Wies Schulte, la femme fleur

Une robe, un pantalon, un trench-coat… vingt pièces, pas une de plus. C’est là toute la collection INDRESS, juste parfaite. Sa créatrice, Wies Schulte, l’a rêvée ainsi. Portrait d’une femme fleur.

Une robe, un pantalon, un trench-coat… vingt pièces, pas une de plus. C’est là toute la collection INDRESS, juste parfaite. Sa créatrice, Wies Schulte, l’a rêvée ainsi. Portrait d’une femme fleur.

Elle aurait pu être mannequin. D’ailleurs, à l’occasion, elle s’y risque. Pour une question de budget, de facilité, de rapidité, même si elle s’était juré qu’on ne l’y reprendrait plus – « trop vieille, besoin d’un petit régime, dormir plus, moins d’apéro » -, mais elle en convient, « finalement, ça s’est très bien passé… » La grande fille blonde, sur toutes les photos, là, habitée, habillée en INDRESS, collection printemps-été 2009, c’est elle, Wies Schulte. Elle pose dans ses vêtements impeccables, épurés, définitifs et désirables. C’est son premier look book – un exercice qu’elle n’est pas certaine de réitérer la saison prochaine -, cela dépendra de ses envies, « sinon, c’est l’ennui ». Avec Wies Schulte, on ne verse jamais dans le tiède.

Changer d’air
Septembre 1993. Elle a 17 ans, quitté ses parents, son village néerlandais « trop étriqué » situé à une brassée de tulipes d’Eindhoven. Elle voulait changer d’air, s’est installée à Anvers, suit les cours du département mode de l’Académie Royale des Beaux-Arts. Elle crèche au bord de l’Escaut, dans un appartement sous les toits, adore le côté « un peu trash et crade » de la ville, le magasin de fripes Chez Robert, les étudiants en photo qui shootaient les vêtements des futurs créateurs, les sculpteurs qui tournent autour, « on faisait la fête ensemble ». Et surtout, elle apprend « qu’il faut que cela se tienne, de l’idée au défilé ».

Septembre 1997. Elle débute chez Jean-Charles de Castelbajac ; elle avait été repérée lors du show anversois de fin d’année et embauchée illico. Elle ne parle pas un mot de français, voulait changer d’air, encore une fois, et de langue, peut-être sans le savoir. Toujours est-il que, depuis, il est rare qu’elle parle néerlandais, son français n’en a gardé qu’une infime trace, quelque chose de charmant et d’un peu mystérieux, surtout quand elle dit adorer Paris et « les pays où c’est le bordel ; aux Pays-Bas, on attend sur son vélo au feu rouge… » Avec Wies, on ne marche jamais dans les clous.

Créer ses rêves
Décembre 2001. Elle dessine alors la collection Jungle de Kenzo depuis deux ans ; elle a quitté la maison Castelbajac, qui lui a répété qu’ « elle n’est pas faite pour bosser quelque part » et qu’ « elle doit monter sa propre collection ». C’est l’hiver, Wies bidouille un sac, un cabas, inspiré d’un « truc de mamy en Nylon avec une anse en plastique translucide ». Elle le pare de coton réversible, cinquante variantes de couleur, dans des tissus achetés au marché. Et elle entraîne dans l’aventure Aude Buttazoni qui choisira, plus tard, de poursuivre seule son chemin, en photo et graphisme. Wies pense que cet accessoire va être un flop. Qui voudrait en effet d’un sac en coton alors qu’il pleut, vente, neige ? Ils se vendent pourtant comme des petits pains : 4.000, dans les meilleures boutiques parisiennes. La saison d’après, à ce cabas, elle ajoute une culotte, un tee-shirt en coton gansé de soie et une paire de chaussures. Wies, qui voit l’ennui poidnre, brûle alors de raconter une histoire « plus complète », de charpenter « une vraie silhouette », un gilet cache-coeur en mohair, une robe en crêpe de soie, une écharpe. Depuis, de fil en aiguille, INDRESS (« ce nom ne vient de nulle part, à part que j’aime les robes »), c’est une collection minimale, ultrapensée, soupesée, de vingt pièces indispensables. « Je n’irai pas au-delà ! », prévient Wies. Elle veut avoir le temps de vivre sa vie, avec enfants, chéri, amis et puis, qu’INDRESSs reste « compact, lisible, parfaitement conçu ». Avec Wies Schulte, on n’est jamais dans l’entre-deux.

Aimer les couleurs
Il n’y a pas si longtemps, elle travaillait at h ome. Mais elle n’en pouvait plus d’avoir « tous ces tissus » à côté de son lit. Elle a donc loué un bureau tout près, dans le XIXe arrondissement parisien, « un plateau de 90 m², double exposition, plein de lumière, pas cher, de l’espace ». Et un nouveau souffle. Du coup, sa collection printemps-été 2009 a cet élan inspiré qui fait plaisir à voir. Elle qui aime les robes mais n’en porte pratiquement pas, en avait une furieuse envie. Elle les a imaginées croisées, coulissées, réversibles, qui peuvent s’ouvrir, se dévoiler, se porter devant/derrière, dans des mélanges de matières, des satins, des crêpes, hauts et bas différents, avec de la transparence, de la mousseline de soie et surtout, surtout dans des couleurs très vives, du bleu turquoise, « comme dans La Piscine avec Romy Schneider », du violet, du rouge, « quelque chose d’un peu décadent », du noir « comme l’encre », du gris fumé, « des primaires vrais » et une couleur peau. Avec toujours, en guise d’accessoires terriblement indressiens, des plumes d’autruche, des oeillets, une anémone un peu molle à porter en bibi, à la boutonnière ou ailleurs. Sans oublier un pantalon large, avec de grands plis « dans une toile brute, comme un pantalon de travail ». Et aussi un peu de maille, « comme une deuxième peau », plus un petit gilet et une cape, que l’on retourne à sa guise dos devant, et inversement. Avec Wies Schulte, on peut toujours prendre le contre-pied.

Filmer son univers
En matière d’inspiration primale, Wies Schulte préfère la couleur, « c’est mon petit chouchou », dit-elle dans son français pimenté. Elle fouille dans les bacs à fripes du boulevard de Clichy, en revient toujours avec « des pulls et des chemises monstrueux, mais la couleur est bien ». Sa gamme, elle la tient. Ajoutés à cela des ambiances vues chez des photographes – Jacques Henri Lartigue, Mitch Epstein, Jeff Wall -, ou repérées dans les expos. En guise de mètre-étalon, sa jolie silhouette. Quand la collection est finie, Wies s’offre une petite aventure supplémentaire : avec son « chéri », le réalisateur Frédéric Guelaff, elle passe au stade cinématographique. Depuis le début, en 2001, à chaque saison, il signe un court-métrage en 16 mm qui romance la mode de Wies, un mini-film souvent beau et étrange qui s’inscrit dans la mémoire comme une petite mélodie esseulée. L’équipe ? Des amies, des amis d’amis, des jeunes actrices qui « circulent dans notre univers », tous gratifiés avec des vêtements INDRESS. Y voir un lien causal si Wies a pensé tricoter un pull homme pour les graphistes, le chef op’, « tous ces garçons qui m’aident ». Digression de la créatrice : « Il est chaud, ne bouloche pas, ne gratte pas. Il est sans fantaisie, dans de belles couleurs et dans un mérinos tout bête ! C’est plus sexy quand c’est tout simple. »

Donc, dans « Le Bel Esprit », le dernier court-métrage en date, trois jeunes actrices, en robe, s’adonnent au spiritisme sur un poème de William Butler Yeats. Adèle Haenel, « parce qu’elle a une voix de fumeuse, un corps de femme et une allure de garçon », Céline Salette, parce que Wies l’avait « repérée » dans le quartier et qu’elle trouve qu’elle a vraiment « quelque chose », Chloé Olivères parce qu’elle est tragédienne et qu’elle a « adoré ses yeux ». Pour le plaisir, Wies Schulte aimerait sortir un DVD luxe, avec les six derniers films en 16 mm. Il y aura une fête, on regardera les images de son chéri, elle en profitera peut-être pour définir son style, mais est-ce vraiment nécessaire ? « Classe, Romy Schneider, simple, essentiel, to the point, aiguisé, sharp, sans surplus, juste ». Points de suspension. « Je pense. » Avec Wies, on évite toujours le trop plein qui écoeure. Pour ne retenir que la beauté, intemporelle.

Anne-Françoise Moyson







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