Phénomène: les « Baby Boss », ces mômes déjà PDG

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Ils sont encore aux études, de la primaire à l’université, et sont déjà PDG. Certains affichent des résultats financiers impressionnants, d’autres sont avant tout là pour apprendre ; tous laissent entendre que la précarisation de l’emploi est un verre à moitié plein qu’un peu de créativité pourrait faire déborder à terme.

« J’ai déjà été entrepreneuse près de la moitié de ma vie « , annonce Alina Morse, CEO de LOL, une société de bonbons qui participent à l’hygiène dentaire.  » C’est frustrant quand certaines personnes ne me prennent pas au sérieux « , ajoute-t-elle du haut de ses 13 ans. Son histoire ressemble à celle de tous les business fructueux. Un jour, elle a identifié un problème dans son quotidien et a décidé de le résoudre en inventant un produit. La seule donnée qui diffère est que sa problématique était celle d’une kid de 7 ans : devoir refuser le bonbon qu’on lui tendait, car ses parents étaient obsédés par les caries. Avec son père, elle a mis au point les Zollipops, des sucettes  » bonnes pour les dents  » qui se sont retrouvées en rayons, dès 2014. Elles sont aujourd’hui distribuées dans le monde entier et engrangent des millions de dollars.

Plus on va loin dans les études, moins l’on a envie d’entreprendre, comme si l’enseignement bridait cela.

Les Etats-Unis sont familiers de ces PDG n’ayant pas encore traversé la crise d’adolescence. Ils sont appelés  » kidpreneurs « , sont invités à la Maison-Blanche et dans les talk-shows les plus importants et écrivent des livres pour inspirer d’autres enfants. En Europe, le phénomène est plus marginal mais des parcours commencent à émerger. Le Français Guillaume Benech a créé un média à l’âge de 12 ans avant de lancer une maison d’édition. La Belgique n’est pas en reste avec des success-stories comme celle de Romain Hault qui développa son premier jeu vidéo à 15 ans, avant de lancer sa start-up Kiwert, ou encore celle de Célestin de Wergifosse. Bricoleur créatif depuis l’enfance, ce dernier s’était mis en tête d’inventer un moyen (mobile) de produire de l’énergie verte. En 2012, à 15 ans, il était devenu le plus jeune entrepreneur de Belgique, après avoir été primé au concours Lépine junior.

Dès le plus jeune âge

C’est dans cette optique de promouvoir des talents en herbe que l’association Les Jeunes Entrepreneurs (LJE) a vu le jour chez nous. Elle entend éveiller la curiosité des mômes pour l’entrepreneuriat et propose des activités dans le primaire et le secondaire.  » Des élèves de 5e et 6e sont par exemple invités à mettre sur pied une mini-entreprise, détaille Thierry Villers, directeur de l’ASBL. Ils ont de vrais actionnaires (qui ne peuvent détenir qu’une seule action, à 7 euros). Ils vont fabriquer, vendre, avoir des relations avec de vrais fournisseurs, de vrais clients, ils se paient des salaires, ils doivent gérer une vraie compatibilité, ils sont confrontés aux mêmes taxes que dans le monde réel. Mais c’est un système interne, ludique et avec des risques limités.  » Le principe de la mini-entreprise s’apprête à fêter ses 100 ans en Europe, en 2019. L’ASBL LJE a, elle, 40 ans. La démarche n’est donc pas neuve, mais la réception du projet évolue.  » On sent bien que cela commence à rentrer dans l’esprit des jeunes. L’entrepreneuriat devient une piste parmi d’autres. C’est notre mission : leur montrer qu’il y a une porte qu’ils peuvent ouvrir, stimuler l’esprit d’entreprendre.  » Et cette stimulation serait bien plus efficace auprès des plus petits :  » On le voit avec les initiatives que l’on mène en primaire, argumente Thierry Villers. Ils sont créatifs, ils n’ont pas de limites. L’infaisable est faisable et l’on trouve beaucoup de propositions avec une dimension sociale. Cela se perd dans l’enseignement secondaire. Plus on va loin dans les études, moins l’on a envie se se lancer, comme si l’enseignement bridait cela.  »

Outil d’apprentissage

Plutôt qu’une machine à fabriquer de futurs PDG, l’entrepreneuriat à l’école est avant tout vu comme une manière de motiver les élèves. Conquis par les pédagogies dites actives ou participatives, Matthias Pepin, chercheur d’origine belge vivant au Québec, en a fait un outil complet. Derrière la création d’un business, le psychopédagogue voit d’abord la possibilité pour l’élève de  » s’entreprendre « , gagner en assurance, en réflexion.  » Un projet entrepreneurial, c’est très concret. Il faut apprendre à se projeter dans le futur, anticiper les problématiques, vivre un processus de résolution de ces problèmes et se renseigner en même temps pour mettre en oeuvre l’idée.  » Si la totalité du programme scolaire ne peut être intégrée, de nombreux points de matière sont néanmoins vus au détour d’un calcul de gestion des stocks ou d’une lettre envoyée pour demander une quelconque autorisation.  » Apprendre pour apprendre, cela ne parle plus nécessairement aux jeunes, en particulier dans un monde où la connaissance est accessible partout. On sait également que les carrières ne sont plus linéaires, il va falloir se réorienter en cours de route, éventuellement passer par des phases de travail indépendant ou d’entrepreneur et avoir des compétences d’employabilité communes à divers secteurs comme le sens de l’organisation, le leadership… « , souligne le Canadien d’adoption.

Un statut dédié

En Belgique, les universités ont également décidé de s’inscrire dans ce monde du travail en mutation et l’on a récemment vu naître un statut d’étudiant-entrepreneur comparable à celui qui permet à des sportifs de haut niveau ou des artistes de mener de front leurs études et une autre activité.  » On vit dans un monde qui n’est pas en crise, mais qui se transforme dans une ampleur comparable à la Révolution industrielle, voire la Renaissance, si ce n’est que ça va beaucoup plus vite. La jeunesse prend en main ces changements, elle doit être créative « , argumente Bernard Surlemont, professeur à HEC Liège qui a contribué à la naissance de ce statut ainsi qu’au premier incubateur étudiant belge : Le VentureLab. Replaçant l’avènement de l’entrepreneuriat dans le contexte socio-économique, il pointe la diminution de ce qui est appelé le  » coût d’opportunité  » : les jeunes se voient de moins en moins offrir des contrats en or qui pourraient les détourner de leur envie de se lancer. Il note également que des modèles hybrides sont apparus, mêlant salariat et projets free-lance. Les technologies ont aussi permis de tester des idées plus facilement (et à moindre coût) et encouragé à franchir le cap, tout comme la confrontation de modèles de société :  » Les valeurs portées par les employeurs sont de plus en plus challengées, la nouvelle génération se rend compte que ce qu’on leur propose n’est pas rose et que le meilleur moyen d’avoir un job qui rejoint leurs valeurs, c’est encore de le créer.  »

Abracadabra

Non seulement les futurs adultes ne suivent plus le parcours classique qui voulait que le développement d’entreprises ne soit envisagé qu’après les études, voire de premières expériences professionnelles, mais en plus, ils se lancent dans des secteurs qui ne sont pas forcément liés à leur cursus scolaire. Parmi les success-stories du VentureLab, l’on trouve par exemple Clément Kerstenne, vétérinaire diplômé en juin dernier qui a mis sur pied In The Air, un service de communication digitale basé sur sa passion : la magie. Enthousiasmées par le projet d’incubateur, les autres universités belges ainsi que nombre de hautes écoles ont suivi le mouvement liégeois et la directrice de l’incubateur, Sophie Joris, présente un bilan économique positif pour cette initiative lancée en 2014 :  » 305 étudiants ont frappé à notre porte ; l’on compte bientôt 53 créations d’entreprise et 125 emplois créés, hors fondateurs (d’après les derniers chiffres de décembre).  »

La génération de jeunes se rend compte que le meilleur moyen d’avoir un job, c’est de le créer.

L’an dernier, un rapport de l’Institute for the Future annonçait que 85 % des  » métiers  » de 2030 n’existaient pas encore. Les travailleurs de demain les inventent, entre parties de marelle, découverte des intégrales et blocus.

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