Propos de vestiaires : cinq experts en style décrivent leur dressing

Ils ne sont pas du genre à se définir simplement par ce qu’ils portent. Mais ne laissent pourtant rien au hasard lorsqu’ils s’habillent le matin. Leur vestiaire est le reflet de leur histoire, qu’il se soit construit dans l’ombre bienveillante d’une figure paternelle… ou en dépit d’elle. Ils n’ont pas d’uniformes de travail au sens strict du terme, bien que l’on attende d’eux, dans leur milieu professionnel, qu’ils aient le physique de l’emploi. S’ils se sentent eux-mêmes dans ces vêtements qu’ils ont pris le temps de choisir avec soin, c’est parce qu’ils les aident aussi à entrer dans la peau du personnage public qui est le leur. Paradoxe ? Pas si l’on admet que l’on est tous un peu acteur de chaque instant de sa vie.

Daniel Abelew, responsable des achats pour les magasins Bouvy

Propos de vestiaires : cinq experts en style décrivent leur dressing
© Frédéric Raevens

« D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé m’habiller. Je devais avoir une dizaine d’années lorsque j’ai demandé à ma mère de m’acheter une paire de mocassins bordeaux, le genre de chaussures que je porte encore aujourd’hui mais que l’on met rarement à 10 ans. Quand mes parents ont racheté Bouvy, j’y ai d’abord travaillé comme étudiant, assez naturellement. Une fois mon diplôme de sciences économiques en poche, mon père m’a proposé de l’accompagner lors des achats et, de fil en aiguille, j’en ai pris la responsabilité. Mes goûts vestimentaires sont somme toute assez classiques mais j’assume pleinement mon côté dandy. Attirer l’attention ne me déplaît pas.

L’accessoire pour moi est essentiel. »

Dans ma tenue, il y aura toujours un petit twist : un pantalon à la cheville, des chaussures originales – c’est ma passion, j’en possède plus d’une centaine de paires -, une jolie montre, une ceinture… L’accessoire pour moi est essentiel, c’est ce qui finit une tenue. L’allure, c’est une question d’attitude, c’est ce que l’on dégage lorsque l’on est bien dans ses vêtements. Ce n’est pas pour cela que l’on est prétentieux. Le style, malheureusement, ça ne s’apprend pas! Mais ça se travaille… Il suffit d’en avoir envie. Le secret, c’est d’oser essayer et de prendre le temps surtout. Mes pièces les plus originales, c’est en général le soir que je les porte. Au boulot, c’est presque inconsciemment toujours le même uniforme, un jeans – ou un pantalon en laine froide, l’hiver -, une chemise bleu clair ou blanche et surtout un cardigan, je dois en avoir dix du même modèle. Le week-end, même si je suis chez moi, je ferai attention à ce que je porte. C’est une question de respect de soi. »

Thomas Mustin / Mustii, acteur et chanteur

Propos de vestiaires : cinq experts en style décrivent leur dressing
© Frédéric Raevens

« Pour le comédien, sur scène, le vêtement est un costume, qu’il n’a souvent pas choisi lui-même. L’envie de jouer, de se déguiser, m’a certainement amené vers ce métier. Dans un film comme L’échange des princesses, qui se passe à la cour de Louis XV, le costume vous donne une stature, il vous aide littéralement à entrer dans le personnage, c’est un vrai plaisir. Les bottes, quand je les enfilais, je « devenais » le duc de Condé! Répéter en costume, c’est un peu comme lorsque l’on commence à travailler dans le décor, au théâtre, ça change complètement les perspectives. Il faut accepter d’abandonner son propre style. Même lors des castings d’ailleurs, j’essaie d’être le plus neutre possible afin d’éviter d’imprimer une image. De cette manière, le réalisateur ou le metteur en scène me voit comme un canevas sur lequel il peut ensuite projeter ce qu’il souhaite.

Le costume vous donne une stature. »

Dans mon dressing, vous trouverez beaucoup de sportswear, du noir, des tons foncés, des sneakers toujours blanches, jamais de pièces à boutons! J’en ai la phobie depuis que je suis tout petit. J’attache beaucoup d’importance à la qualité des matières, tantôt douces, tantôt brillantes, cela dépend. Il y traîne encore un vieux sweat à tirette en molleton kaki Carhartt : j’avais forcé mes parents à me l’acheter lorsque j’avais 13 ans pour faire comme les grands de l’école. Je ne comprends pas aujourd’hui comment j’ai pu porter cela. C’est la musique qui m’a véritablement fait découvrir la mode, Jean Paul Knott d’abord, et puis Giuseppe Virgone, qui m’a conçu mes derniers costumes de scène en fonction des univers qui traversent le show. J’achète, depuis, des vêtements de créateurs, belges surtout, je fonctionne au coup de coeur. Et je m’inspire beaucoup des tenues que je vois portées dans les séries télévisées ou au cinéma. »

Renaud Deru, DJ / producteur et patron du club privé Jalousy

Propos de vestiaires : cinq experts en style décrivent leur dressing
© Frédéric Raevens

« Ma garde-robe est le reflet de mon histoire personnelle. J’ai eu une adolescence plutôt difficile et mes goûts vestimentaires n’y étaient pas pour rien. A l’époque, j’étais fan de The Cure, je rêvais de me maquiller comme Robert Smith, je m’étais même acheté un tee-shirt à l’effigie du groupe. Dès que j’ai pu voler de mes propres ailes, tout l’argent que je pouvais gagner avec mes premiers boulots allait dans mes fringues. Je suis passé par tous les extrêmes, je me suis même décoloré les cheveux en blanc ! J’ai très vite découvert à quel point les vêtements pouvaient m’aider à me mettre en scène, à entrer dans un personnage, ce qui est essentiel pour un artiste. A 40 ans, je peux être considéré comme un « vieux » DJ ; ce que je porte pour mixer, je ne peux plus vraiment le faire à la ville. Je prends d’autant plus de plaisir à choisir mes tenues de scène.

Je suis passé par tous les extrêmes. »

Quand je joue en festival devant des milliers de personnes, j’aime bien que les gens se disent : « C’était sympa la musique du gars avec la drôle de chemise à fleurs. » Ces chemises, je ne les mets qu’une fois. Je les chine dans des brocantes, elles sont uniques. Au quotidien, je m’habille toujours en noir des pieds à la tête : des jeans Lee, toujours, un tee-shirt, un pull Jean Paul Knott usé jusqu’à la corde, un blouson en cuir All Saints qui se patine, jamais de logo visible en tout cas, aujourd’hui j’ai horreur de ça. J’adore les chaussures, je suis fan de Nike Air, mais aussi des modèles en cuir, plus classiques. C’est une des premières choses que je remarque chez les gens. Longtemps, j’ai refusé de mettre des costumes car j’associais cela à la voie que mes parents voulaient me voir suivre. J’ai découvert Café Costume et depuis, il m’arrive même de mixer en complet ! J’aime la touche dandy, la fantaisie, le côté un peu rock des doublures originales que je suis le seul à voir. »

Michel Pennman, architecte d’intérieur

Propos de vestiaires : cinq experts en style décrivent leur dressing
© Frédéric Raevens

« Mon tout premier achat mode a fait polémique à la maison : des chaussures en cuir mauves payées avec mes économies – je faisais alors des petits travaux de peinture pour gagner de l’argent de poche, je devais avoir 15 ans. Ma mère les avait décrétées « horribles », mon père avait plutôt trouvé le choix « intéressant » d’un point de vue artistique. Mon intérêt pour les vêtements me vient certainement de lui. Il a 80 ans et s’habille toujours avec beaucoup d’élégance. Il m’a transmis le goût des belles matières, des produits de qualité, surtout. J’ai horreur des pulls qui boulochent quand on les a portés trois fois ! Si je suis sur chantier, il y fait toujours froid et humide, je vais enfiler l’uniforme de l’architecte : un jeans Levi’s 711 et un col roulé noir!

Mon travail en cours influence mon style. »

Mon travail en cours influence aussi mon style : lorsque je planchais sur l’hôtel bruxellois Hygge, d’esprit scandinave, j’avais tendance à porter du bleu clair. Avec le temps, mes goûts sont devenus plus pointus, cela se verra dans le choix des accessoires – je pense à une paire de bottines à boutons en cuir que j’ai trouvée à New York – ou dans l’attention que je porte à la coupe de mes vestes. Je ne mets jamais de cravate, ce noeud autour du cou, ça fait colis cadeau. Je fais mes achats tous les six mois environ, surtout à Bruxelles, chez Prive Joke notamment pour les jeans et les tee-shirts Comme des Garçons. Si je suis à Londres, je passe chez Paul Smith choisir un costume que l’on met sur place à ma mesure. Je suis aussi un fan des vestes Etro, leurs doublures sont toujours audacieuses. C’est un plaisir pour soi, caché. Tout est dans ce twist : c’est oser une chemise ouverte avec un smoking, une paire de sneakers vertes ou orange avec un pantalon et un veston plus habillés. Le choix du bon bagage aussi, qui vous accompagne partout. »

François La Haye, fondateur de l’agence de communication Brainstorming

Propos de vestiaires : cinq experts en style décrivent leur dressing
© Frédéric Raevens

« J’ai passé toute mon adolescence en jeans, Stan Smith – eh oui, déjà… – et bomber, mais le premier achat mode dont je me souvienne vraiment, c’était un pull à col roulé écru que j’ai gardé au moins quinze ans. Mon père était importateur de meubles design, il allait très souvent en Italie et s’habillait là-bas. Il portait des costumes plutôt déstructurés, très souples dans les matières, alors que mon grand-père médecin ne quittait jamais son trois-pièces avec gilet. Il avait une garde-robe exceptionnelle, tout était extrêmement étudié, dans le plus pur style british. J’ai encore quelques pièces qui lui ont appartenu, j’utilise d’ailleurs son chausse-pied quotidiennement. C’est peu de dire qu’il influence encore aujourd’hui la manière dont je m’habille : à l’agence, je porte un costume de coupe traditionnelle, une chemise à boutons de manchettes, bleue ou blanche, des chaussures parfaitement cirées ; la cravate, c’est optionnel.

Le vêtement me met dans mon rôle. »

Le vêtement me met dans mon rôle : je travaille dans le luxe et, où que je sois, je me dis que je représente mes clients. J’achète peu mais pour durer. J’ai mes habitudes dans quelques boutiques bruxelloises : Crossword, Degand, Bouvy… Je ne suis certainement pas client de la fast fashion, je déteste l’idée d’acheter la pâle copie d’une pièce de créateur. Même pour mes tenues plus casual, la qualité doit être au rendez-vous : j’aime les belles matières, les coupes confortables qui font qu’on se sent bien. Cet été, j’ai découvert la marque californienne James Perse et je me suis offert mon premier jogging, un pantalon en molleton élégant, rien à voir avec les sweatpants en Nylon! Comme tout le monde, il m’est arrivé de commettre un fashion faux pas : un veston jaune à fines lignes bleues. Celui qui me l’a vendu voulait « me faire sortir de ma zone de confort ». Il est toujours dans mon dressing, bien en vue, je ne l’ai jamais enfilé! »

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