Paris Fashion, Week Jour 3: contraire à toute fadeur

De Manish Arora à VETEMENTS, avec entre les deux, sans reprendre son souffle, Ann Demeulemeester, Paco Rabanne, AF Vandevorst, Rick Owens et Christian Wijnants. Rien à priori ne lie ces créateurs, hormis ces quelques instants hors normes qu’ils ont eu la délicatesse de présenter en ce jeudi 5 mars – chacun dans son genre, évidemment.

Si le créateur indien Manish Arora verse avec délectation et exagération dans le rose, c’est pour mieux habiller des créatures volontairement guerrières. Tant d’artisanat, de savoir-faire dans l’ennoblissement des matières, de créativité dans les folklores mélangés décape. Sus à la fadeur occidentale.

Quand Sébastien Meunier, pour Ann Demeulemeester, fait dans l’épure, il a tout bon. Ses noirs vibrent, ses rayures jouent la persistance rétinienne et sa robe rouge avec traîne donne l’exacte mesure de son sens du romantisme fougueux.

Si Paco Rabanne s’amusait à prédire le futur, Julien Dossena, breton et talentueux directeur artistique de ce label mythique, parvient à s’ancrer dans le présent avec clin d’oeil au passé. Ses vêtements, vrais et contemporains, ont de l’allant. Et ses robes, ses pantalons et ses tuniques en rhodoïds ne sacrifient rien à la nostalgie – les petites filles de Françoise Hardy les adopteront sans rougir.

Quand An Vandevorst et Filip Arickx, entremêlés dans la vie et dans la mode made in Antwerp, invitent l’artiste Joris Van de Moortel (1983, vit et travaille à Anvers) à penser un happening dans la résidence de l’Ambassadeur de Belgique, rue de Surène, Paris 8ème, on doit s’attendre à être bousculé. Tout est emballé dans du plastique transparent et protecteur, on vous prie à l’entrée d’enfiler une combinaison, des chaussons et un masque, c’est qu’il va y avoir des jets de peinture en direct live, sur un morceau intitulé  » White lies « , joué in situ, curseur volume à fond. L’occasion de faire passer les musiciens du noir au blanc et de faire gicler quelques traînées sur les bottes, robes, capes sublimes d’une collection entièrement noire et grise, où la maille est à l’honneur. Sous les coiffes de Stephen Jones – impressionnant bestiaire pas tout à fait imaginaire, les mannequins portent sur la bouche un masque noir, se posent sur un podium et ne bougent plus, qu’attendent-elles ? Que la peinture sèche sur leurs vêtements ou que l’éternité ne les oublie pas ? Pour le temps de séchage, il y a un doute, mais pour l’éternité, aucun.

Si Rick Owens a baptisé  » Sphinx  » sa collection Homme (laquelle lui a valu les honneurs virtuelles sur les réseaux sociaux pour cause de bites à l’air comme par mégarde), il ne voit pas pourquoi il ne baptiserait pas pareillement sa collection Femme, à la différence qu’il avoue y avoir injecté un peu moins d’  » anarchie « . Pour autant, le décor de béton brut des sous-sols du Palais de Tokyo aurait pu coller au genre. Mais les 40 silhouettes qui se suivent et ne se ressemblent pas, malgré l’air de famille, déclinent l’excès de matière drapée, sculptée, et amplifie donc le volume, devant et dos, à regarder de profil aussi, comme c’est beau. Rien n’est fade avec cet homme venu de Californie. Ni ses couleurs qui semblent ne pas en être, ni son propos architectural (Frank Lloyd Wright et sa Hollyhock house ne sont pas loin), ni son sens de l’humain. Ne pas se laisser impressionner de prime abord, Rick Owens sait ce que vêtir veut dire.

Quand Christian Wijnants s’inspire des photos de Jackie Nickerson de fermiers africains, de leur élégante sérénité et de leur art de la survie, même vestimentaire, on ne s’étonne guère que ce roi de la maille qui oeuvre à Anvers se laisse emporter par son élan. Sur fond de tambours et de palabres, sur un demi catwalk recouvert de terre brun rouge, il donne à voir ce qu’il fait de mieux – que ce soit en mohair intarsia, en gazar effrangé, en soie ou même en plastique. Le contraste des matières nobles et pauvres ne lui fait pas peur. Ni les imprimés d’hibiscus, de feuille de bananier. Ni les cristaux Swarovski quadrillant en grand ses manteaux-couvertures. Tout ceci hurle définitivement son talent.

Si un collectif choisit de signer ses vêtements VETEMENTS, de présenter sa troisième collection dans un club rouge et noir avec backroom à la cave, de provoquer des hourras à la fin de son show et d’oser balancer une interview de mademoiselle Chanel mi vinaigre mi vitriol en guise de bande-son pour accueillir ses hôtes, on comprend que l’on assiste à un feu d’artifices. Réuni sous la houlette de Demna Gvasalia, formé à L’Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers puis chez Martin Margiela et Louis Vuitton, cette dream team de 8 créatifs ne renie pas ses goûts margielesques mais a le mérite de l’ancrer dans la contemporanéité, pas question de regarder derrière soi, ni devant, seul compte le temps présent. Ainsi qu’une garde-robe d’essentiels, avec accessoires, qui privilégie l’oversize, on est en sort tout retourné. La tiédeur n’est pas de mise, merci.

Anne-Françoise Moyson

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