Tendance: « smart is the new sexy » ou la revanche des cerveaux

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Des plateaux de tournage de Hollywood aux nouvelles égéries de la publicité, les intellos bosseurs – de préférence un peu mignons – ont tout bon. Si les loosers d’hier sont aujourd’hui des role models, c’est que « smart is the new sexy ». Explication.

C’est ce que l’on pourrait appeler la revanche des premiers de classe. Des forts en math, en Java ou en dissertation. Tous les pas cool raillés au cinéma, à la télé et dans la cour de récré. La mode est à l’intellect : en 2013, avouer haut et fort sa passion pour la poésie médiévale ou l’opéra contemporain a tout du coming out branché. Pour plaire désormais – à sa moitié, aux producteurs de Hollywood comme aux marques en quête de buzz -, plastique irréprochable et belle gueule ne suffisent plus. Egéries de Dior et Gucci, Natalie Portman et James Franco, non contents de s’illustrer devant la caméra, ont tous les deux mis à profit leurs heures perdues pour décrocher un diplôme – en psychologie à Harvard pour elle, en littérature à Columbia pour lui – dans deux des universités les plus prestigieuses des Etats-Unis. Un profil « nerdy » que les maisons qui les emploient prennent bien soin de mettre en avant sur le C.V. de leurs poulains.

 » Certes, lorsqu’elles choisissent une star pour les représenter, les marques entendent bien vendre, grâce à elle, davantage de produits, détaille Marc Lits, directeur de l’Observatoire du récit médiatique à l’UCL. Mais elles veulent aussi se montrer responsables, faire état de leurs valeurs, se démarquer du reste du marché, en particulier de la concurrence qui se contente de valoriser l’apparence… ce qui n’est plus tellement en vogue aujourd’hui.  »

L’excellence dans la pratique d’un art – la danse, la musique, l’écriture… – ou la réussite d’études brillantes – plus c’est théorique et complexe, mieux c’est – n’est plus réservée au personnage marginal de l’histoire, comme en témoigne le profil des nouveaux héros de films ou de séries télé. La palme revenant assurément aux personnages de Big Bang Theory, mettant en scène, depuis six saisons déjà, une bande de chercheurs universitaires vivant en colocation – et à qui l’on doit la réplique devenue culte  » smart is the new sexy « . Mais s’ils discutent bien de temps à autre de la théorie des cordes et des preuves de l’existence du boson – la véracité scientifique des dialogues et des équations figurant parfois en arrière-plan est d’ailleurs validée par un comité d’experts de UCLA – le pitch de ce Friends nouvelle génération tourne principalement, comme dans l’original, autour des aventures sentimentales des différents protagonistes.

 » Mis à part quelques scènes où, de toute façon, ce dont parlent les acteurs vole tellement haut que la majorité des téléspectateurs n’y comprend absolument rien, on est dans le divertissement pur, pas dans le programme pédagogique, enchaîne Marc Lits. Quand on se laisse aller à la légèreté, on a parfois un peu mauvaise conscience. Ces héros au profil plus intellectuel sont déculpabilisants, en quelque sorte. La fascination pour les grands savants, de préférence un peu fous, ne date pas d’hier : la photo d’Einstein tirant la langue, on en a fait des posters. Les héros de Big Bang Theory sont des caricatures de chercheurs : c’est valorisant d’avoir envie de leur ressembler. Mais en même temps, ils sont tellement intelligents que cela en fait des marginaux perdus dans leur monde, que le commun des mortels n’égalera jamais. « 

Ce profil de doux rêveur de génie, on le retrouve aussi dans la comédie douce-amère Elle s’appelle Ruby, où Calvin, jeune romancier en panne d’écriture, au look de hipster pas du tout calculé avec ses grandes lunettes en écailles, ses chemises à manches trop longues et sa machine à écrire d’un autre siècle, voit sa petite vie pépère bouleversée par l’apparition littérale de Ruby, le personnage de fiction qu’il a lui-même imaginé. Un couple porté à l’écran par un couple à la ville – l’acteur Paul Dano et l’actrice-scénariste du film Zoe Kazan – pas très différent dans la vraie vie du duo d’intellos qu’ils incarnent. Comble du comble ? L’actrice Mayim Bialik, aka Amy Farrah Fowler dans Big Bang Theory, possède, comme son personnage, un doctorat en neurobiologie !

Une envie de copier-coller cultivée également par les producteurs de Jobs, le tout nouveau biopic consacré au fondateur d’Apple. Cela faisait quelques mois qu’Ashton Kutcher avait adopté la garde-robe de l’homme à la pomme – soit un vieux Levi’s délavé, un pull à col roulé noir et une paire de sneakers Balance en fin de vie. Une ressemblance qui ne semble pas s’arrêter qu’au physique d’ailleurs : sous ses airs de ne pas y toucher et surtout de ne pas en toucher une, l’ex-mari de Demi Moore est un investisseur au nez creux, porté sur le 2.0, aussi authentiquement geek que l’inventeur de l’iPad. Le film, qui vient de faire la clôture de Sundance,  » le  » grand rendez-vous annuel du cinéma indépendant aux Etats-Unis, serait l’un des plus attendus de 2013. Preuve que désormais la vie d’un supervendeur de matériel informatique est capable de faire rêver.

 » Les combats à mener aujourd’hui sont économiques, ajoute Marc Lits. Derrière tous ces profils couve l’idée que ce n’est plus en se battant avec ses poings que l’on va décrocher un bon job mais en étant plus qualifié – donc en étudiant plus – ou en ayant le coup de génie qui va tout révolutionner. Il ne faut pas oublier non plus que le public à qui ces séries et ces films sont destinés est lui aussi de plus en plus scolarisé : il y a en Belgique plus de 100 000 jeunes qui poursuivent des études supérieures. Plus que jamais en temps de crise, l’effort, sous toutes ses formes, est revalorisé. « 

Ainsi, le nouveau visage du parfum Armani Eau pour Homme n’est autre que le créateur italien lui-même, backuppé dans la version Eau de Nuit par le violoniste Charlie Siem et le photographe Francesco Carrozzini. Deux (très) jolis garçons aux visages complètement inconnus du grand public choisis pour leur talent et posant sobrement dans une photographie noir et blanc. Une ascèse qui fait écho à celle de la publicité pour le parfum N°5 de Chanel, mettant en scène dans un plan fixe un Brad Pitt christique et non retouché déclamant face caméra un poème – plutôt triste – en anglais. Et que l’on retrouve aussi dans la dernière campagne Prada – elle aussi en noir et blanc – où les people shootés comme des  » vrais gens  » sont presque méconnaissables.

Montré sans fard, Brad Pitt garde en lui quelque chose de tous les personnages qu’il a incarnés. Ces rides témoignent de son vécu, ses cernes de son agenda bien rempli de militant et de père de six enfants. Une mise à plat à laquelle le célèbre calendrier Pirelli himself a fini par succomber : rhabillant ses modèles, photographiés au Brésil par le reporter Steve McCurry – l’Afghane aux yeux verts, c’est lui – il donne la parole à quelques anonymes mais aussi des belles conscientes du monde comme Summer Rayne Oakes, 1,90 m sans talons, diplômée de l’université de Cornell en Sciences de l’Environnement et en Entomologie ou la top tunisienne engagée, Hanaa Ben Abdesslem.

 » Notre monde est en crise, mais aussi en crise de valeurs, conclut Marc Lits. Tout ce qui peut contribuer à donner du sens sera privilégié. Lorsqu’on est une star, démontrer que l’on est davantage qu’une image glamour sans substance comme pouvaient apparaître les acteurs dans l’opulence de l’après-guerre, qu’on a de la profondeur – par sa culture, ses lectures, son engagement humanitaire aussi -, permet de se singulariser. Dans une société où l’individualisation est reine, l’icône ne doit plus être rassembleuse, lisse et sans aspérité.  » Se fondre à tout prix dans la masse n’est plus une obligation. Sauf peut-être encore dans les cours de récréation.

I.W.

>>> Pour preuve que l’alliance smart et sexy fait recette, cette publicité diffusée durant le Superbowl, qui sème la zizanie sur les réseaux sociaux…

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