Le design nostalgique des eighties

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Fini le purgatoire! Après avoir gagné la mode et la musique, l’inspiration eighties déferle sur le design. Grâce à son insolence fantaisiste, ce style retrouve de plus en plus de fans.

Ici, des canapés noir et blanc à la silhouette baroque, profonds et sinueux comme des vagues. Là, des meubles laqués noirs aux poignées en forme de coraux géants… Nous sommes dans les murs de la mythique maison de couture Christian Lacroix, rue du Faubourg-Saint-Honoré, décorée par Garouste et Bonetti en 1987.
Cessation d’activité oblige, 100 meubles de cet ensemble théâtral sont vendus aux enchères, le 26 mai, par Sotheby’s. Même si les estimations culminent à 10.000 euros, pour la maison de ventes, temple du marché de l’art mondial, c’est un événement. Ce dernier vient s’ajouter à la longue liste d’expositions et d’hommages au design des années 1980. La galerie parisienne En attendant les Barbares, pionnière de l’édition de meubles de créateurs, notamment Garouste et Bonetti, fête actuellement ses 25 ans avec une rétrospective.

Meubles ludiques

Le musée des Arts décoratifs de Bordeaux inaugure de nouvelles salles dévolues à cette décennie en vogue. Les « meubles-jouets » du groupe Memphis s’y taillent la part du lion. A partir d’octobre, le musée célébrera, dans une exposition, Michele De Lucchi, cofondateur du mouvement et créateur phare de l’époque. Après s’être intéressée aux années 1940 et 1960, l’historienne d’art Anne Bony, quant à elle, publie à la fin d’avril un ouvrage consacré aux meubles et décors des eighties. Signe, s’il en est, du retour en grâce d’un style pourtant longtemps remisé aux placards?

Le paradis perdu

Pour Anne Bony, il n’y a pas de doute: « Les années 1980 ont un parfum de paradis perdu. Avec trente ans de recul, on regrette ce temps où l’argent était facile et la vie, insouciante. C’était une décennie de fête et de frime où l’on vivait intensément. Les années 1980, ce sont aussi les années sida », souligne-t-elle. Légèreté et gravité se mêlent donc dans nos souvenirs. Un contraste que l’on retrouve aussi dans la création de mobilier de l’époque.
Difficile de trouver le fil qui relie les meubles graphiques habillés de noir du jeune Philippe Starck, le Formica exubérant de couleurs primaires de Memphis, le fer forgé baroque de Garouste et Bonetti et le verre sablé de Jean-Michel Wilmotte? Hétérogène, cette décennie l’est sans conteste. « Le retour à la notion de créateur, perdue de vue depuis les années 1940, fait office de dénominateur commun », remarque Anne Bony. Quand, en décembre 1980, à Milan, une bande de jeunes designers internationaux fonde le groupe Memphis sous la houlette du « patriarche » Ettore Sottsass, le mot d’ordre est donné : changer la vie à travers les objets du quotidien et s’affranchir de tous les codes. Le Ring de boxe de Masanori Umeda, mélange hybride de tatami, de sofa et de salle de sport, illustre parfaitement cette nouvelle tendance. Franchement sans limite. Ce meuble iconique trônait justement au milieu du stand du galeriste Philippe Jousse, à l’entrée du dernier Salon Art Paris, en mars, à la plus grande joie des visiteurs.
Après deux décennies de bon goût et d’épure, les fantaisies de ces créateurs sans concession pourraient bien faire leur entrée dans nos intérieurs 2010. Mais par petites touches seulement. Car « ces meubles sont des pièces tellement fortes qu’elles ne sont pas utilisables en « total look » », pointe l’expert en arts décoratifs Jean-Marcel Camard. Ce qui n’empêche pas ce marchand de vendre régulièrement du mobilier italien de cette époque et d’organiser, le 19 mai, à Drouot, une vente consacrée à la Design Gallery de Milan, l’un des marchands d’Ettore Sottsass. Dans le catalogue, des créations du maestro, mais aussi d’Andrea Branzi ou d’Alessandro Mendini, deux autres figures du mouvement. Au Pavillon des arts et du design, qui s’est tout récemment tenu à Paris, une superbe console d’Ettore Sottsass, en marbre de différentes couleurs, se remarquait sur le stand d’Yves et Victor Gastou. Prix de vente : 60 000 euros. « Et ce n’est rien comparé à la valeur que va prendre la pièce, s’enflamme Victor Gastou. Dans vingt ans, elle aura plus que doublé ; dans cinquante, ce mobilier emblématique du 1980 exceptionnel sera au prix de l’Art déco. »

Ôde à l’artisanat

En effet, le design des eighties ne se distingue pas seulement par l’audace de ses formes et de ses couleurs. Il marque aussi un retour à l’artisanat. Le « fait main » revient à l’ordre du jour. Marqueterie, bronze, laque, nouveaux matériaux innovants… Récente crise pétrolière oblige, on s’affranchit alors du règne du tout-plastique. Certains créateurs, comme le Français André Dubreuil, représenté alors par la galerie Neotu, revendiquent même une production en métal « haute couture », précieuse et en toute petite série. Cette aura de rareté rassure les générations actuelles, en quête de valeurs sûres. Mais, il y a trente ans, au moment du « boom » du mobilier standardisé et de la grande distribution, ce raffinement symbolisait une audace supplémentaire. Les premiers éditeurs de ces meubles évoquent les réactions parfois violentes du public et des professionnels devant ces pièces perçues comme trop atypiques et élitistes. « Dans les Salons professionnels, personne ne comprenait ce que nous faisions. Pendant des années, nous avons très peu vendu », se souvient Agnès Kentish, directrice de la galerie En attendant les Barbares. Sur le marché actuel, les valeurs s’inversent : « Aujourd’hui, c’est la qualité d’exécution de ces meubles qui séduit les acheteurs. Car ce sens du luxe assure une pérennité aux oeuvres », explique l’expert Jean-Marcel Camard.

Nouvel attrait

Surtout, bien des enfants terribles des années 1980 sont devenus des références. Cela conforte l’attrait pour cette décennie, à l’origine de belles carrières. Actuellement, Mattia Bonetti expose ses nouvelles créations à New York, à la galerie Paul Kasmin, et vient de se voir consacrer une monographie aux éditions Skira. Alessandro Mendini, François Bauchet et Martin Szekely poursuivent leurs recherches chez Kreo. Leur style est plus épuré, la démarche, moins excentrique, les lignes sont plus organiques. Mais leurs explorations des années 1980 marquent profondément leurs parcours. Quant aux designers stars d’aujourd’hui, ils sont nombreux à exprimer des réminiscences de cette décennie audacieuse. C’est le cas des frères Fernando et Humberto Campana, designers brésiliens à l’affiche d’une exposition à la galerie Perimeter. Comment ne pas voir dans leur attrait pour les matériaux de récupération des similitudes avec les recherches de Ron Arad à ses débuts ? Leurs fauteuils en accumulation de crocodiles en peluche n’évoquent-ils pas le fameux manteau en nounours cousus de Jean-Charles de Castelbajac ? Pour Didier Krzentowski, directeur de la galerie Kreo, « les jeunes designers se réfèrent encore beaucoup aux années 1970 dans leur travail. Mais un jour viendra où un grand créateur s’intéressera aux années 1980. Une nouvelle page sera tournée ». En déambulant dans sa galerie Kreo, observant les feutres de couleurs plantés dans les vases en céramique blanche de Fernando Brizio ou les patchworks bigarrés du dernier canapé des frères Bouroullec, on se dit que ce moment pourrait ne pas tarder à arriver.

Par Axelle Corty, L’Express Style.

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