Marcus Engman designer en chef chez Ikea

Marcus Engman. © SDP

Ypperlig, soit  » excellent « , c’est le nom de la collection née des noces entre l’éditeur danois Hay et Ikea. En exclusivité pour Le Vif Weekend, Marcus Engman, designer en chef du géant du meuble en kit, revient sur cette collaboration 100 % nordique.

Si le fondateur Ingvar Kamprad en demeure la grande figure historique, le visage d’Ikea est désormais celui de Marcus Engman, fringant capitaine du paquebot jaune et bleu : dégaine de post-ado malgré ses 50 piges, baskets et large sourire arborés en permanence, ce self-made man incarne à lui seul le tournant moderne d’une entreprise qu’il a résolument dans le sang.

Il n’a que 9 ans quand sa famille pose ses valises à Almhult, fief d’Ikea perdu au sud du Smaland. Comme l’immense majorité des habitants de la petite localité, son père, Lars, travaille pour l’enseigne, il est même le concepteur d’un des best-sellers de la marque, le fameux canapé Klippan. C’est à 16 ans que Marcus fait ses premiers pas dans la maison, à l’occasion d’un job d’étudiant. A l’époque, le gamin ne tient pas en place, et surtout pas sur les bancs de l’école : il n’a jamais décroché le moindre diplôme supérieur et en tire une certaine fierté, comme si le fait d’échapper à tout calibrage était son meilleur atout. Ambitieux, malin et doté d’un flair hors du commun, il se lie avec deux designers dont il devient l’assistant, pour un nouveau passage sous la bannière suédoise. Il est notamment chargé d’analyser, voire d’anticiper les tendances, ce qu’il fera douze ans durant, avant de quitter le navire pour lancer sa boîte à l’aube de la trentaine.

Mais le géant du meuble le rattrape encore une fois, et il effectue un retour au bercail triomphal en 2012, avec le titre suprême de Head of design. Depuis, Marcus Engman n’est pas seulement le garant des 3 000 nouveaux produits qui sortent chaque année en rayon. C’est sous son impulsion que l’entreprise a balayé ses complexes et attaqué le XXIe siècle de front. Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que l’une de ses cibles de prédilection soit les Millennials, à la fois dans ses collections – il nous avouera s’inspirer de ses propres enfants  » qui déménagent tous les six mois  » – et dans la communication. Cette dernière surfe en effet sur le buzz avec des pubs décalées et des campagnes limite guérilla marketing mettant en scène Nabilla, la princesse Claire ou Game of Thrones, encourageant le hacking du mobilier au lieu de le prohiber, et imposant un tonitruant Ikea Festival lors de la Design Week de Milan.

En parallèle, de nombreux projets annexes voient le jour : potagers urbains, abris d’urgence, panneaux solaires, tandis que les catalogues se remplissent de produits en édition limitée ou réalisés à quatre mains, grâce à une succession de prestigieuses collaborations, avec le monde du design ou parfois de la mode, comme avec notre compatriote Walter Van Beirendonck ou le fashion gourou Virgil Abloh, DA de Kanye West. S’il nous accorde cet entretien aujourd’hui, c’est justement pour nous parler d’une nouvelle association, très attendue elle aussi, avec un autre fabricant scandinave, le Danois Hay.

Comment s’est passée cette collaboration avec Hay ?

Tout s’est incroyablement bien déroulé. On ne sait pas toujours à quoi s’attendre, parfois certaines collections demandent énormément de débats et d’aménagements, mais on s’est vite entendus avec Rolf et Mette Hay. On a pu avancer à une vitesse phénoménale. C’est une collection tournée vers l’avenir, nous voulons renouveler l’idée du design nordique, redéfinir son identité sans la trahir. Le concept derrière était aussi de progresser, car on essaye toujours d’expérimenter des techniques, des matériaux, de faire quelque chose d’intelligent sans qu’on le remarque de prime abord. Ça paraît naïf de le dire, mais ensemble, on va plus loin. Il n’y a pas de génie solitaire, chez nous.

Comment décririez-vous cette ligne ?

Ces matières et couleurs, ce sont nos racines. Je dirais que c’est un style scandinave, mais qui peut trouver sa place dans n’importe quel intérieur. Ypperlig n’est pas spectaculaire, mais au contraire, plutôt les pieds sur terre. Nous avons surtout voulu réaliser des produits qui combinent forme, fonction, qualité, durabilité et prix abordable. L’objectif est d’accompagner les gens durant un long moment de leur vie. Ce n’est pas un simple cobranding, mais un projet qui s’inscrira sur la durée. Nous sommes deux entreprises nordiques mais nous avons nos spécificités, et nous avons énormément appris les uns des autres.

Il n’y a jamais eu autant de collaborations et d’éditions limitées dans vos rayons. Un moyen de lutter contre cet effet d’uniformisation, que l’on vous a longtemps reproché ?

Non, on fait les choses parce qu’on en a envie, simplement. Par curiosité. Et si l’on poursuit nos recherches, la gamme s’étend, c’est normal. Ça nous permet de proposer de nouveaux produits à de nouveaux clients. Quant aux éditions limitées, ce n’est pas pour le plaisir de provoquer de la rareté. Si certaines lignes sont restreintes, c’est parce que l’on veut les tester et être sûrs de gommer leurs défauts avant de les proposer de façon durable.

Vous avez également collaboré avec de véritables stars du design, comme Tom Dixon et Ilse Crawford…

On ne les a pas choisis parce que ce sont des célébrités, mais parce qu’ils excellent dans leur domaine. Pour le Delaktig, on voulait utiliser l’aluminium. Or, tout le monde connaît le travail du métal de Tom Dixon. Même chose pour Ilse Crawford, avec les matériaux naturels de la ligne Sinnerlig.

Votre fonction recouvre de nombreux aspects et vous semblez tenir un rôle de plus en plus en vue…

Oui, mon boulot a évolué et tant mieux parce que je m’ennuie vite. Ces dernières années, j’ai dû, de plus en plus, me tenir sur le devant de la scène. C’est l’époque qui veut ça, c’est de la com’. Heureusement, je suis passionné de design et de communication, alors ça me va. Je n’ai pas fait d’études, et l’on dit souvent que cela m’évite d’être trop formaté. Mais je pense que je suis avant tout un bon  » solutionneur de problèmes « . Et, bien sûr, baigner dans un environnement 100 % Ikea, en connaître tous les rouages depuis si longtemps, ça m’a aidé.

Comment déterminez-vous ce qui peut recevoir un feu vert et ce qui est recalé ?

Je ne me situe pas à la fin de la chaîne, pour décider de ce qui peut sortir ou non, mais en amont. Mon objectif, c’est de donner l’orientation dès le début, pour que les équipes qui développent les produits aboutissent à ce que j’avais en tête. Je dois d’ailleurs tirer mon chapeau aux milliers de gens qui oeuvrent pour parvenir à ce que l’on fait. Le public voit un tout petit objet à 2 euros et pense que c’est une bricole, mais il y a beaucoup de travail derrière.

Ikea est devenu une marque lifestyle globale, au-delà de la déco : on a vu des incursions dans la mode, les transports, avec le vélo Sladda, ou la nourriture…

L’entreprise s’intéresse aux gens et à leurs besoins. On ne fait pas de la mode, bien qu’elle nous influence beaucoup, mais on s’intéresse au vêtement, puisque tout un chacun en a besoin. Même chose pour les aliments, qui sont centraux dans notre vie, et que l’on a pu développer en proposant à nos visiteurs de manger sur place. Il reste énormément à faire. Par exemple, les odeurs, que l’on peut intégrer autrement qu’avec des bougies parfumées, donne à un intérieur une personnalité. D’où notre discussion avec Byredo. Ou encore l’énergie, quand on voit son accessibilité au niveau mondial, on se dit qu’il y a quelque chose à faire. Et cela n’a pas besoin d’être nécessairement high-tech.On peut même réfléchir à des procédés mécaniques, rudimentaires mais ingénieux, qui seraient adaptables aux régions les plus reculées.

En arrivant à votre poste, vous affirmiez vouloir  » ramener de la surprise  » chez Ikea. Et vous y êtes parvenu : on ne sait jamais à quoi s’attendre de votre part…

Je suis content que vous le remarquiez. N’est-ce pas excitant ? Pour moi, la journée idéale est celle qui me réserve des choses que j’ignore. J’adorerais me lever tous les matins sans savoir ce qui va m’arriver.

Ypperlig, du sérieux

Sous-titrée The Beauty of Basics, la collection Ypperlig frappe tout d’abord par le recours à une palette résolument foncée, dominée par des tons bleu nuit et vert pin. Que l’on puisse y voir une réminiscence des forêts et des rudes hivers nordiques n’est sans doute pas un hasard, puisque l’ambition était de revenir à un style scandinave empreint d’un peu plus d’authenticité que le combo « murs blancs, bois blond et couleurs pastel », et son corollaire, l’effet nursery, rose pâle et fanions en tissus, déclinés jusqu’à l’overdose depuis des années. S’en dégage un feeling étonnamment sérieux, qui infuse jusqu’aux petits accessoires destinés à tomber presque tout seul dans les caddies : miroir-vide-poche, porte-journaux, organisateur mural, lampe de bureau LED pivotant ingénieusement sur sa base ou bougeoir « escalier » très architectural.

Marcus Engman designer en chef chez Ikea
© SDP

Côté mobilier, trois pièces retiennent l’attention : la chaise monobloc à accoudoirs, moulée après trente secondes d’injection de plastique, d’où son prix dérisoire de 49,99 euros, puis la table en bouleau et frêne, 199 euros pour 2 mètres, même pas un euro du centimètre, et enfin le canapé convertible à l’assise tout confort, avec sa structure de matelas à ressort. Enfin, Hay avait annoncé le relifting d’une icône maison, et ce mystérieux « hommage à un produit culte » visait en fait le célèbre sac Ikea, qui délaisse son éternel bleu vif pour arborer quatre nouveaux coloris.

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