De l’amour

Toutes les deux semaines, l’écrivain Grégoire Polet nous dévoile ses coups de coeur et coups de griffe.

Quel bonheur d’être séparé de ce qu’on aime… Bizarrement, oui, quel bonheur. Ne pas voir ce qu’on aime le plus voir, ne pas entendre la voix qu’on aime le plus, ne pas toucher les cheveux qu’on adore. Leur rendre l’absence ! Car l’absence leur appartient, à ces cheveux, à ce visage, à ce nom, à cette voix, à cette odeur, à tout cela qu’on aime éperdument, et complètement. Sans l’absence, ils ne sont pas complets.

Même, il n’est pas impossible qu’à la naissance du sentiment amoureux l’absence soit une partie importante, principale, de ce qui dans l’autre devient le premier ou le véritable objet de notre amour. Car on tombe amoureux d’abord de quelqu’un entièrement nimbé d’absence, enveloppé dans une lumière et un parfum et un prestige d’absence. À tout moment on sent combien l’être aimé risque de nous échapper, de disparaître. Soit parce que notre amour n’est pas payé de retour et que l’aimé n’est à nous attaché par aucun lien. Soit, si l’amour est réciproque, disparaître parce que l’amour au début, palpite constamment de risque et de danger, semble toujours menacé, malgré l’ardent désir, où il faut toujours, comme si l’on était dans la nuit noire, s’assurer que l’autre est là, que l’amour n’est pas parti, car on est au début amoureux de quatre-vingt pourcents d’absence, en répétant à tour de rôle : « Tu m’aimes ? Dis-le moi, dis-le moi, que tu m’aimes… »

Quel bonheur, d’être séparé de ceux qu’on aime, un bref temps, béni, de retrouver ce qu’on avait perdu d’eux et qui nous accompagnait depuis l’origine, et qui ne cessait de s’évaporer : leur absence précieuse, qui vient nous envelopper et s’enrouler autour de nous et nous étreindre et qui nous met au coeur la sensation terrible et dangereuse et jouissive et formidable et retrouvée vraiment – de l’amour.

Grégoire Polet

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