Sylvie Testud, le feu et la grâce

Sur les planches, elle joue aux côtés de Pierre Arditi dans Sentiments provisoires. Au cinéma, elle est à l’affiche de Gamines, tiré du roman de sa vie, en salles ce mercredi.

Sur les planches, elle joue aux côtés de Pierre Arditi dans Sentiments provisoires. Au cinéma, elle est à l’affiche de Gamines, tiré du roman de sa vie, en salles ce mercredi.

Assise, elle ne tient pas en place: un tourbillon de gestes, de grimaces, de regards. Elle aurait pu être mime, mais elle aime trop les mots. Avec sa voix à la Edith Piaf après un soir de fête, Sylvie Testud est drôle, profonde. 37 ans, près de 50 films et trois romans à son actif… Terrifiante soeur Papin dans Les Blessures assassines, copine insolente de La Môme, clone de Sagan, soldat travesti de La France… elle se lance dans des rôles périlleux, convoitée par les grands réalisateurs français. Le succès n’a pourtant pas estompé les bleus de l’enfance. Il lui a fallu passer par l’écriture d’un roman, puis par son adaptation théâtrale, pour trouver le courage de jouer son propre rôle au cinéma. Dans Gamines, la comédienne règle ses comptes avec un père qu’elle n’a rencontré qu’à 34 ans et une mère italienne qu’elle adore, tout en la surnommant « Margaret Thatcher »! Elle a beau avancer comme un boxeur sur un ring, elle est le feu et la grâce.

Ritale

« J’ai un fort attachement à mes origines: le deuxième prénom de mon fils est Pasquale. Mes grands-parents, des paysans, ont émigré à Lyon dans les années 1960 pour travailler à l’usine. Ma grand-mère n’a jamais appris le français. Elle ne connaît que le dialecte napolitain! Ma mère, Ada, n’a jamais voulu nous parler en italien: être rital, c’était la honte. Ses trois gamines devaient être des Françaises pure souche. Alors elle nous a appelées Sylvie, Eléonore et Georgette. J’aurais adoré Pina ou Carla, moi! Malgré les efforts de notre mère, à l’école, nous étions considérées comme une minorité ethnique. Nous vivions dans un HLM, subissant le mépris des Français… Mais, devant ma mère, ils n’osaient rien dire. Dans Gamines, Amira Casar, qui joue son rôle, incarne sa force et sa beauté. »

Différente
« J’ai l’impression d’avoir été différente toute ma vie. Petite, j’étais la blonde aux yeux bleus dans un clan de bruns à la peau mate. Je me sentais comme une extraterrestre. Plusieurs fois, j’ai failli teindre mes cheveux en noir et mettre des lentilles colorées. Heureusement, mon oncle Egidio venait à mon secours. Il avait un charisme et une gueule à la De Niro. Un jour, il m’a dit: « Tu es comme moi. Nous, on a la force de la terre dans les mains. » J’ai toujours détesté mes mains disproportionnées de paysanne. Mais il avait raison: j’étais celle qui avait gardé la trace la plus forte de nos racines! Le qualificatif « différente » me poursuit encore. On me décrit comme une actrice « atypique », « hors normes ». »

Mon père

« Celui qu’on ne nommait jamais… Mon père a disparu quand j’avais 2 ans: je ne connaissais même pas son visage. Un jour, en fouillant dans une armoire, j’ai trouvé sa photo. J’étais son clone! Quand nous étions seules à la maison, ma mère nous disait de fermer à clef, au cas où « il » aurait frappé à la porte. Sans autre explication. A part des phrases que j’avais entendu marmonner: « Il boit », « Il n’a jamais vendu un seul tableau! ». Petite, j’ai vu une de ses toiles. Elle était cachée à la maison: une peinture abstraite, un peu cubiste… Maman la fit disparaître aussitôt. Mes soeurs disaient qu’il voulait nous kidnapper. Dans mon imagination, il a fini par devenir le grand méchant loup et nous, les trois petits cochons: il mesurait 2 mètres et il avait des épaules immenses. »

La rencontre

« En 2006, j’ai joué au théâtre, à Lyon, La Pitié dangereuse, de Stefan Zweig. Un soir, j’avançais sur scène avec mon fauteuil roulant – le personnage est paraplégique. Mes yeux se sont posés sur un homme assis sur les marches. Je l’ai reconnu à la seconde. J’ai regardé Albert Delpy, mon partenaire, et lui ai chuchoté: « A droite! Troisième rang! C’est mon père. » J’ai joué comme shootée. A la fin du spectacle, il avait disparu. J’ai passé une nuit à l’hôtel, son numéro de téléphone dans la main. Le lendemain, je l’ai appelé. Il m’a donné rendez-vous dans une brasserie. Et là, je me retrouve devant un homme à l’accent ensoleillé qui admet, avec nonchalance, que sa vie est « une merde ». Il n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé. Je m’attendais à ce qu’il me pose des questions. Mais il m’a simplement dit: « Pour toi, c’est cool. T’as une vie super! » Si, au moins, j’avais éprouvé de la haine, ça aurait créé un lien… Mais je ne ressentais rien. Il m’a demandé mon adresse et là, j’ai été odieuse: « Je dois partir, je n’ai pas le temps… » Quelques jours plus tard, je lui ai envoyé Gamines, avec un petit mot. Il ne m’a jamais répondu. C’était ma mère qu’il voulait, pas nous. »

Sentiments provisoires

« Dans cette comédie douce-amère, j’incarne une femme de 30 ans qui quitte son mari, un brillant scénariste de 50 ans (Pierre Arditi), pour son meilleur ami. Elle s’en va parce qu’elle croit en avoir fait le tour. Ses sentiments sont guidés par une soif folle d’apprendre à travers l’autre. Mais ce personnage ne fait que « visiter » des univers, fantasmer, sans jamais vraiment rencontrer la personne qui est en face. La preuve: à la fin, elle part avec un jeune de 18 ans. Malheureusement, c’est une vision assez contemporaine de la relation amoureuse. On croit avancer, on accumule, on pense que l’on « refait sa vie ». Mais, on ne refait jamais sa vie, on la poursuit. »

Drôle

« J’écris un nouveau roman et, depuis un mois, je bloque sur un détail: une broche en strass que portait une idiote rencontrée lors d’un dîner. Elle m’a dit que son but, dans la vie, c’était d’adopter… « Mon rêve, expliquait-elle, serait d’en avoir un de chaque couleur autour d’une table. » Ce livre est un pamphlet sur les femmes qui m’énervent, par exemple ces nanas qui travaillent et décident de tout à la maison: « Le jambon, ça se coupe comme ceci. La vaisselle, c’est par là! Oh, chéri, ton fils a tellement besoin d’un tee-shirt, mais laisse tomber, j’y vais, toi, tu ne sais pas. » Avant de lâcher la phrase qui tue: « Pourquoi tu ne fais jamais rien? » Sauf que le mec est infantilisé: le jour où elle veut qu’il aille acheter la tranche de jambon, comme il n’y est jamais allé, il a l’air d’un con. Et là, elle craque. Mais finalement, c’est elle l’artisan de sa perte. Moi, mon amoureux, je lui laisse tout faire. »

Coquette
« Je suis plus que coquette! C’est une horreur… Je peux passer une heure et demie à coiffer la mèche qui tombe sur mon front: ça doit faire un peu ébouriffé, un peu Patti Smith. Et j’adore les fringues: les minijupes portées avec de hauts talons, des jeans enfilés dans des bottes cavalières. J’ai peu de temps pour faire les boutiques, alors je vais dans les magasins où tout est beau et je dépense des sommes monstrueuses en un temps record. En fait, j’ai un look hyperconstruit, mais qui ne doit pas se remarquer. Ce qui se traduit par : je mets des heures à me négliger devant ma glace… »

A fond à fond à fond !
« Je suis prête à tout pour me fondre dans mes personnages. En près de vingt ans de carrière, j’ai appris l’allemand, le langage des signes et le japonais, que je parle dans Stupeur et tremblements, d’Alain Corneau… Pour Beyond Silence, je me suis mise à la clarinette. Afin d’imiter la voix de Sagan, j’ai vu une orthophoniste, puis j’ai étudié sa démarche, sa gestuelle, en visionnant tous les documents de l’INA. Pour La Pitié dangereuse, j’ai appris à jouer avec des béquilles et, pour Lucky Luke, je suis montée à cheval dans la pampa, avec une carabine sous le bras. J’ai même fait du trapèze pour un film : je devais incarner une acrobate anorexique. Je pèse 49 kg; il fallait que j’en perde cinq. J’ai mangé light pendant deux mois et je n’ai perdu que 200 grammes ! J’étais morte de faim… J’ai tout plaqué! »

Paola Genone, Lexpress.fr Styles

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