Valse avec Valdés

Derrière son tempérament tempéré se cache un volcan. Tantôt Zoé Valdés pétille de fantaisie, tantôt elle s’attriste en pensant à Cuba, sa terre natale… Deux visages, à l’image de ses deux derniers livres : un roman frétillant, où la lutte des corps enflammés se mêle au tourbillon des pensées ; et un essai sincère et sarcastique sur Fidel Castro.
Vous dites écrire avec « frénésie ». L’écriture est-elle pour vous une fièvre ou une nécessité ?
C’est à la fois de l’amour, de la passion ou de la fièvre. Mais il s’agit surtout de poser des questions et de me retrouver dans des réponses. C’est un jeu, un mystère…

Qui vous a donné ce goût de l’ écriture?
Mon grand-père maternel chinois, qui s’est arrêté de parler, à 40 ans, pour se mettre à écrire. Amoureuse de la lecture, ma grand-mère était toujours derrière moi pour me donner des livres. Elle m’a appris le sens de l’observation et la présence des choses.

Un livre vous a-t-il donné l’envie d’écrire ?
A la Recherche du temps perdu, de Proust. Très engagé, il nous convie à une initiation littéraire. On y sent la vie, la vision, la passion, la chair et la mort d’un écrivain. Aujourd’hui, on est tellement dans l’urgence, qu’on n’a plus le temps de décortiquer la société. J’ai eu le privilège de lire les sept volumes, annotés par José Lezama Lima, le Proust cubain.

A partir de quand les mots se transforment-ils en arme ?
Les mots sont d’abord liés à la littérature. Ils renferment une passion pour un monde inconnu, qui surgit de l’imaginaire et de la réalité. Mais, plus qu’un art, les mots sont aussi une arme. Dotés d’un énorme pouvoir, ils peuvent dénoncer ou faire réfléchir.

Les mots sont-ils votre cordon ombilical avec Cuba ?
Mon corps est tellement lié à mon pays. Ses odeurs, ses saveurs me manquent tant. En ce moment, j’ai besoin d’une rupture physique avec lui, mais l’écriture m’y relie toujours.

Quelle couleur l’exil a-t-il donné à votre écriture ?
La couleur de la constance et de la persistance. Chaque jour, je suis fidèle à mon travail. Malgré la douleur, il n’est pas teinté de souffrance. La France m’a appris la complexité de la liberté. C’est merveilleux de pouvoir s’exprimer et partager ses émotions.

Qu’y a-t-il de foncièrement cubain en vous ?
Ma façon d’écrire et de danser.

Quels sont vos rêves pour votre terre natale ?
Je rêve de démocratie et de liberté. Alors qu’on affirme que les écrivains ne font rien, beaucoup luttent dans une solitude totale ! On cache la guérilla qu’ils ont menée contre Castro. Je ne perds pas espoir, mais la passation de pouvoir à son frère Raúl Castro me rend pessimiste…

La création rime-t-elle avec passion ou révolution ?
Je n’arrive pas à percevoir la révolution de façon positive. La création est une force et un mystère en soi. Toute création est un acte d’amour, de joie et de jouissance. Elle nous apporte l’envie de vivre plusieurs vies, de se trouver face à la réalité du monde et de mieux le comprendre.

Ecrivez-vous la nuit ?
Oui, mais je corrige le matin. C’est un moment de transe. Une fois que c’est fini, je suis face au vide, que je compense par la réalité. Une femme écrivain se doit de retourner à la vaisselle et aux enfants (rires).

Avez-vous des pannes d’inspiration ?
Bien sûr, mais la vie me donne toujours la force de reconvertir mes états d’âme en littérature.

Ici, votre héroïne réalise un roman érotique. Qu’est-ce que l’érotisme pour vous?
C’est la rencontre d’une mélodie intérieure et d’un mélange de corps et de mots. Cette relation entre ce qu’on devine, ce qu’on suggère et ce qu’on peut palper, est très subtile…

Votre référence érotique ?
Aurélia, de Gérard de Nerval, est d’une sensualité incroyable, d’une beauté pure et d’une poésie indescriptible.

Quel est votre rapport au corps ?
Je suis très pudique. Or mon corps est assez transparent. Beaucoup de personnages passent à travers moi, avec leur légèreté et leur désespérance.

Qu’y a-t-il de plus érotique en vous ?
Ma bouche. A 50 ans, le désir ne s’en va pas. Les cinq sens prennent plus d’importance.

« Don Juanne » ou éternelle amoureuse ?
Je suis dans la contemplation, tout en étant passionnelle. Férue d’amour absolu, je ne suis pas égoïste. Dans mes romans, on pointe souvent le côté politique, alors que j’explore des histoires d’amour, de coeur, de mémoire et de désir, au sein d’un contexte politisé.

La séduction pour vous c’est…
Un jeu que je n’aime pas. Je préfère les moments de don et de joie, quand on est amoureux. Le désir est en train d’être tué. Mon roman parle justement de ce monde, où il faut à tout prix y arriver, y compris en amour. Etre tiraillées entre leur vie, leur mari et leur carrière, telle est l’histoire des femmes.

Qu’est-ce qui vous séduit chez un homme ?
Les pieds, pas facile à repérer (rires) ! Plus sérieusement, la gentillesse et l’honnêteté.

Qu’est-ce qui vous rend séduisante ?
Un mélange de calme apparent et de tempérament volcanique, passionnel, fou.

La vie est-elle « une danse » ?
Une danse, à laquelle l’écriture se lie bien, puisque je bouge les mots comme je bouge les hanches. Ce qui m’intéresse, c’est la beauté des corps et le mouvement des mots entre eux. L’écriture est une danse avec soi-même, dans laquelle on fait entrer les autres.

Avec qui rêvez-vous de former un duo ?
Joaquín Cortés, que j’ai pu rencontrer. Timides, nous n’avons pas échangé un mot ! Et puis, Nijinski.

La musique qui vous fait danser ?
La musique cubaine et le flamenco espagnol. Dès que j’entends des tambours, je me lève de ma chaise.

Et pleurer ?
Le tango, qui est parfois très douloureux. La musique me donne une force incroyable. Même si je pleure, je change d’esprit.

Qui sont « les véritables artistes » ?
Je crois aux artistes, blessés par leur art, mais qui se soignent par une force vitale. Certains restent blessés à vie : Nijinski, la Callas, Anaïs Nin, Sagan ou Yourcenar.

Etes-vous une artiste ?
Je fais de la peinture, mais trop pudique, je redoute d’entrer dans un monde qui n’est pas le mien.

La mode pour vous est-elle, essentielle ou superficielle.
La femme est profonde et légère, c’est ce qui fait la beauté de l’être humain. Je suis partisane de Coco Chanel :  » la mode qui se démode « . Ce n’est pas celle des saisons, mais des styles artistiques intemporels.

Quels sont les créateurs qui vous mettent en valeur ?
Chanel, Saint-Laurent ou Jean-Paul Gauthier. J’ai beaucoup d’estime pour ces artistes, dont la référence au corps rime avec intelligence, désir et générosité. J’aime aussi Galliano, qui a compris que la mode se fait à travers toutes les langues et les cultures.

Quelles sont les couleurs du coeur ?
Le rouge, le bleu et le jaune, qui m’évoquent le feu, la mer et le soleil.

Vos accessoires indispensables ?
Les chaussures et les sacs, mais un chapeau à plumes me fait rêver au point de me donner envie d’écrire ou de peindre !

Etes-vous pour ou contre la chirurgie esthétique ?
Ça peut être nécessaire. Or, parfois, c’est un problème de personnalité. Je suis agacée par ce qu’on impose aux femmes. Si vous n’êtes pas jeune et belle, vous n’êtes rien ! Même dans l’écriture, on préfère un jeune auteur, écrivant mal, au travail sérieux que ça requiert.

Etes-vous courageuse ?
Oui, je n’ai pas peur de m’en vanter. Je suis téméraire.

Et paresseuse ?
Tout le contraire et ça m’énerve (rires). C’est terrible d’être aussi exigeant avec soi-même.

Qu’est-ce qui vous fait douter ?
L’irresponsabilité des gens et du monde face à l’horreur, comme par exemple le terrorisme. J’ai peur du totalitarisme qui s’installe partout, parce que je l’ai vécu. On ne veut pas toujours voir le danger derrière les symboles et le langage sectaire. Je doute aussi dans mon travail, mais c’est positif car ça me fait grandir, évoluer.

Qu’est-ce qui vous fait vibrer ?
La générosité et l’amour. J’apprécie la solidarité quand elle n’est pas une discipline politique.

Et exister ?
L’espoir.

Qui donne un sens à votre vie ?
Ma fille, Luna.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

Danse avec la vie, 279 pages et La fiction Fidel. Tous les deux chez Gallimard.





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