Fashion Weeks été 2018 : ce qu’il ne fallait pas rater

Versace © IMAXTREE

A Paris et Milan, les créateurs ont fait défiler des collections souvent enthousiasmantes. En toile de fond, le formatage Instagram et une révolution digitale nostalgique des années 90. Compte rendu.

Quand le rideau se lève, elles sont là, impassibles. Mais leur coeur bat sûrement la chamade à l’idée de revenir sur les podiums qu’elles ont tant foulés, dans les années 90. De gauche à droite, il y a Carla Bruni, Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Cindy Crawford et Helena Christensen. Toutes, âgées entre 47 et 51 ans, le corps superbement drapé dans des robes en maille métallisée, qui ressemblent à celles que Gianni Versace imaginait pour elles à l’époque. Des supermodels iconiques qui suscitent toujours autant l’engouement, à en croire le nombre de téléphones qui ont immortalisé cet instant, avant de le répercuter sur les réseaux sociaux. Un vrai bonus pour la maison italienne, qui maîtrise parfaitement les codes de la communication digitale.

Givenchy
Givenchy© Imaxtree

Plus tard, à Paris, on reverra encore l’ex-madame Richard Gere et son célèbre grain de beauté, lors d’événements organisés par la marque de montres Omega, dont elle est l’égérie depuis plus de vingt ans. La blonde allemande, pour des dédicaces de son livre célébrant ses 30 ans de carrière. Et celle que l’on surnomme la Panthère, en clôture du show d’Off-White.

Autres personnalités fashion à avoir recueilli bon nombre d’applaudissements et de mentions sur Instagram ? La créatrice Clare Waight Keller, qui a quitté Chloé pour faire ses débuts chez Givenchy. Pour l’occasion, la Britannique troque son vestiaire doux et gipsy pour des pièces de caractère qui allient touches rock, contemporaines et féminines. Chez Chloé justement, on retrouve la nouvelle arrivée, Natacha Ramsay-Levi, une fidèle de Nicolas Ghesquière, aux côtés de qui elle a démarré en 2002 chez Balenciaga, avant de le suivre chez Louis Vuitton. Sans doute encore influencée par ces années de collaboration, sa femme Chloé est empreinte de modernité graphique, sa nonchalance bohème ne transparaissant qu’à travers quelques volants, çà et là.

Et puis, pointons aussi le couple qui officie désormais à la tête du label italien Jil Sander. Lucie (ex-Dior) et Luke Meier (ex-Suprême) rendent à nouveau la marque désirable, par le biais d’un dressing épuré et minimaliste. Un show présenté au pied de la nouvelle tour imaginée par l’architecte Zaha Hadid. La localisation parfaite pour générer de beaux clichés. Car c’est dorénavant cela aussi, les Fashion Weeks : scénariser le lieu, la lumière et les looks pour provoquer un maximum de mentions sur Instagram. Ou quand la réussite d’un show se mesure au nombre de photos publiées et de likes recueillis.

Yves Saint Laurent
Yves Saint Laurent© Imaxtree

Le poids des images

Ne pas défiler n’importe où. Trouver l’endroit qui fera date, procurera des sensations qui n’ont rien de virtuel, créera la surprise et des images à hashtaguer. Y ajouter un petit truc en plus. Saint Laurent s’invite au pied de la tour Eiffel, le long des fontaines du Trocadéro, et débute son show quand la Dame de fer se met enfin à scintiller, à 20 h 03, avec léger retard pour cause de Lenny Kravitz bloqué dans les embouteillages. Givenchy investit la salle des pas perdus du Palais de Justice, une première grandiloquente qui permet à sa créatrice, Clare Waight Keller, de faire percuter le noir et le blanc, les imprimés animaliers et des épaules très construites.

Chanel
Chanel© Imaxtree

Chanel transforme le Grand Palais en gorges du Verdon et laisse Karl Lagerfeld s’amuser avec le plastique protecteur sur tweed et tissus iridescents. Louis Vuitton s’enfonce dans le Louvre médiéval, mur de gros moellons crème et fondations ancestrales, pour une joute toute ghesquièrienne avec mise à l’honneur de redingotes xviiie siècle – le clash des civilisations. Nina Ricci reçoit sur le perron de l’Hôtel national des Invalides tandis qu’un grand vent fait voler la poussière, les épaulettes militaires, les boas et que la Symphonie N°7 de Beethoven vous emporte. Et quand, après une cavalcade éblouissante, les mannequins se figent sur les escaliers, que Guillaume Henry vient saluer, la salve d’applaudissements et d’Instagram est à la hauteur de cette alchimie particulière ici réussie qui réunit tout – inspiration, vêtements, atmosphère – pour atteindre l’acmé.

Paris is back

Thom Browne
Thom Browne© Imaxtree

On a dit un peu trop tôt que Paris était fini, que la Ville lumière s’endormait sur ses lauriers – avoir  » créé  » la haute couture ne donne pas tous les droits. Mais c’était sans compter sur son haut pouvoir attractif et sur une émulation réjouissante boostée par les 83 défilés au programme et les 23 nationalités présentes, vive le multiculturalisme. Les Américains ont fait le déplacement, à la suite de Proenza Schouler et Rodarte qui défilent déjà en janvier durant la couture. Joseph Altuzarra a osé faire une infidélité à New York qui l’a adoubé, le créateur préférant la ville qui l’a vu naître, tandis que Thom Browne clôturait la Fashion Week avec un show oblitéré 100 % onirique Welcome in Disneyland. Pour fêter ses 85 ans, l’honorable maison fondée par René Lacoste s’est fendue, elle aussi, de la traversée de l’Atlantique, cela faisait treize ans qu’elle boudait les courts parisiens. En plein air, avec une décontraction toute contemporaine, elle a prouvé, au masculin et au féminin, que son crocodile était toujours parfaitement jeune.

Ugly Shoes

Balenciaga
Balenciaga© Imaxtree

Demna Gvasalia les trouve tout à fait conformes à l’esprit Balenciaga, le directeur artistique géorgien formé à l’Académie des beaux-arts d’Anvers en a dès lors chaussé ses mannequins pour l’été.

Mais en version  » Foam « , plate-forme de dix centimètres et customisation avec pin’s maison.

Une certaine esthétique de la laideur et du cheap qu’il n’est pas le premier à revendiquer : depuis deux saisons, Christopher Kane s’est emparé de ces sabots en plastique increvables.

Bouquet de lilas

Qui dit nouvelle saison dit nouvelle gamme chromatique. Celle de l’été 2018 variera principalement entre le parme et le lilas.

MaxMara
MaxMara© Imaxtree

Des teintes douces, qui s’inscrivent dans l’avalanche de pastels constatée dans les collections, où les verts d’eau et céladon tirent également leur épingle du jeu.

Mais pas question de se la jouer guimauve pour autant. Ne pas hésiter à bousculer tout ça, à coups d’oeillets métallisés, comme chez Bottega Veneta, ou de dentelles d’un nouveau type, façon Salvatore Ferragamo.

Humeur humour

Il n’est pas sûr que la mode n’ait pas d’humour. Elle est certes la plus forte pour se moquer d’elle-même, mais avec un entre-soi un peu langue de vipère.

Moschino
Moschino© Imaxtree

Parfois pourtant, elle a des instants de grâce et ses clins d’oeil ont la beauté exquise d’un sourire de Joconde.

Moschino prend le bouquet final au pied de la lettre et enrobe Gigi Hadid dans une gerbe de fleurs emballée, assortie d’un mot doux,  » I love you « . Yohji Yamamoto place dans les dos si troublants de ses mannequins qu’il n’aime guère dénuder un petit sticker où l’on déchiffre un  » Love Yohji Sex « , comme un contre-pied au voyeurisme 2.0. Christelle Kocher s’amuse avec ses silhouettes Femme, ex-tomboys devenus plus sylphides qui aiment toujours le foot et la dentelle, démontrant qu’on peut porter une vareuse Fly Emirates sans être littérale. Smiley.

La révélation

Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à sa mère, le point de beauté à la commissure des lèvres en moins.

Fendi
Fendi© Imaxtree

Pour sa première saison de Fashion Weeks, Kaia Gerber a fait sensation sur les podiums des plus grands créateurs.

A tout juste 16 ans, la fille de Rande Gerber et de la top model Cindy Crawford a démontré qu’elle avait tout d’une grande. Démarche féline, moue enfantine et teint mat, la jolie brune a irradié tout au long de ces quatre semaines de défilés.

On l’a notamment vue chez Alexander Wang, Marc Jacobs, Burberry, Prada, Fendi, Versace, Saint Laurent ou encore en ouverture du show Chanel. De quoi voler prochainement la vedette à Gigi Hadid et Kendall Jenner ?

Une famille

A quoi reconnaît-on une famille ? A un partage des codes, à un sentiment d’appartenance communautaire, à une filiation désirée, assumée, revendiquée.

Balmain
Balmain© Imaxtree

Quand Rick Owens rhabille les fontaines du palais de Chaillot, la tribu ici présente décline avec une élégance frappante, mais pas tapageuse, le vestiaire de l’Américain basé à Paris et souscrit à son rejet de toutes les laideurs de ce monde et à son esthétique soutenue.

Quand Olivier Rousteing, chez Balmain, laisse libre cours à ses rêves de petit garçon, il foule les moquettes de l’Opéra Garnier, pare ses murs de roses blanches et pousse le curseur du glamour à son maximum – ses créatures, mannequins, invitées, influenceuses sont des héroïnes superstars décomplexées.

Quand Simon Porte Jacquemus rend hommage à sa mère, et par là même à toutes les filles qu’il aime, il travaille sur sa muse Danyrose Langeron  » pour sa façon d’être et de marcher « , le gang des Jacquemus’s girls se reconnaîtra.

Fémin(art)istes

Dior
Dior© Imaxtree

Qu’ont en commun les collections printemps-été 2018 de Prada et Dior ? Toutes deux mettent en avant des artistes se démarquant par leur engagement féministe.

La première imprime sur ses looks des illustrations d’auteures de bandes dessinées dont les personnages sont loin des stéréotypes de genre – la Britannique Brigid Elva, l’Américaine Joëlle Jones, la mangaka japonaise Natsume Ono ou encore l’Espagnole Emma Rios.

La seconde reprend les propos de l’Américaine Linda Nochlin qui, en 1971, cherchait à comprendre pourquoi l’histoire de l’art ne retient que de grands noms masculins. La réponse est sans équivoque : parce que ce sont les hommes qui l’écrivent, cette histoire. Une ineptie qui a donné envie à Maria Grazia Chiuri, à la tête de la création pour la maison parisienne, de célébrer le travail de Niki de Saint Phalle.

Dries Van Noten
Dries Van Noten© Imaxtree

Au détour d’une robe, d’un corsage ou d’un tee-shirt, on retrouve dès lors les graphismes colorés et subversifs de la Française, décédée en 2002.

Les Belges

Malgré la réorientation d’A.F. Vandevorst qui a décidé de ne plus se consacrer qu’à l’accessoire et la fin de la griffe Veronique Branquinho, les Belges continuent à faire les beaux jours de la Fashion Week parisienne.

En leur nom ou à la tête des grandes maisons. Fidèles à leur(s) vision(s), ils travaillent à épurer jusqu’au noyau ce qui les constitue. Des variations sur un même thème, cher à chacun, la joie en plus et la sérénité de concert. Comme une profession de foi. En maître de file incontesté, Dries Van Noten a baptisé sa collection  » L’optimiste « .

Jil Sander
Jil Sander© Imaxtree

La sexy attitude moite de Véronique Leroy n’en est guère éloignée, de même les messages d’amour calligraphiés en farsi chez Christian Wijnants, le  » Kids forever  » revendiqué par Sébastien Meunier chez Ann Demeulemeester, la déconstruction enthousiaste et contemporaine de Glenn Martens pour Y/Project et l’élégante transparence d’un Olivier Theyskens qui entre au musée, au MoMu d’Anvers, pour se retourner sur ses 20 ans de création fascinante.

Jouer franges-jeu

Elles sont ultralongues et bougent en cadence, au rythme des pas. Les franges seront de tous les looks ou presque, la saison prochaine.

En corde ou en soie fragile, larges ou extra-fines, en rangs réguliers ou en ordre aléatoire, les exemples à suivre sont légion et les déclinaisons nombreuses, entre Nina Ricci, Paco Rabanne, Calvin Klein, Jil Sander ou Vionnet. Attention aux noeuds !

Avoir la banane

Gucci
Gucci© Imaxtree

Nouvelle illustration de l’influence que peut avoir la griffe en vogue Gucci sur la sphère fashion.

Après avoir recopié ou réinterprété ses mocassins mules ou ses patchs rebrodés, la voici qui reprend à son compte la banane, accessoire initialement préféré par les touristes de base, au même titre que le combo chaussettes blanches et sandales.

Un sac qui se multiplie comme des petits pains, que ce soit chez Marc Jacobs, Balenciaga ou Sportmax. A porter à la taille, nonchalamment sur une épaule ou carrément en travers de la poitrine, question de style.

Par Anne-Françoise Moyson et Catherine Pleeck

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