Sidi Larbi Cherkaoui, la danse salvatrice de l’optimisme

En ce début d’année, le chorégraphe anversois nous livre une vision poétique et inspirante de notre société future. Rencontre avec un homme engagé, qui plaide pour la solidarité, l’ouverture aux autres et une meilleure relation au corps et à l’environnement.

« Les générations futures devront faire preuve de davantage de solidarité », lance Sidi Larbi Cherkaoui, alors que nous l’interrogeons sur la valeur de base à développer collectivement à l’avenir. Né d’un père marocain et d’une mère belge, l’Anversois, à la tête de sa propre compagnie de danse, Eastman, et directeur artistique de l’Opéra royal de Flandre, prône avant tout le dialogue.

Nous devons comprendre que tout humain n’aspire qu’à être humain, et s’efforcer de rendre tout le monde heureux.

Tandis qu’il s’exprime, il laisse ses mains bouger au rythme de ses mots. Ses doigts, puis ses poignets, se croisent avant de s’ouvrir à nouveau lorsqu’il poursuit :  » Les gens devront prendre soin d’eux-mêmes mais aussi des autres. Demander par exemple ce qui ne va pas à une personne qui réagit avec violence, plutôt que lui répondre de la même façon. Nous devons comprendre que tout humain n’aspire qu’à être humain, et s’efforcer de rendre tout le monde heureux.

Tandis qu’il s’exprime, il laisse ses mains bouger au rythme de ses mots. Ses doigts, puis ses poignets, se croisent avant de s’ouvrir à nouveau lorsqu’il poursuit :  » Les gens devront prendre soin d’eux-mêmes mais aussi des autres. Demander par exemple ce qui ne va pas à une personne qui réagit avec violence, plutôt que lui répondre de la même façon. Nous devons comprendre que tout humain n’aspire qu’à être humain, et s’efforcer de rendre tout le monde heureux. L’Homme peut améliorer sa qualité de vie dans de nombreux domaines. Notre vision actuelle de la société multiculturelle est très éloignée des valeurs de solidarité et de compassion. Ce n’est pas logique. Car en réalité, parmi nous, personne n’est purement flamand, wallon ou belge. Notre ADN s’est construit au fil des générations à partir d’un pourcentage considérable de cellules provenant d’autres cultures. Chacun d’entre nous est le résultat d’une formule multiculturelle. Si les prochaines générations ont conscience de leur diversité en matière d’origines, les gens se sentiront plus connectés les uns aux autres. » Un thème également évoqué dans Babel/Words, création de 2010 jouée ce mois-ci à Louvain et en mars prochain à Genk, avant la représentation du diptyque Noetic et Icon au Théâtre national, à Bruxelles, en juin. Pour l’heure, le chorégraphe multiprimé partage avec nous une bonne dose d’optimisme salvatrice.

Mettre chaque personne sur un même pied d’égalité demande un apprentissage, selon vous…

Dans une société équilibrée, chacun doit pouvoir être une personne à part entière et la hiérarchie qui indique que quelqu’un est meilleur qu’un autre doit être abandonnée. Les droits des femmes ou ceux des étrangers sont encore loin d’être idéaux aujourd’hui. Nous devons améliorer ces aspects dans les années à venir en respectant davantage chaque personne et en évitant de laisser le pouvoir aux mains de groupes dominants.

Le respect n’exige-t-il pas aussi une nouvelle sorte d’ouverture vis-à-vis des autres et des événements?

Si, et ce n’est actuellement pas le cas. Je préconise une plus grande ouverture vis-à-vis des idées intéressantes à développer, du moins si l’on souhaite encore parler d’avenir. Nous devons comprendre qu’il existe une multitude de manières d’être heureux, de vivre, de former une famille, de travailler et de se déplacer. Que les idées et les gens peuvent être différents sans que ceux-ci ne soient menaçants. Vivre ensemble est complexe mais il faut accepter cette complexité et éviter de rester cantonné à ce qui est supposé être la norme. Car la norme n’est en réalité pas si normale. Il en existe en effet toujours une autre, qui fluctue constamment. Les constructions du passé étaient adaptées au passé. Celles d’aujourd’hui exigent de nouveaux points de vue et de nouvelles valeurs. La famille reconstituée va continuer à évoluer. Le logement et le transport deviendront des expériences partagées. Les villes et les villages se transformeront selon les nouveaux besoins. C’est la raison pour laquelle nous devons apprendre à mieux y répondre. Selon moi, il est important d’en finir avec le passé et les normes de nos ancêtres pour s’assurer un avenir serein. Il est primordial de se débarrasser de certaines pensées et de s’ouvrir à ce qui arrive. Peut-être est-ce une utopie mais c’est la liberté de pensée vers laquelle je tends.

Sidi Larbi Cherkaoui, la danse salvatrice de l'optimisme
© Debby Termonia

Vous dites que nous sommes aujourd’hui encore loin de ce schéma d’avenir. L’immobilité et l’attachement aux images sociétales rigides, aux normes et aux peurs caractérisent davantage notre société…

Si l’on veut parler d’avenir, nous devons d’abord collectivement sortir de la position étroite dans laquelle nous nous trouvons actuellement. L’histoire est à l’image de la mer : elle se déplace au fil des marées. En ce moment, en Belgique, nous nous trouvons dans la phase descendante, la marée basse. Résultat : nous nous replions dans un cocon, nous oublions notre capacité à comprendre les autres, à les respecter et à les accepter. Nous devenons craintifs et perdons confiance en l’autre et en notre capacité à évoluer. Si nous souhaitons voir cette jolie vague qui nous pousse vers la société équilibrée dont nous profiterons d’ici une cinquantaine d’années, nous devons trouver d’autres carburants que la peur et l’incertitude. Nous stagnons en raison de notre réaction collective de crainte lors d’événements traumatiques. Certes, la menace terroriste et les attaques sont bien réelles. Mais je constate que certains pays, comme la Grande-Bretagne, parviennent en cas de menaces de ce genre à créer un lien fort pour panser les plaies sociales. Dans d’autres, comme chez nous, les gens sont plus frileux et leur impuissance vis-à-vis de la lésion sociétale rend celle-ci plus grande encore.

Est-ce une hypothèque sur notre avenir ?

La société est comme un corps. Tout est interconnecté. Mais à force de nous focaliser sur cette zone touchée qui nous terrifie, ces connexions sont perturbées. Et c’est le cas depuis des années. Le corps sociétal doit à tous les égards être à nouveau relié organiquement. L’économie doit tourner, les politiques environnementales et culturelles doivent se poursuivre, les gens doivent être pris en charge. Au lieu de se replier sur lui-même, le cerveau de la société doit réfléchir calmement. Plutôt qu’avoir peur, le coeur doit pomper du sang frais afin de créer de nouvelles idées positives et générer des solutions. Cela doit fonctionner à tous les niveaux pour continuer à aller de l’avant.

Mais comment faire pour sortir notre société de cette étroitesse et donner ainsi une chance au futur ?

La connaissance est essentielle. Il est impossible de parvenir à une société équilibrée sans connaissance du passé et du présent. Les attaques terroristes actuelles sont très graves mais elles sont relatives. Il faut oser reconnaître cela en tant que société. Il existe aussi des actions criminelles de personnes isolées. Il n’y a pas de raison d’arrêter de respirer. Nous devons essayer de comprendre pourquoi ce genre d’événements arrive et chercher une façon plus rationnelle de traiter cette information. C’est difficile. Nous n’y sommes pas habitués. Si quelque chose vient perturber notre monde idyllique, nous avons tendance à nous rétracter dans notre coquille. Nous devons prendre conscience de ce réflexe d’anxiété car la peur bloque tout. Elle forme un barrage à cette vague supposée offrir un bel avenir à nos enfants. Si nous surmontons cette crainte et réalisons que la panique et la colère n’en génèrent que davantage, l’avenir semblera plus serein. Nous pourrons alors grandir et vivre de façon beaucoup plus réfléchie d’ici cinquante ans.

Parmi vos préoccupations pour l’avenir, il y a aussi notre alimentation…

La façon dont nous mangeons doit faire l’objet d’une attention majeure. Nous devons nous organiser différemment afin que notre connaissance de l’alimentation et sa disponibilité remplacent à terme les médicaments. Une meilleure relation au corps et à l’environnement permet en effet de développer une certaine sensibilité et une plus grande capacité d’empathie. Des qualités essentielles pour aboutir à une société équilibrée. Le véganisme sera selon moi la norme d’ici quelques décennies. C’est le chemin le plus éthique pour l’avenir. Notre surconsommation de sucres et de graisses, ainsi que les traitements inadéquats infligés à la viande, au poisson, aux légumes et aux fruits ont un impact considérable sur le corps et l’esprit.

Vous voyagez beaucoup, côtoyez des personnalités internationales et vos spectacles respirent la diversité. A l’aide d’influences musicales africaines, indiennes, japonaises, chinoises et argentines, vous traduisez les pensées philosophiques en mouvements. Ces cultures racontent-elles des choses sur notre propre société ?

Même si ce n’est parfait nulle part, les éléments inspirants se trouvent aux quatre coins du monde. Sur une île japonaise, j’ai eu l’occasion d’observer la façon de vivre particulièrement harmonieuse des habitants. Se sentant faire partie intégrante d’un ensemble, ceux-ci avaient développé une forte solidarité et un engagement certain les uns vis-à-vis des autres. Le corps sociétal respirait à nouveau. C’est ce genre d’idées que je souhaiterais voir se développer. Il est essentiel de faire circuler le message et de contribuer à la construction d’un avenir qui en vaut la peine.

PAR TINE MAENHAUT

BIO EXPRESS

1976 Naissance à Anvers d’une mère belge et d’un père marocain.

2010 Fonde la compagnie de danse Eastman.

2014 Remporte le prix Laurence Olivier dans la catégorie Best New Dance Production.

2015 Est nommé à la direction artistique du Ballet royal de Flandre, assisté de Tamas Moritz.

2017 Plusieurs représentations à l’étranger et chez nous, dont Babel/Words, Noetic et Icon.

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