Revival disco

Telles des boules à facettes symboliques, flamboyants sequins, tenues lamé or et chaussures à plate-forme insufflent la fièvre du samedi soir à un quotidien parfois morose.

Pour son numéro de septembre, la couverture du Vogue britannique présentait le top-modèle Karlie Kloss vêtu d’un pantalon-leggings or et d’un chemisier en soie aux imprimés années 70, à mi-chemin de Boogie Nights et de Sandy dans Grease – le tout griffé Jonathan Saunders. Les matières chatoyantes « ajoutent un glamour incontestable à la plus simple des tenues, tout en apportant une brillance qui n’est jamais bling », explique Jaime Perlman, directrice artistique du magazine.

Partout, la mode batifole aujourd’hui du côté des paillettes et autres référents disco. Guy Laroche rend hommage à ses propres modèles d’époque, en proposant des robes et costumes couverts de sequins de la tête aux pieds, similaires à ceux que portait alors Mireille Darc. Peter Dundas, chez Pucci, salue le smoking d’Yves Saint Laurent de 1975, et le remanie tout en lamé or, en version ceinturée, évasée et agrémentée d’une épaisse fourrure de castor orange vif. Alexis Mabille, lui, s’inspire de la princesse Leia – La Guerre des étoiles paraît en 1977 – et reprend une esthétique gréco-romaine futuriste avec des robes de coupe Empire ou en hologramme. Et, chez Fendi, voici carrément Joan Smalls déguisée façon Village People, avec ses nattes tressées et ses peintures de guerre, Peau-Rouge provocatrice. « Cette tendance déséquilibre un ordre esthétique plus convenu », dit Renaud Pellegrino, créateur de sacs, chargé de la maroquinerie chez Yves Saint Laurent de 1975 à 1983, et dont la dernière collection personnelle marie satin de soie et cristaux sur des pochettes du soir. « Cela rappelle aux gens une élégance de nuit qui n’existe plus aujourd’hui. »

La même nostalgie se repère du côté culturel. À New York, le Metropolitan Museum of Art consacre une exposition à Andy Warhol, sous le regard de divers artistes des années 70 notamment. Quant au Fashion Institute of Technology, il vient d’acquérir l’oeuvre entière de la photographe Rose Hartman, qui suivit de près la vie du Studio 54 (dont la fameuse photo de Bianca Jagger y faisant son entrée sur un cheval), et dont le livre, Incomparable Women of Style, paraît, en Europe, aux éditions ACC. « Au Studio 54, on voyait Andy Warhol et Jerry Hall côtoyer de parfaits inconnus, qui étaient là juste parce que leur imagination les avait menés à créer des tenues fabuleuses, composées de trois fois rien. L’audace vestimentaire avait créé une nouvelle égalité entre les classes », souligne Rose Hartman.

Aujourd’hui le contexte social n’est pas sans rappeler les années 70. Comme, à l’époque, le politicien Harvey Milk luttait pour les droits des homosexuels, on assiste actuellement à un regain du militantisme en faveur du mariage gay en France. Sans oublier les Pussy Riots, qui peuvent évoquer les pasionarias américaines de cette ère enflammée. Hier comme aujourd’hui, la mode disco est la toile de fond d’une société à la fois en crise et mouvementée. « Aujourd’hui, le travail ne s’arrête jamais, on reçoit ses e-mails vingt-quatre heures sur vingt-quatre – alors, dans un monde qui s’est durci, où la mode est parfois stricte, austère, voire collet monté, quelques sequins viennent apporter une oasis de légèreté », commente la styliste Natalie Yuksel, passionnée par cette période. Si La Fièvre du samedi soir impliquait une attente fébrile des chorégraphies endiablées du week-end – pour oublier le quotidien routinier de la semaine -, aujourd’hui, le travail sans limites est effacé le temps d’une épaulette pailletée, d’un talon miroir ou d’un fard à paupières doré.

« À l’heure actuelle, la mode est plus colorée et pailletée que jamais ; c’est une véritable campagne pro-bonheur.  » Happy is the new chic « , martèle la campagne Morgan. Les gens prennent peu de risques dans leurs achats vestimentaires. Cependant, l’acquisition d’un basique rehaussé de touches festives apporte une valeur affective au vêtement : celui-ci, pourtant simple et pensé pour le quotidien, promeut soudain une idée de plaisir, de liberté du corps. On combat littéralement la grisaille par la couleur », commente Alice Litscher, professeur de communication à l’Institut français de la mode, à Paris. C’est peut-être la grande différence entre la mode disco d’hier et celle d’aujourd’hui : à l’époque, arborer des vêtements de soirée en plein jour eût été impensable. Ceux d’aujourd’hui sont portés avec des touches disparates, au quotidien, avec un blazer (chez Jean Paul Gaultier), ou, par exemple, un détail de cuir holographique sur une robe fourreau droite (chez Hussein Chalayan). « Les années 70 étaient une période à la fois sévère et emplie de légèreté, d’espoir et de vitalité, et c’est un peu ce que chaque sequin raconte aujourd’hui », résume Natalie Yuksel.

Par Alice Pfeiffer

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