En Afrique du Sud, les victimes de viol fuient la police

Image d'illustration issue d'une pièce dénonçant les violences sexuelles en Afrique du Sud © AFP

C’était il y a deux ans. Comme tous les jours, Nthabiseng Mabuza se rendait à son travail à bord d’un minibus. Mais ce matin-là, son trajet a tourné au cauchemar. Seule passagère du véhicule, la cuisinière sud-africaine est violée par le chauffeur.

Alertée par ses cris, une patrouille de police intervient et arrête immédiatement l’agresseur. Placé en détention provisoire, celui-ci est toutefois remis en liberté sous contrôle judiciaire quelques mois plus tard malgré les preuves accablantes retenues contre lui. Le suspect s’est depuis volatilisé.

« Le jour où le procès devait s’ouvrir, personne n’a pu trouver mon agresseur », raconte à l’AFP Nthabiseng Mabuza, dont le nom a été modifié pour préserver son anonymat. « Il avait disparu ».

Très amère, la jeune femme, 35 ans, qui vit dans le township de Vosloorus dans l’est de Johannesburg, blâme aujourd’hui l’incurie de la police et des magistrats de son pays.

Car son cas est loin d’être isolé. Comme elle, des dizaines de milliers de femmes sont victimes de viols ou d’agressions sexuelles chaque année en Afrique du Sud. Et comme elle, la plupart peinent à obtenir justice.

Dans une étude à paraître dont l’AFP a obtenu copie, le Conseil sud-africain de la recherche médicale a recensé qu’en 2012, seuls 8,6% des procès pour viol s’étaient conclus par une condamnation.

Selon ce document, le parquet a refusé cette même année de poursuivre 47,7% des dossiers de viol transmis par la police: il se concentre en priorité sur les cas les plus susceptibles d’aboutir à des condamnations, en fonction notamment des preuves collectées et de la perception qu’il a de la gravité des faits.

Nombre de victimes ne se sont même pas signalées en raison de « l’attitude discriminatoire de la police », relève encore le Conseil sud-africain de la recherche médicale. Les policiers sud-africains, très exposés au stress, développent peu de compassion pour les victimes de viol et sont insuffisamment formés pour traiter ces affaires, selon l’étude.

‘Notre faute’

« A la radio et à la télévision, les campagnes de prévention nous encouragent à porter plainte en cas de viol. Mais quand on va voir la police, on nous dit que c’est de notre faute. Parfois, les policiers dissuadent les femmes de porter plainte en disant que le violeur est leur petit ami », explique Nthabiseng.

Un sentiment partagé par Lu-Meri Kruger, une autre victime, pour qui aller porter plainte fut une épreuve. « Lorsque je suis entrée dans le commissariat, ce fut le moment le plus froid, le plus sombre et le plus difficile de ma vie », confie-t-elle, « le moment le plus douloureux du viol ».

Aujourd’hui âgée de 35 ans, Lu-Meri explique avoir été agressée par un homme quand elle n’en avait que 15, dans les douches d’une auberge de jeunesse de la ville du Cap (sud-ouest).

Beaucoup d’associations de défense des droits accusent la police de négligence, de lenteur et de manque de sensibilité envers les victimes. Militante au sein de l’ONG « Sonke Gender Justice », Marike Keller dénonce notamment ses méthodes d’interrogatoire.

« Les policiers posent des questions qui n’ont rien à voir avec le viol, demandent comment la personne était habillée », déplore-t-elle, « le genre de questions qui vous font penser que vous êtes responsable de ce qui est arrivé ».

‘Contre un système’

Les autorités sud-africaines ont recensé pas moins de 51.895 cas de viol d’avril 2015 à mars 2016, soit plus d’une centaine par jour.

Un chiffre largement sous-estimé, affirme Mara Glennie, la directrice de Tears.

Ce centre téléphonique d’aide aux victimes reçoit chaque année des dizaines de milliers de coups de fils de victimes de viol ou d’agression sexuelle, souligne-t-elle.

Or il existe des dizaines d’ONG s’occupant des questions de violences faites aux femmes.

Si Tears reçoit autant d’appels à elle seule, « vous pouvez imaginer » ce qu’il en est réellement, relève Mme Glennie.

Selon une enquête réalisée par l’ONG Sonke Gender Justice et l’université de Witwatersrand, plus de la moitié des hommes à Diepsloot, un township du nord de Johannesburg, ont déjà violé ou frappé une femme.

Les victimes « ne se battent pas seulement contre leurs agresseurs, elles se battent contre un système », constate elle aussi Shaheda Omar, médecin spécialisée dans les cas de viols sur mineurs.

Sous le feu des critiques, le ministre sud-africain de la Police, Fikile Mbalula, reconnaît des « erreurs dans l’administration de la justice dans nos commissariats ».

Il a promis de réformer entièrement le système d’accueil des victimes de viol par ses fonctionnaires.

« La population doit retrouver confiance en nous. Nous devons entendre le cri de ces millions de personnes qui dénoncent l’incapacité de nos forces de police à réagir comme il se doit (face aux cas de viols) », indique-t-il à l’AFP.

« Nous faisons maintenant ce qui est nécessaire pour que nos commissariats soient fonctionnels et pour que les policiers aident les victimes avec les moyens à leur disposition », insiste M. Mbalula. « Les agresseurs doivent savoir que leurs actes auront des conséquences. »

Il y a quelques années, l’Afrique du Sud a créé une soixantaine de tribunaux spécialisés dans les infractions sexuelles, dans le but d’accélérer les procédures judiciaires. Aujourd’hui encore, une plainte met encore entre deux et six ans avant d’être jugée.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content