Trop belles pour être vraies

« Rien n’a aussi bon goût que de se sentir maigre« , c’est ce que déclarait le mannequin Kate Moss lors d’une interview au Women’s Wear Daily, en novembre dernier.

Dans un monde où l’apparence compte énormément, les propos du modèle pourraient bien inciter de nombreuses adolescentes à vouloir lui ressembler. En effet, beaucoup d’entre elles, mais aussi de nombreuses femmes plus âgées cherchent à correspondre aux mannequins des podiums et des magazines.

Etre mince, jeune, belle, voici les critères de beauté qu’imposent à notre société les milieux de la mode et de la beauté, et par contamination la presse féminine. Un prototype de beauté jugé « idéal » par des millions de jeunes filles, et maintenu comme la norme par les acteurs du secteur.

Etre mince, mieux, être maigre

Dans une proposition de résolution visant à combattre l’anorexie en 2008, le Sénat belge déclare : « L’idéal féminin étalé dans les médias est celui d’une silhouette dont la maigreur apparaît aujourd’hui comme la norme. Les mannequins « fils de fer » représentent le modèle parfait à atteindre pour des millions de femmes« . Ces mannequins sont à la fois victimes du système, puisque bon nombre d’entre elles souffrent d’anorexie, mais en sont aussi vecteurs. À ce sujet, le jeune top modèle brésilien Ana Carolina Reston décédait des suites de l’anorexie en 2006. A 21ans, elle ne pesait plus que 40 kilos pour 1,74 m.

Et pourtant, des acteurs de la mode continuent à encourager ce phénomène de minceur absolue. Emboîtant le pas aux propos de Kate Moss sur le plaisir éprouvé en se sentant maigre, le styliste allemand Karl Lagerfeld déclarait récemment, « Les rondes n’ont pas leur place dans la mode!« . Des paroles-chocs assez contradictoires puisqu’en avril 2009, il faisait de Lilly Allen, chanteuse britannique loin d’avoir les mensurations filiformes d’un mannequin, la nouvelle égérie Chanel, pour sa ligne de sacs Cocoon. Et ceux-ci jouent un rôle dangereux, car, en prônant un idéal de beauté filiforme, ils entretiennent l’obsession de minceur dans la société. C’est à l’adolescence particulièrement, période de construction et de recherche identitaire, que ces représentations touchent le plus. En effet, pour réussir à passer cette phase de vie – phase difficile pour beaucoup – certaines jeunes filles ont besoin de se raccrocher à des modèles. Et ces modèles, c’est dans les magazines féminins que la plupart d’entre elles les retrouvent. Mais beaucoup se sentent en décalage par rapport à l’idéal véhiculé par les mannequins et la mode. Elles ont l’impression d’être anormales ou pas assez belles ou indésirables. Lire l’avis d’un psychologue.

Tout à fait à contrecourant de ces déclarations, « Brigitte« , le magazine féminin le plus vendu en Allemagne, a préféré échanger « les mannequins aux os saillants » contre de « vraies femmes ». Et il n’est pas le seul à lutter contre le diktat de la minceur absolue. La marque Dove, elle aussi, tient à changer les mentalités, en présentant, dans ses campagnes, des modèles posant au naturel auxquels les femmes peuvent davantage s’identifier. En agissant de la sorte, Dove souhaite stimuler le débat sur les normes de la beauté. D’après le label, « Il faut inciter les femmes à se sentir belles chaque jour en se débarrassant des stéréotypes étroits et figés de la beauté. Celle-ci existe sous différentes formes et tailles et à différents âges. La ‘véritable’ beauté peut être authentique et étonnamment belle« .

Avoir la peau claire

Etre mince, jeune, belle, mais aussi avoir la peau claire. La majorité des marques choisissent pour leurs campagnes de pub des femmes occidentales. En août 2008, une publicité L’Oréal met en scène la chanteuse Beyoncé, née d’un père afro-américain et d’une mère créole. Elle apparaît avec la peau bien plus pâle que d’habitude et des cheveux blonds vénitiens lissés. La marque de cosmétique aurait blanchi la peau de l’artiste grâce à un logiciel de retouche photo, suscitant un tollé de la communauté noire.

Et comme si les mannequins de couleur n’avaient pas encore assez de mal à trouver leur place dans les milieux de la mode et de la beauté, une autre série de clichés a fait scandale. En octobre 2009, le magazine Vogue Paris publie des photos sur lesquelles apparait le mannequin blanc Lara Stone entièrement grimé en noir. Le Times, suivi de nombreux avis similaires, a reproché au magazine d’avoir préféré peindre en noir un mannequin blanc plutôt que de prendre une femme de couleur. En publiant ces photos, Vogue avait touché un sujet sensible, mais se défendait en insistant sur le fait que les textes joints aux photos mettaient en avant la mise en scène, présentant une femme avec des formes – encore une fois selon leurs critères- plutôt que des mannequins squelettiques.

Mince, blanche, jeune, mais retouchée

Dans « La domination masculine », film de Patric Jean qui débat de l’illusion de l’égalité homme/femme, un passage concernant les retouches photo pratiquées dans les magazines nous dévoile un grand nombre de transformations surprenantes: les courbes des corps sont changées, la peau d’orange est effacée, la taille est affinée,…Un corps naturel se transforme et devient tout autre, un corps superficiel, qu’il arrive parfois même que les mannequins eux-mêmes ne s’y reconnaissent plus. Ce passage démontre, avec brio, qu’il est tout à fait absurde d’essayer de ressembler aux modèles des magazines, perçus comme parfaits, rayonnants de beauté et de jeunesse, car leurs mensurations sont irréelles et défient les lois de la gravité.

Et de fait, « si ces mannequins étaient réels, ils seraient tous à l’hôpital ! » déclare Susan Ringwood, présidente de Beat, une association luttant contre les désordres alimentaires en Angleterre. L’image de « la » femme qu’ils diffusent est une utopie. Selon Valérie Lootvoet, Présidente de l’Université des femmes, « les magazines féminins nous proposent une sorte de femme évanescente, une sorte d’archétype un peu stéréotypé dans lequel la plupart des femmes ne peuvent pas se reconnaître, tout simplement parce qu’il n’existe pas« . C’est pour aider à cette prise de conscience, pour empêcher des personnes de croire à ces illusions qu’une proposition de loi visant à mentionner les retouches photo sur les images publicitaires a été introduite.

En avril 2009, dans le but d’apporter une réflexion différente sur la beauté féminine, le magazine « Elle » publiait en couverture, « Stars sans fards. Sans maquillage, sans retouches, huit femmes osent la beauté-vérité ». A l’intérieur, on retrouvait des clichés de célébrités – dont Sophie Marceau, Monica Belucci et Eva Herzigova – posant au naturel avec un très léger maquillage (gloss et fond de teint) mais surtout, sans retouches photos. Des imperfections telles que ridules et petits cernes sous les yeux sont bien apparentes, mais n’est-ce pas ces petits signes du temps qui font tout leur charme.

Faut-il continuer à rêver ou se confronter à la réalité ?

Le combat honorable de certaines marques contre les diktats de la beauté et de la minceur absolue semble loin d’être gagné. Les milieux concernés ne semblent pas décidés à changer leurs mannequins, contre des femmes dites « plus normales », car comme Lagerfeld le dit « le monde de la mode et de la beauté doivent rester un fantasme, fait d’êtres inaccessibles et irréalistes « . Le tout ne serait-il donc pas de prendre du recul par rapport à ce que l’on nous met sous le nez ? Ne devrait-on pas finalement garder cette part de rêve tout en prenant conscience que ce que l’on voit dans les magazines, n’est pas forcément réel ?

Laura Morthier

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