Interview : Jean Paul Gaultier

Rencontre avec Jean Paul Gaultier, un précurseur qui a désacralisé la mode.

Il a fait porter des jupes aux hommes et corseté les femmes, pour mieux les libérer. Rencontre avec Jean Paul Gaultier, un précurseur qui a désacralisé la mode, autour de six tableaux.

La Femme
« J’ai été élevé, comme beaucoup d’enfants, par des femmes. Mais c’est particulièrement vrai dans mon cas : outre ma grand-mère, qui a énormément compté pour moi et que j’adorais, j’avais beaucoup de tantes, de cousines… Et je me suis vite rendu compte qu’elles étaient toutes plus intelligentes et plus fines que nous, les garçons. J’ai aussi rapidement trouvé injuste le rapport de force qui existait dans la société. Symboliquement, j’ai voulu changer cela en inversant le sens de boutonnage des vêtements des hommes, pour le calquer sur celui des femmes – traditionnellement, les hommes devaient avoir immédiatement accès à leur portefeuille, parce qu’il était évident que c’était eux et uniquement eux qui payaient. Mais j’ai dû faire marche arrière pour des raisons de marché. Les bastions de conservateurs ne se trouvent pas toujours là où on les attend… »

Le croquis
« Un jour, j’ai vu un spectacle des Folies Bergère à la télé – ma grand-mère me laissait décidément beaucoup de libertés ! Le lendemain, à l’école, j’ai dessiné une femme avec des plumes, des paillettes et des bas résilles. La maîtresse, après m’avoir donné un fameux coup de règle sur les doigts, a épinglé le dessin dans mon dos et m’a fait faire le tour des classes, pour me faire honte. C’est exactement l’effet inverse qui s’est produit. Pour la première fois, j’étais celui qui faisait rire les autres, l’impertinent, le gai luron. Ce fut un déclic. J’ai compris que mes dessins m’ouvraient des portes, et j’ai voulu en vivre. J’ai arrêté de mentir. »

La révolution
« Contrairement à ce que certains aiment prétendre, jamais une réelle révolution n’est arrivée par la mode. La mode est toujours, en fin de compte, au service de la société. Chanel, et même Yves Saint Laurent, qui étaient pourtant de vrais révolutionnaires dans leur domaine, étaient très modestes par rapport à leur travail, et préféraient se décrire eux-mêmes comme des « fournisseurs ». En réalité, les créateurs sont des catalyseurs : tout changement d’habillement qu’on a pu observer était le reflet de changements sociétaux. Donc, tant qu’il n’y aura pas de vraie révolution dans la société, il n’y en aura pas en mode. Quand j’ai dessiné une jupe pour homme, c’est tout simplement parce qu’il y avait eu un changement du regard de la femme sur ce dernier. Les femmes aimaient à nouveau les voir élégants et sensuels. »

L’Homme objet
« Dès la première fois que j’ai proposé de la mode masculine, j’ai montré un homme-objet – c’était d’ailleurs Jean-Claude Van Damme ! -, que j’ai présenté comme tel. L’homme a toujours été séduisant, mais il était tabou de l’admettre parce que « séduction » signifiait « fragilité ». Mais, là encore, j’ai accompagné un changement qui était bien ancré dans la société. J’ai juste voulu montrer un mec à qui on pouvait dire « sois beau et tais toi ! ». C’est leur droit aussi, aux hommes, de ne pas se sentir toujours obligés de jouer les intellos. Et c’est surtout celui des femmes d’être leurs égales dans cette attente-là. »

L’âme d’enfant
« Etre enfant m’a souvent été difficile. Je mentais tout le temps. Tous les enfants ont tendance à transformer la réalité, mais moi c’était à un niveau supérieur ! Je m’inventais des cousines qui posaient pour des magazines, des origines pieds-noirs parce qu’une petite fille rousse de ma classe qui l’était me fascinait… Je voulais me rendre intéressant, sans doute parce qu’à l’école j’étais rejeté. J’étais la fille manquée, j’avais une certaine fragilité. »

La célébrité
« J’ai besoin, pour réfléchir, d’être seul par moments, de faire des choses « bêtes ». Enfin, plutôt des choses simples et ordinaires. Essayer de rester une journée à ne rien faire, m’alimenter de télé, de films, des passants que l’on observe installé à une terrasse de café… C’est plus difficile aujourd’hui, parce que je ne suis plus anonyme. Quand on me reconnaît et qu’on vient me parler, je le vis plutôt bien, mais je n’ai jamais rêvé de célébrité. Là aussi, les choses ont changé par rapport à mes débuts. A l’époque, on ne faisait pas ce métier pour le côté show off. Aujourd’hui, j’ai l’impression que beaucoup de jeunes choisissent la mode pour devenir célèbres. Ils hésitent sans doute entre chanteur, mannequin ou créateur. La célébrité devient un but en soi. »

Propos recueillis par Delphine Kindermans

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