Tomas Maier, l’âme artistique de Bottega Veneta

Rencontre avec Tomas Maier, directeur artistique de la marque Bottega Veneta.

A la surenchère des tendances, Tomas Maier oppose la perfection dans l’épure. Depuis 2001, le créateur allemand assure la direction artistique de l’italien Bottega Veneta, d’abord connu pour ses luxueux sacs en cuir tressé. Rencontre avec un amoureux des savoir-faire d’exception.

Il aime s’inspirer de la lumière des villes et pense la mode comme un designer, dans un équilibre bien dosé entre esthétique et fonction, où la matière joue le premier rôle. Chez Bottega Veneta, dont il est le directeur artistique depuis le rachat de la griffe, en 2001, par le Gucci Group, et pour sa propre marque, un vestiaire balnéaire ultrachic qu’il dessine à Miami. Réputée pour ses sacs en cuir tressé à la main (l' »intrecciato »), la maison italienne fondée en 1966 a, sous l’impulsion de Tomas Maier, élargi son activité au prêt-à-porter homme et femme, au mobilier, à la décoration d’intérieur et à la joaillerie, grigris d’onyx ou boules d’or ciselé. En s’émancipant des tendances éphémères et en valorisant des savoir-faire d’exception que ce créateur allemand de 51 ans préserve farouchement.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans la création ?
Tomas Maier : L’équilibre entre le design, la beauté de l’objet et sa fonction, si difficile à trouver. Créer ne m’intéresse pas s’il n’y a pas derrière quelqu’un qui en a envie ; j’ai besoin de ce lien avec les clients. Dans la mode, la création abstraite n’a de sens que pour la haute couture ou les séries limitées. Celles de Bottega Veneta sont tellement complexes qu’on pense d’abord que c’est irréalisable, mais c’est un laboratoire d’idées qui permet d’avancer.

Quelle est la recette d’un accessoire réussi ?
Souvent, les choses les plus simples sont les plus difficiles à faire. La perfection dans l’épure est plus complexe que la surenchère de décoration. J’ai une affection particulière pour le cabas tressé, toujours là depuis 2001, parce qu’il est très contemporain dans sa conception, identique à l’intérieur et à l’extérieur, en phase avec le style maison, qui est tout sauf ostentatoire. Parfois, on peut utiliser de la ficelle et réaliser des choses exceptionnelles grâce à l’habileté des artisans. C’est passionnant de changer le regard vis-à-vis d’une matière à laquelle personne ne ferait attention si elle n’était associée à un savoir-faire extraordinaire.

Votre relation à la couleur ?
Je commence toujours par travailler les couleurs, qui m’amènent à la matière. En rapport avec la saison précédente, je vais d’une nuance à l’autre, donc il y a une palette Bottega Veneta qui s’étoffe depuis sept ans. Pour l’été, j’ai voulu des tons très pâles. Je ne suis pas pour la rupture radicale.

Vous avez fait des meubles, des bougies, de la joaillerie, ou dessiné des suites d’hôtel. Vers quel autre univers aimeriez-vous vous tourner ?
J’ai le projet sur le long terme d’une fragrance Bottega Veneta, qui est une maison sensorielle dans ses gammes de couleurs, ses matières… On a déjà des senteurs d’intérieur et il est temps de penser à la peau et au corps. J’ai travaillé cette année sur de la porcelaine, dont le rôle dans l’Histoire, de la Chine aux cours d’Europe, me fascine. On l’appelait l’or blanc, tant elle est difficile à façonner, ce que j’ai découvert en visitant les manufactures. Avec Poltrona Frau, j’ai aussi réalisé des assises : une autre façon d’approcher le corps.

Miami, New York, Milan, Vicence… Comment vous accommodez-vous aux différentes villes entre lesquelles vous partagez votre temps ?
J’aime être exposé à différentes cultures. Paris reste une de mes villes favorites : j’y ai vécu vingt-cinq ans. J’adore passer du temps à New York et, en Italie, je préférerais être à Rome. Depuis neuf ans, ma maison est en Floride. A Miami, j’aime le mélange des populations, la disposition géographique, où presque tout le monde profite de l’eau. Mais la ville a beaucoup changé et s’est développée, sans vraie prise de conscience architecturale, et c’est pour ça que je suis parti m’installer à Palm Beach.

Depuis 1997, vous avez d’ailleurs votre propre marque, basée à Miami.
C’est une vraie liberté. J’ai appris à prendre des décisions seul et je me sens responsable des gens qui travaillent avec moi. J’aime analyser les goûts selon les pays, à travers les 150 points de vente que nous avons dans le monde. Les maillots de bain sont toujours au coeur de l’histoire, et aussi les vêtements en jersey et les mailles, faciles à accessoiriser et qu’on roule en boule dans la valise. Ce qui est passionnant dans le maillot, c’est la construction, la recherche des couleurs, volontairement limitée chez moi, et des matières techniques de plus en plus étonnantes.

Enfant, vouliez-vous déjà faire de la mode ?
Si je n’avais pas fait de mode, je serais architecte, comme mon père. Mais je souhaitais voyager et quitter ma ville natale, entre Karlsruhe et Stuttgart. C’est pour ça que, une fois le bac en poche, je me suis présenté à la Chambre syndicale de la couture parisienne après avoir lu dans un journal que Saint Laurent était passé par là. Enfant, j’allais souvent dans le bureau de mon père ou sur les chantiers et j’ai découvert ce cheminement entre l’idée, le plan et les fondations d’un édifice, que je garde en tête dans tout ce que je fais.

Quelles sont les images qui ont construit votre goût en matière de mode ?
Au début des années 1980, en assistant, étudiant, à un défilé d’Yves Saint Laurent, j’ai vu une robe en mousseline bleue, et ça a été un déclic pour la vie. On ne voyait aucun effort de construction, comme si on avait projeté l’étoffe sur le corps et qu’elle prenait forme avec le mouvement. Dans les créateurs du passé, j’admire Balenciaga pour ses constructions de jour, et aussi Grès pour la beauté intemporelle de ses drapés de jersey. Tous les gens que j’ai côtoyés au fil des années à Paris m’ont appris et donné beaucoup, comme Sonia Rykiel, Claude Brouet et Jean-Louis Dumas chez Hermès. Même Devernois a été une bonne école pour comprendre un produit industriel et l’adapter à des femmes de morphologies différentes, et non à trois créatures exceptionnelles et fortunées.

Vos lectures de chevet ?
Je suis un grand lecteur et, dans mes deux magasins en Floride, je vends beaucoup d’ouvrages d’architecture ou de photo qu’on ne trouve pas ailleurs. C’est passionnant de voir comment un livre peut vous amener à un autre. J’en achète une dizaine chaque semaine, des livres d’art plutôt que des romans. D’ailleurs, pour Bottega Veneta, je préfère faire appel à des artistes qu’à des photographes de mode, car on retrouve toujours les mêmes derrière les publicités des marques. Ce printemps, j’ai travaillé avec Sam Taylor-Wood pour évoquer une relation émotionnelle entre deux personnes, plutôt que de voir une fille tenir un sac.

Aujourd’hui, les actrices semblent avoir remplacé les mannequins. Comment vous sentez-vous par rapport à cette « pipolisation » de la mode ?
Je n’ai pas d’égéries en tête ; je vois les choses comme une proposition et non comme un diktat pour une femme précise. Rien ne me plaît plus que les individualités, les manières d’interpréter, sans appliquer une vision au pied de la lettre. Ce n’est pas l’esprit maison de placarder des photos d’actrices qui portent nos sacs, et notre succès prouve qu’on peut contourner ce système. Je vous assure qu’on a beaucoup de stars parmi nos clients, et ces gens viennent aussi chez nous parce qu’on ne s’en sert pas comme de faire-valoir publicitaires. Je suis toujours déçu de voir des personnes dont j’apprécie le talent dans cet environnement. Il y a un manque de pudeur dans tout ça.

Si vous ne deviez retenir qu’une chose de ces sept années déjà passées chez Bottega Veneta ?
Ce serait ma relation avec les artisans d’Italie et d’ailleurs. On peut toujours avoir des idées, mais, si on n’a personne avec qui échanger et trouver des solutions, on est démuni.

Propos recueillis par Anne-Laure Quilleriet

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