Chez Chanel

Mardi 5 octobre, 10h30. Avant-dernier jour de la Fashion Week parisienne. Comme à chaque saison au moment du défilé Chanel, je suis en retard et il pleut.

Mardi 5 octobre, 10h30. Avant-dernier jour de la Fashion Week parisienne. Comme à chaque saison au moment du défilé Chanel, je suis en retard et il pleut. Mouvement de recul à la vue de la foule de badauds devant le Grand Palais. De toute façon, comme un félin qui a mangé trop d’antilopes, je commence à être un peu repue de looks. Curieuse de découvrir la nouvelle mise en scène de Karl, je préfère entrer.

A l’intérieur, toute la surface du Grand Palais a été transformée en jardins à la française. Ca a beau être du carton pâte, le résultat est grandiose. Moins kitsch que les bouteilles de parfum géantes d’une saison précédente, moins provoc que l’iceberg d’il y a six mois. Au bout d’une allée, un orchestre se prépare. On nous remet un goodie bag avec des produits de maquillage dedans. C’est enivrant, une maison qui a autant de moyens.

Je suis au deuxième rang! A côté de moi, ma voisine tombe en arrêt devant mes chaussures. Ah oui, parce que ce jour-là, j’ai dégainé mon arme secrète, des Church’s collectors, folie milanaise achetée sur un coup de tête une semaine plus tôt. Après une énième discussion avec Mark au téléphone au sujet des travaux de l’appartement qu’on est en train d’acheter (et qui va réduire mon budget fringues à zéro pour les deux prochaines années), je ne sais pas ce qui m’a pris, une sorte de réflexe de modeuse s’est emparé de moi et je me suis offert une paire de chaussures hors de prix. Des richelieux constellés de clous que je prévois d’amortir sur 50 ans.

J’étudie le « podium », en réalité 15km d’allées de gravier blanc. Je prie pour que les mannequins marchent sur du plat, sinon va y avoir des morts. L’immensité des lieux donne le vertige. On ne peut même plus faire des coucous aux invités d’en face (l’un des jeux favoris du public à la Fashion Week), ils sont trop loin, ce ne sont plus que des têtes d’épingle.

Le défilé commence. On se croirait à Versailles, avec les mannequins qui déambulent dans les allées du jardin comme plein de mini madames de Maintenon. En fait, j’apprendrai plus tard que Karl pensait plus à L’année dernière à Marienbad. Bon sang mais c’est bien sûr. Les gens de la mode adorent ce film-ovni, à la fois splendide et ennuyeux, aux costumes signés Coco Chanel (je l’avais traité il y a longtemps en film bien sapé).

Prévenant, Karl fait marcher ses mannequins sur d’épaisses plateformes qui limitent les risques d’entorse. Elles sont toutes là, sauf Lara Stone, qui a déserté les podiums cette saison, mise à l’abri du besoin par un juteux contrat d’exclusivité chez Calvin Klein. C’est bizarre un défilé Chanel sans Lara. Ca n’a pas l’air de perturber Freja, qui défile en souriant, plus mystérieuse que jamais.

Les vêtements me plaisent plus que d’habitude, les tailleurs en tweed bordés de plumes surtout. Prouesse technologique de la couture du 21e siècle, les tissus semblent rongés par des mites fantaisistes. J’ai du mal à prendre des photos tant le chemin des mannequins à travers les allées est compliqué. Surtout, je guette Inès de la Fressange, dont on a annoncé le retour.

Son arrivée provoque une vague d’émotion dans la salle. Tout le monde sait qu’elle défila pour Karl chez Chanel, au début des années 80, devenant en quelque sorte le premier top français. Elle sourit à tout le monde, visiblement émue d’être là. Se plante de sens à un carrefour, s’excuse en se marrant, reprend son chemin d’un pas léger. On est tous avec elle. J’ai les yeux qui piquent. La Bittersweet Symphony de The Verve sublimement jouée par l’orchestre n’arrange rien.

Au final, Karl et Inès s’avancent, bras dessus bras dessous, suivis de Baptiste, Freja, Crystal… Le roi, la reine et leur cour. Je viens d’assister au plus touchant des défilés Chanel.

Géraldine Dormoy

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