Cosmic trip: quand la conquête de l’espace influence la mode

L'inspiration venu du ciel. © DR
Catherine Pleeck

Des silhouettes à l’esprit futuriste, des planètes parsemant un vêtement ou une bougie… D’où vient cette soudaine adoration pour le cosmos ? Les explications sont à chercher du côté des dernières avancées aéronautiques, des films et des séries télé.

Pochette en cuir, Longchamp.
Pochette en cuir, Longchamp.© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Pas une marque de mode qui n’ait sa constellation d’étoiles imprimées ou brodées sur l’une de ses silhouettes, cet automne. De Zara à Nina Ricci, cette thématique se repère dans pratiquement toutes les griffes, de la plus accessible à la plus luxueuse. Chez Louis Vuitton, la ligne Spaceship est une ode au voyage sans frontières, dans laquelle les sacs à main iconiques de la maison sont réinterprétés avec un vaisseau spatial en ligne de mire. Pour faire le buzz, Christopher Kane a envoyé dans l’espace sa collection d’accessoires baptisée Space, ces derniers ayant atteint une altitude de 38 kilomètres – là où la température tourne autour des -64 °C -, avant de retomber sur le sol.

Nina Ricci mise sur les étoiles graphiques pour cet hiver.
Nina Ricci mise sur les étoiles graphiques pour cet hiver.© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Chanel n’est pas en reste et a même fait de cette inspiration le fil rouge de son show. Sur un podium long de 270 mètres ont défilé des prints éclipse, une veste en tweed bleu nuit étoilée, des manteaux à l’aspect futuriste, des étoles matelassées argentées façon couverture de survie, des minaudières en forme de fusée et de planète, des cuirs irisés et métallisés…  » C’est un voyage dans le ciel, au cours des constellations, dans le sillage de l’astronaute Thomas Pesquet « , expliquait Karl Lagerfeld, directeur artistique du label de luxe. Pour scénographier cela, Stefan Lubrina, qui se charge depuis 1994 de mettre en oeuvre les idées de décors du créateur avec une équipe de trente à cinquante personnes, a imaginé une fusée de 37 mètres de hauteur, au centre du Grand Palais, à Paris, avec illusion de décollage en direct, flammes et fumée incluses.

La conquête pour tous

Sneaker en cuir, Tommy Hilfiger.
Sneaker en cuir, Tommy Hilfiger.© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Comment interpréter cette attirance pour la galaxie ? L’astrophysicienne belge Yaël Nazé, toujours partante dès qu’il est question de vulgarisation scientifique, y voit quatre raisons. Tout d’abord, le développement du tourisme spatial. Avec l’évolution de la technologie, l’installation de satellites et de robots, la conquête de l’espace s’accélère :  » L’idée d’aller découvrir de nouveaux territoires n’a jamais été autant à notre portée.  » Si tout se passe comme prévu, encore quelques mois et la société Virgin Galactic, propriété du milliardaire Richard Branson, pourra emmener ses premiers clients dans les cieux, via des vols commerciaux.

Sous-doudoune en polyester, IKKS.
Sous-doudoune en polyester, IKKS.© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

La colonisation de Mars ou le remplacement des avions par des fusées, dernier objectif en date de l’entrepreneur milliardaire Elon Musk, n’y sont pas non plus étrangers.  » Ces projets ne sont plus seulement axés sur l’ingénierie pure et dure. Ils jouent aussi la carte de la multidisciplinarité « , constate celle qui exerce à l’Université de Liège. Ainsi, le créateur de mode Yohji Yamamoto habillera pilotes et personnel lors des vols de la compagnie britannique, via son label Y-3. De quoi donner des envies de déménager son catwalk à des centaines de milliers de kilomètres du plancher des vaches…

Chemisier en polyester, La Redoute.
Chemisier en polyester, La Redoute.© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Autre explication ?  » Cette discipline est de plus en plus médiatisée, se réjouit Yaël Nazé. Ces dernières années, on a beaucoup parlé des sondes comme Rosetta, des exoplanètes, des ondes gravitationnelles…  » Autant de sujets qui attirent l’attention du grand public, en ce compris celle des créateurs. L’arrivée du digital et les récents développementstechnologiques favorisent également l’intérêt des griffes pour ce secteur.  » Il est désormais possible d’avoir des images spectaculaires de l’univers et de les imprimer en haute résolution « , observe l’universitaire. Et puis, il y a enfin toutes les grandes questions que génère l’astronomie, d’un point de vue plus philosophique : d’où vient le monde ? Où allons-nous ?  » La recherche de nos origines titille l’imagination, reconnaît la spécialiste. Sans compter l’excitation de nouvelles découvertes, les aventures potentielles que nous allons pouvoir vivre, en explorant l’univers.  »

Vestiaire de stars

Des matières métallisées pour l'automne-hiver 17-18 de Louis Vuitton.
Des matières métallisées pour l’automne-hiver 17-18 de Louis Vuitton.© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Du côté de nos dressings, cet engouement pour le ciel se traduit de différentes manières. Place à des vêtements rétro-futuristes, comme autant de références aux astronautes de science-fiction.  » C’est l’esthétique de Star Trek ou de 2001 Odyssée de l’Espace. Des lignes pures, des formes géométriques, des palettes relativement monochromes, des matières synthétiques comme le PVC ou le vinyle, des effets métallisés « , relève l’experte. Une tendance qui apparaît déjà dans les années 60, en même temps que les débuts de la conquête spatiale, lorsque Spoutnik et Youri Gagarine prennent leur envol. A l’époque, Pierre Cardin et André Courrèges deviennent les chefs de file de ce courant très influent, rejoints ensuite par Paco Rabanne.  » C’est amusant de constater que cette esthétique et cette vision que l’on se faisait alors de l’espace n’ont pas tellement vieilli. Elles laissent encore aujourd’hui transparaître une impression de modernité.  »

Sweat en coton et polyester, Hampton Bays.
Sweat en coton et polyester, Hampton Bays. © IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Les images astronomiques, qu’il s’agisse de la surface de la Lune, de galaxies ou de nébuleuses, font également un tabac. Les impressions sont réalisées à même le tissu, par flocage ou sérigraphie, à l’instar de ce que l’on voit chez Lacoste, cette saison. Et puis il y a aussi les allusions cosmiques, comme cette multitude de points évoquant la voûte étoilée ou une vision globale de l’univers. Sans oublier les illustrations davantage figuratives, fortement privilégiées actuellement. Les étoiles, planètes, dessins de constellations et autres croissants de Lune s’accrochent aux looks.  » C’est graphique, premier degré, visuel et visible « , considère Elena Van Ginderdeuren, spécialiste en tendances et images, pour le bureau Promostyl, tandis que la scientifique poursuit :  » Ici, l’interprétation est souvent assez libre. On ne tient pas vraiment compte de la réalité astronomique. Mais cela reste intéressant de voir comment la mode se réapproprie ce sujet et exprime un point de vue simple et immédiat sur une discipline qui ne l’est pas toujours.  »

La collection de Philippe Baudelocque pour Diptyque.
La collection de Philippe Baudelocque pour Diptyque.© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Une réappropriation qui se traduit donc jusque dans la mise en scène de ses shows, comme on l’a vu avec Chanel et sa fusée mise à feu… ou dans le décor d’un récent défilé de la maison italienne Etro, signé Philippe Baudelocque. Dans son travail, le Français, formé aux Arts déco, agence harmonieusement anneaux célestes et comètes, esquissant ainsi des animaux fabuleux. On retrouve ceux-ci sur de grands formats, au Palais de Tokyo, mais également, au gré de collaborations passées, sur une robe pour Agnès b., un tapis conçu par Chevalier Edition, un plaid ou un fauteuil. Cet automne, ils ornent trois bougies Diptyque – un phénix, un dragon et une licorne, chacune de ces figures ayant donné son nom à une constellation.  » Je pense que la mythologie et le ciel sont de grandes sources d’inspiration pour beaucoup d’entre nous, justifie l’artiste. Et ce, parce que ce sont des sujets sans âge et universels.  »

Minaudière en résine noire ornée de strass, Chanel (été 18).
Minaudière en résine noire ornée de strass, Chanel (été 18).© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Enfin, celles et ceux qui cherchent à décliner cette vague cosmique au quotidien pourront se tourner vers le blog STARtorialist – subtil clin d’oeil à l’illustre blog de streetstyle The Sartorialist, de Scott Schuman. Lancé par deux chercheuses américaines en 2013, il compile tout ce qui touche à la mode et à la déco, d’un point de vue astronomique. Le duo n’hésite d’ailleurs pas à s’armer d’un appareil photo lorsqu’il se rend à un colloque du secteur, pour y immortaliser les plus beaux looks. Intéressant, la majorité des visiteurs du site sont des femmes, jeunes, qui font ou veulent entreprendre une carrière scientifique. Ou quand une passion se vit totalement.

Vu à la télé

C’est bien connu, la sphère fashion puise son inspiration dans le monde qui l’entoure, en ce compris les nouveautés cinématographiques et télévisuelles. La série de science-fiction The Expanse, diffusée sur Netflix, en est une illustration.  » En termes stylistiques, on retrouve des allusions à ce divertissement sur les podiums, aujourd’hui « , analyse Elena Van Ginderdeuren, spécialiste en tendances et images pour le bureau Promostyl. Dans ce space-opera se déroulant 200 ans dans le futur – époque où le système solaire a été totalement colonisé – les combinaisons et tee-shirts à patchs sont légion… comme dans les collections, actuellement.

Cosmic trip: quand la conquête de l'espace influence la mode
© IMAXTREE / SDP / ISTOCK

Il y a Star Wars aussi, dont l’épisode VIII est annoncé pour le 13 décembre prochain. Ou encore Avengers, avec ses super-héros aux couleurs british, dixit l’experte mode, et dont les suites sont programmées pour mai 2018 et 2019. Et bien évidemment Star Trek, dont la nouvelle série Discovery est diffusée depuis le 24 septembre dernier.  » C’est notre idée du futur, telle que nous l’avions dans les eighties, poursuit la Belge. On en retrouve les codes, avec des looks qui ressemblent aux tenues de ski des années 50 et 80.  » Un esprit repéré du côté des défilés d’Isabel Marant et Lacoste, pour le printemps-été 2018 d’ailleurs.

Cosmic trip: quand la conquête de l'espace influence la mode
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De manière plus générale, Elena Van Ginderdeuren remarque pas mal de blazers et de pièces aux découpes anguleuses, références aux conquérants qui veulent montrer leur puissance. Idem pour les cuissardes qui siéent aux pieds des amazones. Et les teintes argentées ne sont pas oubliées, que du contraire, vu le nombre de marques qui surfent sur la tendance métallisée, à la façon d’Olivier Theyskens et Saint Laurent.  » L’aspect écologique, les pollutions que nous avons engendrées, motivent aussi cette envie de partir à l’assaut d’autres cieux. Dans les collections, cela se traduit également par des imprimés floraux organiques et des gimmicks puisés auprès des peuples nomades : coupes asymétriques, superpositions, vêtements confortables… On voyage en emportant tout sur notre dos « , repère la trendsetteuse, qui annonce déjà que ces tendances ne sont que les prémices de l’été 2018.

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