Philippe Claudel parle d’amour

Ecrivain et cinéaste, Philippe Claudel nous a habitués aux différentes gammes de gris. Pour sa première pièce de théâtre, il opte pour la comédie. Un huis clos grinçant, où un homme et une femme se disent leurs quatre vérités sans prendre de gants. Serait-ce le couperet du couple ? Il égratigne, au tournant, notre société actuelle. A travers ce questionnaire, « l’ours solitaire » et rêveur révèle ses bonheurs.

Qui vous a donné le goût de la lecture ?
Je ne viens pas d’une famille d’intellos, mais mes parents étaient très ouverts au monde culturel. Comme ils me contaient des histoires, j’ai eu envie de continuer cette exploration tout seul.

En quoi vous nourrit-elle ?
La lecture est comme un autre monde, à côté de celui où je vis. Elle n’a jamais été une fuite, sauf à l’internat, où cette bouée m’a sauvé d’une triste ambiance.

Vos héros de papier.
Les journalistes, les agents secrets et les investigateurs comme Jacques Rogy et Arsène Lupin. Fétichiste de d’Artagnan, j’adorais les aventuriers Saint-Exupéry et Mermoz. Aujourd’hui, j’apprécie les récits de grands alpinistes (René Demaison), qui ont l’art de se mesurer à l’infini. Avec leurs petits corps d’homme, ils tracent leur chemin, tels des mots sur une page.

L’alpinisme, passion secrète ?
Ce lieu de rêverie m’est d’un grand secours, tant il m’apaise et me procure une quête pure… L’instinct de survie se mêle à l’émerveillement, face à l’esthétisme des paysages.

L’héroïne dont vous auriez pu tomber amoureux.
Hélène de Troie, Milady et la Comtesse de Cagliostro (Arsène Lupin). J’étais fasciné par ces femmes ambiguës, dont le pouvoir de séduction conduisait ces messieurs à leur perte.

L’écrivain dont vous vous sentez proche.
Julien Gracq, Pierre Charras et Mario Rigoni Stern, un romancier qui a vécu la guerre avant de se retirer dans les montagnes italiennes. Il m’a conduit vers Primo Levi, qui était aussi alpiniste. Je suis proche d’hommes du nord comme Gilles Ortlieb et Jean-Claude Pirotte.

Celui que vous auriez adoré rencontrer.
Voltaire, pour savoir s’il avait autant de mordant dans sa conversation, et Pascal pour contre argumenter ses propos. J’ai attendu des années avant de visiter Julien Gracq. Notre conversation délicieuse demeure présente dans mon esprit.

Celui qui parle le mieux d’amour.
Jean Giono dans L’Iris de Suse.

Où aimez-vous lire ?
Partout, surtout dans mon lit, le soir avant de m’endormir.

Et écrire ?
Comme je voyage beaucoup, j’écris dans les aéroports, les avions et les chambres d’hôtels.

A quoi ressemble votre bibliothèque ?
A rien (rires). Les livres sont envahissants… Tantôt, je prends du plaisir à les voir, tantôt ils se dérobent. J’aime qu’ils circulent, alors j’en donne beaucoup. Restent ceux que je garde pour moi ou pour ma fille. Inclassables, les livres sont des êtres vivants.

Ecrire pour fuir ou se trouver ?
Il s’agit plutôt d’explorer des vies, qui ne sont pas la mienne.

Premier souvenir théâtral.
A l’internat, vers 13-14 ans. Un professeur nous a amenés voir une pièce, drôle et provocante, sur une enseignante. Quand elle s’est dénudée, j’ai ressenti un tel choc émotif et érotique, que j’ai adoré le théâtre (rires) !

Déclic de votre première pièce ?
Mon roman Le rapport de Brodeck, le scénario du film Il y a longtemps que je t’aime et cette pièce sont nés en même temps. J’avais envie de m’octroyer un moment de détente. Etais-je capable d’imaginer un vaudeville sur une scène de ménage ? J’ai écrit cette pièce en rigolant. Ma femme a décrété qu’elle devait être jouée.

Pourquoi vos oeuvres « parlent-elles souvent d’amour » ?
On me dit que je parle toujours de mort, or je rêve d’écrire un pur roman d’amour. Brodeck montrait comment un amour peut ramener quelqu’un vers le monde des vivants. Quand j’écris, j’explore d’autres existences, or nous appartenons tous au même monde. Il n’y a pas de vie sans les autres ! L’amour, c’est l’espérance de renaître et de repartir.

Que représente l’amour dans votre vie ?
Une force, le noyau central. Grâce à ma femme et à ma fille, je suis comme une planète perdue, qui a trouvé son orbite.

La plus belle déclaration d’amour.
Le mot déclaration m’évoque les impôts (rires) ! Les premiers moments de la passion sont vertigineux, troublants. Ils sont à réinventer chaque jour.

Une dispute, explosive ou essentielle ?
Ce couple fictif peut tout se dire, car ils s’aiment et ne seraient rien l’un sans l’autre. Leur crise est une catharsis, dénonçant le miroir aux alouettes. Même éteint ou masqué par « les petites lâchetés du quotidien », l’amour est formidable.

L’humour, « vérité de l’aube ou du crépuscule » ?
Une vérité… Certains se dévoilent, alors que d’autres se couchent avec, car, c’est un vêtement transformable. L’aube et le crépuscule sont des moments d’intense rêverie.

Que vous inspirent les dîners mondains ?
J’y suis souvent invité, mais je préfère décliner. Bien qu’étant très social, j’ai un côté ours. Ma nature profonde est d’être seul, dans la montagne, avec les gens que j’aime.

Qu’est-ce que la beauté ?
C’est une question d’accord entre un sujet et celui qui le contemple. Très sensible aux femmes, je n’en ai jamais rencontrées de laides. La beauté est inséparable de l’émotion. Actuellement, l’image envahit tout. « Je parais, donc je suis », alors que tout est faux.

Qui l’incarne ?
Une quantité d’êtres et de choses. L’élégance d’un propos, d’une attitude. C’est l’inverse du vulgaire et du mauvais goût, à la Karl Lagerfeld, qui est si représentatif de notre époque.

Qu’y a-t-il de plus beau en vous ?
Ma naïveté. Mon corps change et s’use, mais il y a toujours en moi l’enfant qui s’émerveille et l’ado qui se révolte. Tristes et résignés, trop de gens ont abandonné leur capacité à rêver et à s’insurger.

Peur de vieillir ?
Plus le temps passe, plus je suis bien dans mon corps, ma tête et ma vie. En tant que grand sportif, j’accepte d’aller moins vite. C’est pour ma fille que j’espère encore rester. Je comprends l’angoisse de nos contemporaines. Instrument du diable, la photo retouchée propose des modèles qui n’existent pas. Les visages des vieux sont si beaux et nous disent tant de choses…

Qu’en est-il de votre apparence ?
Je m’en suis soucié, étant jeune, car je voulais séduire toutes les filles (rires). Même si je ne m’aime pas, je me sens bien dans ma peau. Fou de sport, je veille à ne pas prendre trop de poids. Le bon vivant cherche un équilibre entre le plaisir et la maltraitance de son corps.

Côté look…
Le passe-partout, afin qu’on ne me reconnaisse pas. Je préfère me fondre dans le paysage.

Objets précieux.
Un stylo chinois qui écrit magnifiquement bien. Mon ordinateur portable : « l’apprenti créateur », n’est rien sans ça ! Et ma guitare électrique, que j’aime voir et toucher. Elle me relie à la mythologie artistique de Hendrickx ou Keith Richards.

Autre émotion artistique.
La peinture, qui constitue aussi une voie exploratoire. J’adore la peinture flamande, des Primitifs au XVIIe siècle. Là, je prépare des croquis sur des téléphones portables, traités comme des natures mortes. Ces petits cercueils sont d’une telle utilité et d’une telle vanité !

Le plus merveilleux dans le monde actuel.
La faculté qu’on a à retrouver l’espoir et à envisager quelque chose de neuf. J’étais aux Etats-Unis, lors de la dernière campagne électorale. Cette cristallisation de l’espoir, autour d’Obama, était formidable.

Le plus désolant.
L’incompréhension face à l’imperfection humaine, qui peut à la fois produire du Beau dans les sentiments, et imaginer les instruments de destruction. C’est intrinsèque à notre conception…

Comment vous impliquez-vous ?
En écrivant pour témoigner, faire naître des questions et nous pousser à évoluer.

Votre plus grand luxe.
Faire ce que j’aime en vivant avec ceux que j’aime.

Le vrai sens de l’amour ?
Le don d’amour consiste à considérer l’autre. Notre monde a fini par épuiser cela. Aussi la mission de l’art est-elle de recréer du lien. Si un livre contribue à se sentir moins seul et suscite une petite révolution intérieure, c’est extraordinaire. L’art peut réinstaller l’amour.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

Parlez-moi d’amour, par Philippe Claudel, Stock, 116 pages.

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