Fashion Week Paris: + 50% au rayon frais du Chanel shopping center

© Chanel/Olivier Saillant

Mademoiselle Chanel et Karl Lagerfeld plongent la mode dans un univers imaginaire de grande surface. Tout est bon dans le jambon Cambon.

Le Grand Palais majestueux a muté, il a viré sa cuti, s’est mué en grande surface, avec code couleur grande distrib’, du rouge, du bleu canard et du jaune, plus des affiches criardes qui annoncent qu’aujourd’hui, c’est « promotion sur les noix de coco et fruits de saison » et que « le rayon bricolage est ouvert le dimanche ». Seul Chanel peut se permettre de mêler les torchons avec les serviettes.

La maison fait dans le supermarché, avec caddies en plastique rouge et bleu, plus logo, rayons frais, vin, eaux-de-vie, riz, thé (jasmin dragon pearls) et café (La Pausa). Dans ce mirage de temple de la consommation, on trouve de tout : des confitures de tante Adrienne, du miel de Camélia, des flageolets à la bénédictine du Jardin de Gabrielle, des choux de Bruxelles/ Brussels sproutjes, du Cocolza, de l’huile d’olive du domaine de Roquebrune, du lait de Coco, des cubes Chanel bouillon culinaire, des liqueurs Mademoiselle, des farfalles à la semoule de blé dur, cuisson 11 minutes 2 KL. Ici, tout est à + 50 % tout de suite, même le Cocochoco. Les néons diffusent leur lumière blafardes tandis qu’au micro, on demande madame Martine au rayon fraîcheur. Des jeunes filles en basket font leurs courses, logique dans un Chanel Shopping Center. Elles ont de l’allant, une queue de cheval avec dreadlocks et rubans, portent parfois un panier strassé avec sac au deux C dedans ou des mitaines qui rappellent celle du créateur Karl Lagerfeld.

Tout est faux mais pas fake Après l’art soluble dans la mode, et inversement, le démiurge donne encore une fois dans l’extra-ordinaire, avec légèreté. Car dans ce méga magasin qui ressemble surtout au souvenir de nos jeux d’enfants, tout est faux mais pas fake, c’est Alice aux pays des merveilles, avec distorsion-dérision, une mise en abyme mise en scène.

Cara Delevingne ventre à l’air dans un petit top court, chaine sur le nombril et legging troué proprement, sous un grand manteau de tweed rose et gris qui fait envie, musarde entre les rayons et se sert, sans trolley, à même les mains en flasques de breuvage Paris-Dallas, l’ivresse n’est pas loin. Un couple chic qui vient chercher de quoi se faire un petit souper, en revenant de la rue Cambon, promène dans les rayons ses grands sacs blancs lisérés de noir, avec camélia, tandis que 78 silhouettes montrent un automne-hiver 14-15 chanelissime.

Les tailles sont corsetées, le short se porte sur pantalon large, les couleurs vibrent avec les étalages – rose betterave, orange carotte, vert salade, nude coquille d’oeuf ou jaune moutarde. Comment choisir parmi ce trop-plein ? Même les imprimés géométriques font dans l’abondance. C’est que monsieur Karl pour Mademoiselle pose la question de la solubilité de la mode dans le prêt-à-jeter qui semble avoir saisi le monde. Le questionnement n’est pas vain.

Pourtant jamais Chanel ne joue les donneurs de leçons. A la sortie, il faut passer par la case « caisse » où il n’est absolument question d’argent, mais de cadeau, avec en guise de souvenir, trois vernis – couleurs Mirabella, Sweet lilac, Eastern light- et un gloss Murmure. On peut sourire de tout, même de l’hystérie fashion, mais pas avec n’importe qui.

Anne-Françoise Moyson

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