La mode pour les nuls (mais pas seulement)

© Chanel
Catherine Pleeck

Grandes questions et petits délires: tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la planète fashion et ses derniers rebondissements, sans oser le demander.

Les nouveautés et les enjeux: voici de quoi y voir plus clair.

Pourquoi dépenser plus de 1000 euros pour un blouson griffé (vendu presque à l’identique par une marque de « fast fashion », mais 10 à 20 fois moins cher ?)

Un foisonnement de détails qui justifie en partie le prix, comme chez Prada.
Un foisonnement de détails qui justifie en partie le prix, comme chez Prada.© photos : imaxtree / sdp

Rouler en Lada ou en Jaguar ne provoque pas les mêmes sensations. Tout comme boire un vin du patron ou un nectar classé, manger une lasagne industrielle ou déguster celle concoctée par la mama. Il en va de même en matière de mode. Si les grandes maisons sont parvenues à se hisser là où elles sont, c’est d’abord grâce à leur savoir-faire. Ces petites mains qui cousent et rebrodent une à une des perles à même une fragile mousseline de soie. Ces tissus de grande qualité, fabriqués dans les meilleures filatures. Ces studios de création qui dessinent et composent les collections, recherchent et développent les matériaux de demain. Ces ateliers de fabrication établis en France ou en Italie, en tout cas pour une partie, et dont les ouvriers sont correctement payés.

Ça, c’est pour la théorie. Car, forcément, certaines marques n’hésitent plus, elles aussi, à jouer la carte de la délocalisation ou celle d’un tissu un peu moins parfait, ne soyons pas dupes. Il y a aussi le logo et tout le marketing alentour qui se paient forcément quelques (centaines) d’euros plus cher. Mais quoi qu’il en soit, le processus inventif reste indéniable. Pour s’en convaincre, il suffit souvent de regarder de près l’intérieur d’un vêtement, d’admirer les jeux de découpes, les détails minutieusement pensés. Comparée à ce travail, la copie bon marché fait forcément pâle figure. C’est en tout cas le credo défendu par les maisons prestigieuses, dont Gucci, qui vient d’attaquer l’enseigne américaine Forever 21 pour utilisation trop littérale de son iconique bande vert et rouge.

Quand Forever 21 s'inspire largement des bandes de Gucci.
Quand Forever 21 s’inspire largement des bandes de Gucci. © photos : imaxtree / sdp

Mais ce n’est pas pour autant que le secteur du luxe ne se remet pas non plus en question. Face à la fast fashion, qui n’a parfois pas à rougir de ses propositions stylistiques, il devient difficile de défendre des collections hors de prix, que seuls quelques privilégiés peuvent s’offrir. Sans compter que le consommateur est désormais de moins en moins fidèle à un seul label. Il n’hésite plus à mixer grandes et petites marques, comme un pantalon bon marché sous une veste haut de gamme. Une mutation des comportements qui entraîne une remise en question d’urgence.

Quels sont les derniers tics à adopter cet hiver (en tout cas si on veut jouer à la fashionista) ?

La mode est connue pour capter l’air du temps, mieux que personne. Elle le traduit en tendances. Concrètement, cet hiver, des envies de costume masculin, de peau lainée, de cuir ou de fourrure (lire par ailleurs). Mais, sur les podiums, elle est aussi capable de mettre en avant de drôles de comportements. Gimmick ou véritable parti pris affirmé, chacun jugera. Toujours est-il que certaines attitudes ou détails spécifiques se sont retrouvés sur plusieurs podiums en même temps. Tour d’horizon de ces nouvelles lubies estampillées hiver 2017-2018.

Le format carré

Jil Sander
Jil Sander© Alessandro Lucioni

Les carrures démesurées, lancées par Demna Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga et cofondateur du label Vetements, font des émules.

La couverture

Chanel
Chanel© Alessandro Lucioni

Matelassé et volumineux, on retrouve cet accessoire incongru autour des épaules ou carrément porté à bout de bras, tel un sac.

La superposition

Salvatore Ferragamo
Salvatore Ferragamo© Matteo Valle

Quand les nuisettes se portent au-dessus d’un col roulé, histoire de se prémunir au passage d’un éventuel refroidissement.

La chaussure rouge

Fendi
Fendi© Ivan Lattuada

Repérées chez Jil Sander, Joseph, Prada ou Fendi, les bottes virent au rouge et grimpent parfois jusqu’au milieu de la cuisse.

À quoi servent les défilés (à part exhiber des tenues extravagantes sur des créatures de rêve) ?

A l’origine, il y a 160 ans déjà, le défilé de mode avait pour vocation de présenter les nouvelles idées et tenues d’un créateur, que les acheteuses pouvaient ensuite commander à leur taille. Au fil du temps, l’événement s’est transformé en show, avec musique, lumières et célébrités. Internet et les puissants réseaux sociaux ont aussi changé la donne, permettant de découvrir en temps réel les dernières collections, immortalisées et partagées par tout qui est convié à la fête. Une multiplication des points de vue qui génère un buzz énorme autour des Fashion Weeks et une visibilité bienvenue pour les labels.

Le défilé de Stella McCartney, l'une des marques du géant Kering.
Le défilé de Stella McCartney, l’une des marques du géant Kering.© photos : imaxtree / getty images

Jusqu’il y a peu, c’était donc à celle qui produirait le contenu le plus original / impressionnant / démesuré pour se faire remarquer dans l’avalanche des clichés postés sur le Net. Préférence à des maquillages ultrasophistiqués, aux mannequins les plus en vogue (et ayant le plus de followers), à des looks extraordinaires pensés pour convenir au format carré d’un post Instagram. L’occasion de récolter des (dizaines) de milliers de likes, mais aussi une manière de construire l’aura de l’enseigne, son exclusivité, sa désirabilité.

A force, si ce procédé est bénéfique pour l’image (en échange de moyens financiers indécents, cela s’entend), il n’en va plus de même pour le vêtement en tant que tel. Ainsi, on estime que 30 % seulement des silhouettes montrées sur les podiums seront effectivement commercialisées, les autres rejoignant le cimetière des créations éphémères, conçues expressément pour le show et non pour la rue. Autre fait surprenant, confié par Luca Solca, managing director en charge du secteur luxe pour BNP Exane Paribas, au site de référence The Business of Fashion : les principaux groupes de luxe européens cotés en Bourse vendent finalement très peu de vêtements, comparé aux bénéfices que leur procurent la beauté et les accessoires. Pour Prada, Hermès ou les griffes du géant Kering (Saint Laurent, Gucci, Balenciaga, Stella McCartney…), on tourne autour des 10 %. Il est vrai que contrairement aux sacs et aux chaussures, dont les logos sont facilement reconnaissables, le prêt-à-porter est plus difficilement utilisé comme un marqueur social…

Bref, les raisons d’être d’un défilé ont évolué et continuent à le faire, encore aujourd’hui. Car à la longue, face à cette cohue virtuelle, plusieurs marques vont jusqu’à remettre en question l’existence même de leur show. Ainsi Zac Posen et Rag & Bone, qui ont opté, pour dévoiler leur automne-hiver 2017-2018, pour une expo photo. Même logique pour Hogan, qui a dévoilé ses nouveautés sur écrans géants, avec images animées. Du côté de Sophie Theallet, place à une série de clichés de célébrités portant des pièces de sa nouvelle collection, le tout posté sur le Net. Même les présentations, autrefois réservées aux jeunes créateurs en manque de moyens, suscitent l’intérêt de plusieurs griffes, qui y consacrent autant de budget qu’à un show classique. Moins catégoriques, il y a enfin les labels qui se contentent de déménager leurs festivités, comme Lacoste, Altuzarra ou Thom Browne, qui défileront à Paris et plus à New York, en septembre prochain. Remises en question (de façade).

Qui sont les nouveaux noms de créateurs à retenir (pour assurer lors d’un dîner mondain) ?

L’ère des créateurs superstars est terminée, place à une génération de profils davantage connus pour leur discrétion et leur capacité à embrasser tous les métiers spécifiques à une entreprise de mode. Mais pas de CDI qui tienne, la sphère fashion est réputée pour se séparer des talents qu’elle adulait hier encore. Chaque saison charrie donc son lot d’arrivées et de départs de directeurs artistiques. Les raisons de ces jeux de chaises musicales sont multiples : fin de contrat, mésententes, ventes en baisse, envie d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire de la marque, pressions trop fortes, meilleure proposition ailleurs… Et 2017 n’échappe décidément pas à la règle.

Natacha Ramsay-Levi
Natacha Ramsay-Levi© Getty Images

Le grand jour est déjà fixé au jeudi 28 septembre. Natacha Ramsay-Levi présentera son premier défilé en tant que directrice de la création du prêt-à-porter, de la maroquinerie et des accessoires de Chloé. La Française n’était pas forcément médiatisée jusqu’alors, mais était pourtant en charge de la création du prêt-à-porter Femme chez Louis Vuitton, sous la direction de Nicolas Ghesquière, avec lequel elle a également collaboré durant onze ans chez Balenciaga. Son objectif ? « Défendre une mode destinée à révéler la personnalité de celle qui la porte, une mode qui dessine les contours d’un caractère, d’une attitude, sans jamais imposer un look. »

Clare Waight Keller
Clare Waight Keller© Alessandro Lucioni

Après six ans à la tête de la création chez Chloé, la Britannique Clare Waight Keller a été engagée par Givenchy, pour qui elle présentera le défilé de la prochaine Fashion Week parisienne. Cette amoureuse de la maille, ancienne de chez Gucci, époque Tom Ford, a réussi à donner une véritable identité à Chloé, à coups de longues robes fluides, de chevelures flottant au vent, d’esprit romantique et bohème. Une subtile féminité bienvenue chez Givenchy.

Riccardo Tisci
Riccardo Tisci© Matteo Volta

Ce ne sont pas moins de douze années que Riccardo Tisci a passées chez Givenchy. L’Italien a brillamment réussi à réinventer la marque, avec ses propositions gothiques, graphiques et sexy. Il y avait du noir, des imprimés tout à la fois géométriques, floraux et animaliers. Un romantisme sombre qui n’a pas encore trouvé de maison où se poser, jusqu’à présent…

Fay. La maison italienne s’est séparée du duo créatif Aquilano et Rimondi, au terme d’un contrat de cinq ans, qui avait été prolongé d’un an.

Courrèges. Après deux ans de collaboration, le tandem Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant ont annoncé leur séparation d’avec la griffe parisienne.

Olivier Lapidus
Olivier Lapidus© Getty Images

Le fils de Ted Lapidus, créateur phare des sixties, a été nommé directeur artistique de Lanvin. A 59 ans, Olivier Lapidus a précédemment occupé la même fonction auprès de la griffe qui porte son patronyme, jusqu’à l’arrêt de l’activité haute couture en 2000. Il vient par ailleurs de lancer sa propre maison de couture, 100 % en ligne, pour qui il continuera d’oeuvrer.

Bouchra Jarrar
Bouchra Jarrar© Getty Images

Bouchra Jarrar ne sera restée que seize mois à la tête de Lanvin, propriété de la milliardaire taïwanaise de 75 ans Shaw-Lan Wang, après le renvoi brutal d’Alber Elbaz, son créateur de longue date, apprécié par la critique. Elle y avait imaginé des silhouettes féminines et sexy, fortes de tissus soyeux et du duo noir et blanc. Son départ a été annoncé début juillet dernier.

Quant acheter ce qui sera à la mode aujourd’hui mais ne sera en vente qu’après-demain (ou inversement) ?

Burberry...
Burberry…© photos : imaxtree

Historiquement, la mode a toujours fait défiler sa nouvelle collection près de six mois avant son arrivée en boutiques. Mais avec le poids grandissant des réseaux sociaux, le consommateur lambda se sent désormais frustré : sur son compte Instagram, il repère un sac exhibé sur un catwalk, palpitations, précipitation pour l’acheter… mais déception, il n’est pas encore disponible. Il lui reste à apprendre la patience, quitte à ce que son envie l’ait quitté lorsque ledit accessoire sera effectivement en vente. Pour éviter ce genre de déconvenues, plusieurs marques – Burberry, Ralph Lauren, Tommy Hilfiger, Rebecca Minkoff et Tom Ford – ont drastiquement bousculé leur modus operandi, afin de mettre leurs nouvelles pièces sur le marché dès leur présentation au grand public, ce qu’on appelle, en jargon fashion, le see now buy now (je vois maintenant, j’achète immédiatement).

...ou Tommy Hilfiger, deux griffes qui misent sur le see now buy now... avec succès !
…ou Tommy Hilfiger, deux griffes qui misent sur le see now buy now… avec succès !© photos : imaxtree

Un an après ce big bang organisationnel, l’heure d’un premier bilan a sonné. Pour Ralph Lauren, ce changement a permis de séduire de nouveaux e-shops. Les ventes sur celui de Tommy Hilfiger ont quant à elles augmenté de plus de 150 % juste après le show Tommyland de février dernier, avec une croissance à deux chiffres, pour la deuxième saison consécutive. Chez Burberry, pas de données mathématiques mais on sait que certaines pièces – comme le sac Bridle dévoilé il y a six mois -, ont été sold out en ligne et en boutiques dès la fin du défilé. Honnête, le CEO et directeur artistique de la griffe britannique a confié à la presse qu’il ne détenait pas toutes les réponses et qu’il fallait apprendre sur le tas, avant de faire un constat de la situation. Du côté de Tom Ford, par contre, on a préféré arrêter les frais et revenir au calendrier traditionnel, arguant que le rythme du see now buy now ne s’accorde pas à celui des livraisons en magasin.

Tommy Hilfiger
Tommy Hilfiger© photos : imaxtree

Une conclusionà laquelle sont également arrivées d’autres griffes, comme Loewe ou Proenza Schouler. Ces dernières ont tenté l’aventure de l’immédiateté pour quelques looks seulement, mais sans réitérer l’expérience par la suite. Il faut dire que le changement n’est pas mince, et que toute la chaîne d’approvisionnement s’en trouve perturbée : la marque doit commander ses tissus et faire produire ses collections avant même d’avoir reçu le feed-back de la presse ou des commandes d’acheteurs. Soit un risque énorme pour des sociétés qui n’ont pas forcément de grandes réserves financières ou un réseau de boutiques en propre dans lequel distribuer leur marchandise. Et que dire aussi des maisons de luxe qui souhaitent expressément attiser le désir ou influencer l’air du temps, après de longs travaux de recherche ? Difficile, dès lors, pour le consommateur de s’y retrouver, entre les lignes vendues immédiatement après le show, celles qui le sont six mois plus tard, celles qui font l’objet d’une collection capsule présentée en cours de saison. Soit une remise en question à poursuivre.

Est-ce vraiment raisonnable d’acquérir un sac à plusieurs centaines d’euros (depuis son smartphone, affalée dans son canapé ?)

Dior...
Dior…© photos : imaxtree

Longtemps, les marques haut de gamme ont décrié Internet et le commerce en ligne, considérant que cela ne pouvait en rien remplacer l’expérience et les conseils prodigués lors d’une visite en boutique. Mais c’était sans compter sur les Millennials, ces accros du smartphone nés au début du xxie siècle, attirés autant par une pièce bon marché que par un accessoire hors de prix. Ni sur la love story entre la planète mode et Instagram, un réseau social qui privilégie le visuel avant tout et permet aux enseignes de mode de raconter de belles histoires avec des clichés ultraléchés, de faire vivre leur communauté et de construire leur image de marque.

...Louis Vuitton et Céline : trois maisons dans le giron de LVMH que l'on retrouve sur le site 24 Sèvres.
…Louis Vuitton et Céline : trois maisons dans le giron de LVMH que l’on retrouve sur le site 24 Sèvres.© photos : imaxtree

Dans le secteur du luxe, Internet est peu à peu devenu un canal de vente considérable. La part des ventes en ligne devrait doubler de 6 à 12 % d’ici 2020 selon le cabinet McKinsey, ce qui n’est pas rien, sur un marché total évalué à 249 milliards d’euros. Une part qui devrait même atteindre 18 % en 2025, faisant du commerce électronique le troisième plus grand marché du luxe au monde, après la Chine et les Etats-Unis. Plusieurs nouveaux acteurs se sont spécialisés dans ce segment, à l’instar des plates-formes Yoox, Net-a-Porter, Moda Operandi, PreCouture ou du Portugais Farfetch, qui présente les sélections de concept stores indépendants, générant plus de 800 millions de dollars de ventes au détail en 2016.

Des montants qui donnent le tournis et convainquent les derniers réfractaires d’embarquer enfin dans le train du numérique. LVMH a ainsi lancé en juin son site 24 Sèvres, sur lequel on trouve une vingtaine de labels du groupe français (propriétaire notamment de Dior, Louis Vuitton, Givenchy, Céline…) mais aussi une centaine d’autres. Pour réussir ce challenge, l’expert s’est adjoint les services de l’Américain Ian Rogers, auparavant l’une des têtes pensantes des activités numériques d’Apple, aux côtés duquel travaille une équipe de soixante personnes. Au menu : contenu visuel super esthétique, ambiance chic, collections capsules, belle sélection de pièces allant de 100 à 12 000 euros, conseils de stylistes par vidéo, service impeccable et livraison rapide.

Céline
Céline© photos : imaxtree

Face à cette révolution virtuelle, les boutiques physiques sont obligées de se repositionner. Certaines se transforment en showroom, permettant à leurs visiteurs de découvrir sur place la qualité, l’image et l’univers de l’enseigne, quitte à ce que ces derniers n’achètent qu’une fois rentrés chez eux. D’autres misent sur une relation personnelle avec leur clientèle ou agissent comme un curateur, afin de se distinguer de la concurrence mondiale par leur sélection personnelle. Soit de multiples et épanouissantes remises en question.

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