Le design des fifties se réédite, s’expose et se vend aux enchères

Le fauteuil Franklin (Le Corbusier) © BELGAIMAGE

Des tables de Jean Prouvé adjugées plus de 1,2 million d’euros, des bibliothèques Charlotte Perriand plus de 200.000 euros : le design des années 1950 et 60, dont certaines pièces majeures s’arrachent aux enchères, suscite rééditions, répliques et expositions.

Le style scandinave de ces années séduit aussi les salles de vente, avec par exemple Finn Juhl, ou encore Peder Moos, dont une table de 1952 a atteint 813.000 euros chez Phillips à Londres en 2015, « record du monde pour du design nordique », selon la maison.

Mais les principales valeurs sur marché sont françaises, souligne Emmanuel Berard, directeur du département design chez Artcurial. Aujourd’hui recherché par les collectionneurs du monde entier, le mobilier de ces maîtres français qui étaient mus par des préoccupations sociales, n’intéressait pourtant quasiment personne il y a encore trente ans.

Le Corbusier
Le Corbusier

La table trapèze de Prouvé datant de 1956, cédée fin 2015 chez Artcurial pour 1,29 million d’euros à un Américain – record pour une oeuvre du spécialiste de la tôle d’acier pliée – avait été mise au rebut par la Cité universitaire d’Antony, près de Paris.

Le directeur du site avait en 1983 « demandé de remplacer toutes les tables métalliques du réfectoire par des tables dont le nettoyage serait plus aisé », raconte Emmanuel Berard. « Il ne savait même pas qui avait fait ces tables ! »

Egalement très prisées, les étagères de Charlotte Perriand, qui meublaient les chambres d’étudiants. « Ce sont des gens qui ont travaillé la série, dont la carrière a été boostée par la reconstruction dans l’après-guerre, à une époque où il fallait meubler un grand nombre d’habitations, d’équipements collectifs », rappelle M. Berard.

La 'Cuisine Atelier Le Corbusier Type 1'
La ‘Cuisine Atelier Le Corbusier Type 1’© BELGAIMAGE

Le mobilier de Chandigarh (Inde), ville conçue par Le Corbusier dans les années 50 et inscrite au patrimoine mondial par l’Unesco en juillet, illustre aussi cet engouement. Chaises, commodes et tabourets en teck dessinés par Pierre Jeanneret, cousin de « Corbu », lampadaires et même plaques d’égout se sont retrouvés dans les salles de vente en France et aux Etats-Unis.

La reconnaissance de ces figures de l’architecture et du design doit beaucoup au travail de galeristes parisiens précurseurs comme Patrick Seguin, François Laffanour et Philippe Jousse. A la fin des années 1970, ce dernier achète une table Prouvé chez Emmaüs pour 300 francs et commence à se documenter. « J’ai toujours su que c’était important. C’était risqué, pendant des années on ne vendait rien », se souvient Philippe Jousse.

– ‘Madeleine de Proust’ –

« Jean Prouvé doit se retourner dans sa tombe en voyant ces prix ! C’était un homme très modeste », remarque Françoise Jollant-Kneebone. Cette historienne du design est commissaire d’une exposition consacrée au pionnier du design industriel Roger Tallon (1929-2011) au Musée des Arts décoratifs de Paris. Quelques mois plus tôt, le Centre Pompidou a présenté une rétrospective Pierre Paulin (1927-2009), autre grande personnalité du design français du XXe siècle.

Le couple royal suédois assis dans des fauteuils
Le couple royal suédois assis dans des fauteuils « oeufs » (‘Egg Chair’) de l’architecte danois Arne Jacobsen.© BELGAIMAGE

Aux portes de Paris, sur le marché Paul Bert Serpette, aux Puces de Saint-Ouen, « plus grand marché d’antiquités du monde », les années 50-70 représentent la moitié des stands.

La directrice Marion Dufranc raconte qu’à son arrivée il y a cinq ans, le marché « était dans le creux de la vague ». « Environ 80% des demandes pour intégrer le marché concernaient du vintage 50-70. Aujourd’hui, on est complet, on a même une liste d’attente ».

Pour ceux qui ne peuvent s’offrir les originaux, certaines pièces sont de nouveau produites par leurs fabricants, ou réinterprétées par des enseignes grand public. Icônes du design scandinave, les chaises d’Arne Jacobsen sont devenues des classiques, tout comme celles des Américains Ray et Charles Eames.

Pes
Pes « Plactic Chair » (1950) de Charles et Ray Eames© BELGAIMAGE

Ces années inspirent aussi de jeunes marques de mobilier. Les Gambettes, entreprise lancée par deux trentenaires en 2011, propose des chaises d’écolier ou des tables alliant métal, bois et formica, revisitées avec des imprimés actuels.

« Ce sont des lignes et matériaux qu’on a tous vus, chez soi, chez des grands-parents, c’est une madeleine de Proust », souligne Céline Tahar, cofondatrice de cette société dont le chiffre d’affaires connaît une croissance annuelle de 30%.

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Les « Lobby Chair » de Charles and Ray Eames© BELGAIMAGE

Consciente que les « effets de mode ne durent pas », Marion Dufranc pense que « la tendance demain sera au mélange. Vous allez pouvoir mettre dans votre intérieur une commode du XVIIIe, une banquette Jean Prouvé, une sculpture d’art contemporain, un tableau de street art ».

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