Fluomania sur la mode cet été

Comme passées sous acide, les couleurs du vestiaire estival, taillées en aplats massifs, n’ont peur de rien.

« Euphorisante », dit Cédric Charlier, directeur artistique de Cacharel, pour qualifier sa collection qui butine dans la palette fluo, oranges et roses en tête, avec une oeillade à Yves Saint Laurent, « mon maître ès couleurs », dit-il. « Une princesse Margaret sous acide », lance pour sa part Christopher Kane à propos de la muse imaginaire de son défilé, où les pièces les plus classiques sont ripolinées de couleurs néon.

Proposition psychédélique, dopée au Stabilo Les fluo kids de la mode semblent avoir travaillé sous substances stimulantes pour nous livrer telle proposition psychédélique, dopée au Stabilo et à la tonicité gagnante des années 1980. Pour le reste, le fluo va de pair avec des formes graphiques et puissantes, telles les coupes simplifiées à l’extrême de Raf Simons pour Jil Sander, qui fait monter le volume avec ses jupes longues de bal techno, ses parkas oversized et ses robes bouffantes jaunes, vertes, bleues, orange… « On note dans cette architecture simple, nette, très dessinée, une volonté affirmée d’être moderne, de sortir de la citation du passé », relève l’historienne Catherine Ormen, spécialiste du patrimoine culturel des maisons de mode. Même les lèvres des mannequins sont peintes en rose flashy – et les plus sceptiques devant la « fluomania » pourraient ne retenir que cette proposition cosmétique.

Une envie de joie et d’insouciance

Ce qui est moins hallucinatoire que la palette, c’est peut-être l’explication de celle-ci. Simpliste, mais efficace: après le beige bourgeois tout en retenue -ennui?- de l’hiver dernier, les créateurs se sont fait plaisir en bouleversant le cycle des tendances. Une envie de joie, de légèreté, d’insouciance les saisit, comme un voyage en mer du Sud, tendance bleu électrique, sous un soleil irradiant. « Le beige aristocratique, celui de Nabokov sur les bords du lac Léman, ce neutre de bon goût, laisse la place à des couleurs pétaradantes peu habituelles sous nos contrées », détaille l’historien des couleurs Michel Pastoureau, auteur d’un intime et passionnant livre, Les Couleurs de nos souvenirs -Seuil-. « En Inde, l’entrechoc du rose et de l’orangé est très fréquent et chargé positivement, car ce sont des pigments presque religieux, attachés aux célébrations divines. »

Un shoot flashy, et ça repart

La tendance naïve à croire que les couleurs égaient la vie ne date pas d’hier. « Au Moyen Age, après la grande peste et la crise climatique et politique qui l’a accompagnée, la classe noble a fait preuve d’une excentricité vestimentaire stupéfiante, notamment par l’usage de chaussures pointues et de couleurs très vives; ce qui choqua infiniment les moralistes », rappelle Michel Pastoureau. Vous êtes à plat? Un shoot flashy, et ça repart…

3 questions à Cédric Charlier, directeur artistique de Cacharel Quels sont vos premiers souvenirs de fluo? Mes baskets Converse jaune fluo et, évidemment, les Stabilo sur les bancs de l’école. J’adorais déjà ces couleurs saturées et je m’en colorais les doigts. Né en 1978, je suis aussi de cette « génération bonbon » élevée aux sucreries chimiques. Le fluo pour moi est donc chargé positivement, il m’évoque un univers enfantin, une histoire d’innocence.

Ce sont ces émotions très positives que vous avez cherché à restituer cette saison?
Oui, j’avais envie d’une collection euphorisante. Une dose de vitamines « coloristiques », si je puis dire! D’où une palette solaire, diffusant énergie et chaleur, emplie de roses et d’orangés en particulier. J’étais en quête de sensations fortes, de bien-être, je voulais suggérer des vacances inconscientes. Les mannequins défilaient d’ailleurs dans une lumière irradiante et joyeuse, poussée jusqu’à l’éblouissement.

Quels conseils donneriez-vous pour s’approprier ces couleurs?
N’hésitez pas à pousser le fluo jusqu’au total look. Dans une telle expérience, on doit assumer une certaine affirmation de soi. Un manifeste de joie de vivre, crié au monde!

Katell Pouliquen