Expresso

Camille de Peretti pétille de bonne humeur. Découverte avec un premier roman surprenant, Thornytorinx, elle nous emmène maintenant aux Bégonias, une maison de retraite qui n’est pas de tout repos. Très beaux, ses personnages ne ménagent ni leurs peines, ni leurs espoirs.L’écriture, ludique ou vitale ?
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours écrit. Il m’est nécessaire de tenir un journal intime car, tout ce qui n’est pas écrit est perdu. Quand on a une telle obsession, mieux vaut la transformer en jeu (rires).

Quels sont vos rituels ?
Depuis mes 13 ans, j’écris mon journal dans le même type d’agenda d’étudiant, qui provient toujours du même magasin. Au réveil, je me consacre à la lecture, puis je fais une balade avant de commencer à écrire vers 16 heures.

Que lisez-vous ?
Des classiques. Le temps trie pour nous ceux qui demeurent de grands auteurs. Balzac, Tolstoï ou Stendhal sont magnifiques. Comment choisir des contemporains quand on est inondé par tant de parutions ?

Vous préférez vous glisser dans la peau d’un personnage de roman ou de cinéma ?
De roman, car on est plus libre quand on écrit. Alors que l’image impose des choses, les mots ont un pouvoir évocateur.

L’héroïne littéraire que vous rêvez d’interpréter ?
Esther, dans Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac. D’une beauté sublime, cette séductrice a tous les hommes à ses pieds. Mais elle est aussi un ange de pureté, qui se sacrifie par amour. Elle passe de la putain à la vierge. J’adore !

Vos modèles féminins ?
Ma mère, plus courageuse qu’un homme, elle nous a élevées seule. Issue d’un milieu défavorisé, elle a lutté pour que ses enfants ne souffrent pas. En littérature, mes modèles sont Marguerite Yourcenar et Virginia Woolf.

Qui est la Camille de vos romans ?
En composant Thornytorinx, je pensais qu’il suffisait d’écrire sur moi. Ma pensée me semblait intarissable. Après deux romans, j’ai réalisé qu’on est creux, alors je me suis tournée vers la réalité. Ainsi, je suis partie à la rencontre de résidents et de personnel soignant de maisons de retraite. Sous les traits de Camille, on peut tous se reconnaître dans le fait de devoir abandonner un être aimé, qui n’est plus comme avant.

Avez-vous été inspirée par vos grands-mères ?
Je suis très famille. Il y a Madeleine qui nous a presque élevées. Sereine, douce, mais triste en fin de vie, elle m’a inspirée Thérèse. Le roman est dédié à Baba. Cette mamy excentrique et insupportable se retrouve chez Nini, la marraine de Camille.

Des secrets de grands-mères ?
Oui, plein (rires). Etant antimédicaments, je fais des potions à base d’herbes.

Vieillir vous fait…
Terriblement peur ! Comme en témoigne mon journal, je suis obsédée par le temps qui passe, la mémoire qui s’efface. Les personnes âgées nous renvoient un miroir de ce que nous allons devenir. Je crains surtout la dépendance.

Nous vieillirons ensemble, pourquoi ce titre ?
Au départ, je songeais à Les Vermeilleux (cf. merveilleux vieux). Puis, Pas encore morts, car en dépit de la mort qui les guette, ils peuvent encore rigoler et tomber amoureux. Mon éditeur trouvait ça trop noir (rires). Ce titre-ci se veut un message d’espoir.

Les héros de ce home souffrent de solitude.
Ces personnages représentent tous une part de moi… L’écriture est l’apprentissage de la solitude : il faut s’isoler pour creuser à l’intérieur.

Pourquoi ce ton tragi-comique ?
Parce que ça correspond à mon caractère. J’ai traversé des moments durs. Rire de la vie et de moi-même me permet de prendre des distances. Cela transparaît dans mes romans. On y voit les choses en face, tout en continuant à vivre.

Le Capitaine Dreyfuss nous invite à ne pas renoncer à nos rêves. Quels sont les vôtres ?
J’ai vraiment rencontré ce personnage, haut en couleurs, qui nous rappelle que la vieillesse est pleine de promesses. J’espère que le livre marchera, car je ne suis pas encore un écrivain reconnu.

Est-ce un rêve d’enfant ?
Oui. Solitaire et renfermée, j’aimais plonger dans les livres pour échapper au réel. Cela me procurait tant de joie que je rêvais de donner mon pareil. Dans une rédaction, écrite à 11 ans, je disais vouloir être écrivain pour faire rire et pleurer les gens.

Pourquoi le désir est-il « le seul sentiment qui soit »?
Parce qu’il est irrésistible. Quand on veut vraiment quelque chose, rien ne peut nous entraver. Le désir permet d’abattre des montagnes !

Et le désir amoureux ?
L’amour est le seul fil qui tienne. Il n’y a pas d’âge pour ça. J’ai vu des vieux s’aimer à 90 ans. Même si la sexualité a du mal à suivre, le véritable amour ne tarit jamais.

Quel genre d’amoureuse êtes-vous ?
Je suis une amoureuse éperdue, qui a besoin qu’on l’aime 24 heures sur 24 (rires). En ce moment, j’aime un homme à la folie. Cette intensité sincère est fatigante pour moi et pour l’autre. J’espère pouvoir vieillir avec quelqu’un.

Construit sur le modèle de Perec, ce roman rappelle que la vie ne peut être rangée dans de petites cases. Etes-vous dans la multiplicité ?
Complètement ! Polyglotte (anglais, allemand, japonais, italien), j’ai vécu dans plusieurs pays et exercé divers boulots. Bien que j’adore voyager, j’aime revenir à Paris, dont j’apprécie les pierres grises. Mais je me sens si à l’aise à Bruxelles, que je pourrais m’y installer.

Peinture préférée ?
Un peu de tout, je suis un vrai rat de musée ! Si je devais être portraiturée, ce serait par Ingres pour ses robes de princesse et la finesse de sa dentelle.

Un cinéaste pour vous filmer ?
Pedro Almodovar pour Talons aiguilles. J’ai arrêté le cinéma car je suis une piètre actrice.

Le dernier film qui vous a fait pleurer ?
La Graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche. Touchant, ce film est aussi oppressant que la vie.

Dernier fou rire?
Lors de cette interview !

La soirée idéale…
Avec des gens que j’aime. Depuis l’interdiction de fumer, on se fait des soirées à domicile. Cette législation m’attriste, car on nous prive d’un vrai plaisir.

Tenue de soirée?
Je mets toujours des talons pour sortir.

Celle de tous les jours?
Un jogging confortable. J’ai une vision plutôt personnelle de la mode. Dans ma garde-robe farfelue, il y a : des couleurs, des chemises et des pulls d’hommes, des robes de petites filles, de grosses chaussures et un foulard Hermès.

Dans Thornytorinx, vous abordiez votre anorexie/boulimie. Où en êtes-vous ?
Je vais mieux, car je fais des efforts pour gérer mes contradictions. S’accepter comme on est, c’est aussi accepter de ne pas s’accepter.

Qu’aimez-vous manger ?
Presque tout, sauf les aliments que j’ai trop vomis, comme le chocolat ou le riz. J’adore les fruits rouges. Rien qu’en pensant aux groseilles, ça me pique dans la bouche (rires).

Etre une femme, c’est…
Avoir des bébés et être sensuelle. Mon amoureux me dit que je le suis en jogging, alors me voilà rassurée (rires).

A qui ou à quoi êtes-vous fidèle ?
A ma parole, à l’amour et à l’homme que j’aime.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

Nous vieillirons ensemble, par Camille de Peretti, Stock, 340 pages.

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