celle-ci, même si le secteur ne s’adapte que très lentement à l’ère moderne.

Vous avez comparé le cadre du Delaktig à l’iPhone 5…

Cette analogie m’intéresse, parce qu’elle interroge les limites du design produit. Combien de pieds de chaises ou de tours de lit vraiment fancy peut-on encore imaginer de nos jours ? Jean Prouvé a probablement déjà fait mieux il y a bien longtemps, alors, quel intérêt ? Que faire qui se distingue ? La bande d’aluminium lui donne effectivement des airs d’iPhone 5, tout simplement parce qu’on a abouti aux mêmes conclusions : pour protéger l’objet, que ce soit un smartphone ou un lit, mieux vaut arrondir les coins.

On vous a vu le manipuler sans ménagement, il a l’air costaud !

Oui, il est même plus lourd que je ne l’aurais espéré. Mais les tests d’Ikea sont extraordinaires, ils doivent se conformer aux réglementations les plus sévères dans tous les pays. Je voulais qu’il puisse être utilisé et réutilisé. Mon objectif est de ne rien fabriquer qui soit jetable, pour tacler ma culpabilité d’avoir engendré tant de déchets sur cette planète.

Une position plutôt éloignée des stéréotypes sur Ikea…

Leur modèle implique de faire revenir les clients pour de nouveaux achats, donc sans doute qu’un produit qui dure plusieurs vies n’est pas terrible pour leur business. Mais ils sont très intelligents et savent très bien ce qu’ils ont à faire pour se maintenir au top.

Certains n’ont toujours pas compris pourquoi vous collaboriez avec le géant suédois…

L’éternel combat, c’est de défier la catégorisation. Les gens veulent toujours que vous soyez quelqu’un d’autre. Quand j’ai rejoint Habitat, on a dit :  » Oh non, ne fais pas ça, tu es un artiste.  » Or, le design plus démocratique m’attirait aussi. Et quand je suis parti, c’était :  » Mais pourquoi ? Tu as le meilleur job du secteur.  » Les gens veulent que vous restiez statique, alors que ce qui est génial, quand on est un designer, c’est de mener des recherches, de vivre d’autres aventures, et tant pis si c’est mal compris.

L’omniprésence de marques parfois très éloignées du design, tous ces events et ces collaborations, c’est une évolution normale du Salon du meuble, ou a-t-il progressivement perdu de vue son but premier, qui est de montrer du mobilier ?

Ce qui distingue déjà la Design Week de Milan par rapport à celle de Londres, Paris ou n’importe où, c’est qu’une partie significative de l’industrie reste basée ici. Toute la région en dépend, des familles très anciennes et beaucoup de compagnies historiques ont contribué au rayonnement du Salone, le noyau est vraiment authentique, ce qui le distingue de tous les autres. Alors, oui, ça a changé, et parfois les gens s’en plaignent. Mais avant, les mêmes se plaignaient du fait que personne ne se préoccupait du design. Dans un sens, le design produit n’est pas si intéressant que ça, donc c’est une bonne chose pour les concepteurs de toucher une audience élargie. Alors, les râleurs, get a life !

Quoi de neuf en 2017 ?

Parce que l’actualité de Tom Dixon ne se résume pas à sa collab’ avec Ikea, rapide passage en revue de ses nouveautés exposées pendant le Salone.

Delaktig, une collab' personnalisable entre Tom Dixon et Ikea
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– Sous son propre label, Dixon a renforcé sa gamme luminaire, domaine dans lequel il excelle, avec de nombreux nouveaux modèles tels que la jolie série Cut (1.), la Boom Task au look très industriel, ou des ajouts à la collection Beat, dont la Beat Waist Back (2.), la lampe sur pied Tube, l’applique Void Surface (3.), les suspensions Spot et Spun, et enfin de nouvelles finitions pour le best-seller Melt.

– Au niveau du mobilier, si l’on citera la collection de tables Slab, l’accent fut mis cette année sur les « Antiquités » ou « Vétérans » (4.), comme il se plaît à les appeler : les mythiques assises Bird, S ou Pylon, revues et corrigées bien que forcément fidèles au modèle original.

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– La grande nouveauté rayon accessoires fut l’introduction de la ligne textile Super Texture, plaids et coussins portant les noms Soft, Boucle, Fleck ou Line (5.) et réalisés avec le concours de la marque suédoise Bemz.

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– Et enfin, pour l’anecdote, le designer a customisé une bécane pour Moto Guzzi (6.), la Tomoto, une idée sans doute moins saugrenue qu’il n’y paraît : fan de machines vintage, il a jadis appris la soudure, qui lui a ouvert la voie du design, en retapant sa vieille moto. Belle manière de boucler la boucle.

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