Paris Fashion Week, Jour 8: Chanel se la joue néo-bourgeoise, Vanessa Seward nous emmène chez Mona Bismarck

Quand Chanel vous invite à la brasserie Gabrielle, vous pouvez être certain qu’à l’entrée du Grand Palais, un panonceau vous annoncera  » Complet, 15 minutes d’attente pour une table « . Mais comme vous avez votre place, J. III. 10 en l’occurrence, vous ne vous en faites pas. Vous pénétrez hardiment dans la plus grande brasserie du monde, et la plus carton-pâte, même si tout fait vrai ici sous la verrière, le sol en petits carreaux, les tables rondes avec pied en fonte, les bars avec serveurs en chemise blanche, gilet noir et tablier repassé, le bouquet de fleurs d’un mètre cinquante de diamètre, les toasts odorants, les oeufs mi mollets, les viennoiseries, les oranges prêtes à être pressées, le petit serré que l’on boit sans sucre et la coupe de champagne Perrier-Jouêt Belle époque. Chez Chanel, on ne fait jamais les choses à moitié. C’est sans doute pour cette raison remarquable que se retrouve ici en ce mardi 10 mars 2015 la plus grosse concentration de camélias, de sac aux deux C entremêlés, de tweeds siglés, de stars, de Florence Welch à Marie-Ange Casta, de Yao Chen à Cécile Cassel, et de convertis au karllagerfeldisme, l’une de ces nouvelles églises qui acceptent aussi les chats, avec Choupette en Madonne. Ce qui n’interdit pas non plus la possession de chien, la preuve par cette cliente convaincue qui arbore son sac  » Votez Coco  » et son mini clébard portant chandail noir et blanc maison, trognon. Trèves de mondanités, le défilé  » La French collection  » débute, une porte à tourniquet libère une à une des demoiselles  » très françaises  » et  » nouvelles bourgeoises « , ainsi les a voulues le créateur de la maison fondée par mademoiselle Chanel il y a si longtemps déjà. En hommage, il les chausse d’escarpins sling-back beige à bout noir, à talons carrés et à brides donc, qui font de  » belles  » jambes, le qualificatif est signé KL. Ces Frenchies ont les cheveux plaqués, à la garçonne ou coiffés en chignon lâche avec bandeau noir de danseuse. Elles disparaissent dans des manteaux de tweed ou de laine, portent des vestes à berthe ou grand col, des jupes sous le genou, parfois plus longues, jusqu’à caresser les mollets. Elles s’installent au comptoir sur les chaises hautes, pianotent sur leur téléphone dernière génération, papotent entre filles, tandis que quelques silhouettes mâles dans leur univers osent s’aventurer. Dans leur garde-robe, on trouve forcément des jeans, des slim en cuir, des robes trompe-l’oeil, des jupes tabliers. Et pour jouer les grands soirs, elles réinventent le vestiaire des garçons de café, avec noeud papillon, noir et blanc affiché, dentelle, plumes peintes et ennoblissement façon origami, qui ne sont pas sans rappeler le savoir-faire magnifique des ateliers haute couture de la rue Cambon. Et soudain, cette néo-bourgeoise allurée donne un magistral coup de vieux aux punkettes vues la veille. C’est cela, le miracle Chanel.

Quand Vanessa Seward vous prie d’assister à la présentation de sa première collection, vous y allez sans vous faire prier, justement, car vous savez que cette créatrice élégante se lance dans l’aventure avec sincérité. Il est certain qu’elle y mettra du sien, comment ne pas faire autrement quand on crée une griffe qui porte son nom, après avoir signé des collections capsules pour APC depuis trois ans déjà, fait ses armes chez Loris Azzaro et chez Chanel, rayon accessoires. Pour se dévoiler, elle a choisi la fondation Mona Bismarck (1897-1983), amoureuse des arts, muse de Cristobal Balenciaga et d’Hubert de Givenchy qui avait la réputation d’être la femme la mieux habillée du monde, cela vous pose déjà un décor, un univers. Celui de Vanessa Seward prend racines dans son Argentine natale, son Angleterre d’enfance et d’adolescence, son Paris d’aujourd’hui et son goût prononcé pour un certain chic ultra féminin nourri de souvenirs seventies. Sur un  » Vanessa’s way  » chanté par April March et Lola Kirke, composé pour l’occasion par son producteur de mari, Bertrand Burgalat, la créatrice déroule son vestiaire si bien pensé – du jeans taille haute (surtout pas délavé, ce serait une hérésie) à la robe longue faussement raisonnable fendue sur le côté, de la cape en tweed au jumpsuit porté sur blouse en soie avec imprimé issu des archives de la maison Abraham – Vanessa Seward connaît ses classiques. Dieu que cela est réjouissant une histoire qui débute, s’enracine dans un solide savoir-faire et a les traits d’une jeune femme aux lèvres rouges et aux cheveux de jais. Laquelle, à la sortie, dans le couloir, saluant ses invités, accepte avec ravissement les compliments qu’on lui murmure à l’oreille, bravo.

Anne-Françoise Moyson

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