Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes

© Getty Images/iStockphoto

On a toutes une tenue dans laquelle on se sent rassurée, prête à affronter grands défis et petites gageures du quotidien. Designer, chef, danseuse, recteur ou animatrice radio, nous avons demandé à cinq femmes d’influence de nous parler des vêtements ou accessoires qui les rendent « fortes ». Elles se sont prêtées au jeu, un brin amusées, plongeant en elles pour mieux se décrire et parfois se trouver, étonnées. Chacune y a mis ce qu’elle entendait par là – être libre, heureuse, en mouvement, en harmonie. Et si l’habit faisait la moniale ?

Caroline Cornélis, danseuse, chorégraphe

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Elle avait d’abord enfilé son chemisier rouge coquelicot, cette couleur tant aimée, « quand je la porte, il y a toujours quelque chose qui me sourit ». Pourtant ce matin, ce n’était « pas juste », elle n’était pas dans « l’humeur », elle a recommencé, attrapé sa veste à effet seconde peau, un cuir brun camel souple, une silhouette « sobre, simple », qui ne nie rien du rapport masculin-féminin, avec un petit pas de côté, ses escarpins dans ce ton adoré qui mettent en valeur son cou-de-pied gracieux, il la trahit avec éclat. Caroline Cornélis est danseuse.

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Enfant, elle voulait « entrer dans une exigence », parcours classique d’une fillette qui rêve de tutus, école des petits rats en internat, Conservatoire de danse à Bruxelles, workshops, travail en contemporain avec Frédéric Flamand, Michèle Noiret, Paulo Ribeiro. Et puis, découverte en s’élançant un jour devant un public d’enfants, c’est là qu’est sa place, elle y a trouvé l’union parfaite de « l’exigence artistique » et de « la transmission ». Son imaginaire est si large que, depuis, elle danse, chorégraphie, dispense des ateliers et, en 2006, crée sa compagnie, à son nom, sous-titrée Nyash, « un mouvement qui propulse le bassin vers l’avant dans une espèce de pivot ». Elle est unique en son genre, parce que dédiée au jeune public. Pour l’heure, Caroline planche sur un spectacle titré 10 h 10, il sera question de cour de récré, tout est à construire ; ce qui n’est pas le cas de Stoel, qui a fêté sa centième en octobre 2016, tourne en Belgique et ailleurs, parle aux 3 ans et plus, d’espace à partager, deux danseurs, quinze chaises et des envolées. Un jour, Caroline mettra en scène et en mouvement un mini-théâtre de pieds, son élégante obsession, avec pour sûr quelques ballerines rouge orangé.

www.carolinecornelis.be

Brigitte Chanoine, recteur de l’Ichec

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Dans la fémilangue, on ne lui donnerait jamais du « madame le recteur », pourtant, elle s’en accommode et s’abstient d’y ajouter un « e » ou de féminiser le substantif, s’appuyant sur la définition du dictionnaire qui fait plutôt référence aux plumes de la queue des oiseaux. Toujours est-il qu’en Belgique francophone, Brigitte Chanoine est la seule à occuper le poste, depuis septembre 2008. Elle n’y voit que des atouts, « je suis différente de tous ces messieurs », lâche-t-elle rieuse, rien de lourd à porter donc, si ce n’est la charge de travail. Une école à gérer comme une entreprise, une équipe de 200 personnes à motiver et 3 300 étudiants à mener à bon port, elle sait de quoi il en retourne, elle est passée par là, promotion 1988, puis plus tard, comme professeur pendant dix-huit ans.

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Quand elle endosse la panoplie de recteur, elle opte pour le pantalon – « l’impression de marcher plus vite, d’être en action », le mouvement est son essence. Qu’elle associe également à une veste longue, pour la beauté de l’impulsion, cette dynamique élégante qui veut que les étoffes suivent les gestes de celle qui les habite. Pour finir le tout, elle noue à son cou un foulard de soie, avec motifs africains. Y lire en filigrane l’amitié – le cadeau d’une complice pour fêter la fin de sa thèse. Y décrypter aussi son amour pour le continent noir – elle y a passé sa toute petite enfance, deux ans à peine, suffisamment pour conserver intacts la fascination et le sentiment d’un « retour aux sources » quand elle y accompagne ses étudiants engagés dans des projets au Bénin et au Burkina Faso. Elle qui a tant aimé enseigner, « former les jeunes de demain », « être confrontée à eux de manière intensive », s’est octroyé ce plaisir, elle a conservé un cours. Ses trois grands enfants n’y ont rien trouvé à redire, ils savent qu’elle réunit sa passion première et son talent inné à diriger. Avec cette fougue joyeuse qui la définit parfaitement.

Lucile Poulain, animatrice radio

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

L’image ne dit hélas rien d’une voix. La sienne fait vibrer les harmoniques, un peu voilés, avec gouaille de titi parisienne, même si elle est bordelaise d’origine et bruxelloise d’adoption, depuis 2011. On peut l’entendre en radio sur Pure FM, à condition de choisir le créneau horaire de 6 à 9 heures. Autant dire que ses soirées ressemblent à ses nuits. Et qu’elle n’a plus le loisir d’écrire jusqu’à plus soif, elle qui s’est fait la promesse de ne jamais lâcher sa passion pour les mots couchés sur papier – elle l’a d’ailleurs tatouée sur son poignet droit, des points de suspension entre guillemets, l’ex-étudiante en lettres modernes sait comment se tenir droite. Se sentir forte est une autre affaire. « Etre soi-même dans son plus simple apparat », chiche.

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Oser porter une jupe, « la prise de risque totale », ne plus s’interdire la quintessence de la féminité, abandonner la carapace qui camoufle mal les complexes adolescents, y superposer un chemisier fluide, masculin, sur lequel s’affiche une montre bijou et qui, de dos, dévoile parfois un autre tatouage, un pique, elle en est la dame. Son histoire d’amour et de haine avec les vêtements tend à s’apaiser désormais. A 27 ans, elle qui « ne touite pas souvent mais parle beaucoup trop en vrai, donc ça compense », avoue sur Instagram sa passion pour « la radio, les lettres et autres démons », elle y voit « une vraie continuité », « soit je me parle, soit je parle aux autres, soit j’écris, il y a une fluidité des mots, du langage sous toutes ses formes ». Aucune coïncidence, son livre du moment, dans une magnifique édition tendue de cuir embossé, a pour titre Les mémoires de Zeus, pour signature Maurice Druon. Et si elle porte des baskets blanches, ce n’est pas non plus par le plus grand des hasards, Lucile Poulain a trouvé sa voie.

Nedda El-Asmar, designer

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Tout dans son studio anversois, qui porte son prénom, dit son amour des lignes. Cela vaut pour les objets qu’elle rêve, pense, dessine – poignées de porte pour la maison Vervloet, filtre à café ou à thé revisitant celui de l’Expo 58 pour Kawatee, bague pour Diamanti Per Tutti, narghilé pour Airdiem, pichet pour Puiforcat, selle pour Hermès, chaise-à-secret pour Vange, la liste n’est ni chronologique ni exhaustive. Cela vaut pareillement pour ce qu’elle revêt, presque toujours monochrome, de préférence noir, voire gris, comme cette veste griffée Haider Ackermann qui lui plaît parce qu’elle est « simple ». Nedda El-Asmar connaît la puissance de la simplicité, surtout si elle est intemporelle.

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Quant aux chaussures, c’est là qu’est son petit secret – une pointure singulière, du 42, qui longtemps l’empêcha de se laisser aller à tous ses rêves alors qu’elle s’imagine parfaitement en collectionneuse acharnée. Sur la photo, elle n’a pas tranché, elle porte des boots et des open toes, comme autant de sculptures, extrêmes, qui viennent finir sa silhouette intemporelle. Pourquoi choisir ? De même quand elle crée, elle ne s’enferme guère dans un produit ou une matière, malgré sa prédilection pour le métal. Car comment faire fi d’une formation d’orfèvre-joaillière au Royal College of Arts à Londres et à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, où elle enseigne et dirige la section depuis 2007? Ennoblir la vie, nuits comprises, la belle mission. Quand il s’est agi tout récemment de réinventer un lit, elle a fait appel à ses souvenirs enchantés, à La princesse au petit pois, l’a baptisé Hans Christian en hommage et y a vraiment glissé quelque chose qui ressemble à ce mini-légume sous des couches et des couches de matelas que le savoir-faire de la maison Magnitude a magnifiés. Elle n’a rien oublié des contes de fées.

www.nedda.be

Isabelle Arpin, « cheffe de manger »

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Elle est à contre-courant pour tout. Surtout, ne lui imposez pas le tablier blanc ni la toque de chef. Encore moins les sabots de cuisine. Elle enverra tout valdinguer pour mieux enfiler son pantalon noir, ses bottes et sa chemise en jeans. Sur ses épaules, elle jettera son perfecto en un geste vif digne de la rebelle qu’elle est. Et aucune étoile n’y changera quoi que ce soit. Isabelle Arpin est « cheffe de manger », au Wy by Bart De Pooter pour le moment, c’est ainsi qu’elle se profile sur Facebook, admirez la lueur d’espièglerie dans son regard. Elle a grandi à la campagne, près de Dunkerque, et goûté toute petite aux légumes du potager et à cette cuisine venue d’ailleurs que frichtouillaient les marins africains dans la cantine des bateaux containers, ça laisse des traces plus belles que des souvenirs. Si elle étudie la finance, c’est pour mieux bifurquer, par hasard, après un job d’été dans un restaurant du nord, deux jours de salle et puis basta, à elle la découverte des fourneaux et les études en accéléré.

Cinq wonder women nous parlent de la fringue qui les rend (encore) plus fortes
© Julien Claessens

Et déjà ce style si personnel où la créativité bouscule l’assiette, qui doit être « belle, graphique et colorée », avec épices et mélanges « improbables », c’est encore meilleur, « du chou-fleur avec du chocolat ou des huîtres avec du thé noir », et pourquoi pas? Avec elle, il faut que cela aille vite – l’essentiel, c’est par là. On comprendra son goût pour les produits ultrafrais, une carte volontiers « petite » et l’indispensable cohésion de son équipe, « sans batterie, on n’est rien ». En mars prochain, elle reprendra sa liberté, portant à bout de bras un projet forcément culinaire dont elle ne dit rien encore, un peu beaucoup par superstition. Elle ne craint pas les défis, Isabelle, elle les brave et plutôt deux fois qu’une. Libre et gourmande. Son blouson en cuir la protège.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content