Ce que veulent les riches? De l’exceptionnel!

© F. Buyle/nektos.net (Somewhere club)

Rayon voyage, le luxe ne suffit plus aux riches. Vivre une expérience d’exception est leur nouveau Graal, qu’ils traquent aux quatre coins du globe. Décryptage.

« L’exceptionnel ne se décrète pas, il s’imagine! » Depuis 2009, Philippe Brown, cofondateur de l’agence londonienne Brown & Hudson, crée des voyages pour gens fortunés. Avec une obsession: « Concevoir des expériences qui ne viendraient même pas à l’esprit de nos clients. » Et, accessoirement, une hantise : « Bâtir le même scénario que l’agence voisine! »

En préparant le voyage de noces d’un jeune couple – elle, mannequin russe, lui, star de la finance à la City -, Brown & Hudson découvre que le marié s’entraîne pour le marathon. L’agence a alors une idée : lui confectionner un circuit de 18 kilomètres, entièrement sécurisé, en plein coeur de la réserve de Tswalu Kalahari, en Afrique du Sud. Un parcours magnifique, de terre rouge et d’herbe mordorée, élaboré sur les conseils du célèbre physiologiste et marathonien sud-africain Tim Noakes.

Pour ces vacances de rêve, le voyagiste haut de gamme n’a pas seulement puisé dans les hobbies sportifs de l’heureux élu. Il s’est inspiré du concert privé d’Elton John donné le jour de la noce pour réserver une nuit dans l’un des hôtels préférés de la rock star, à quelques kilomètres du Cap. Le lendemain, les tourtereaux se sont envolés pour une rencontre informelle avec l’archevêque anglican et prix Nobel de la paix, Desmond Tutu, qui en a profité pour bénir leur union… Une lune de miel sur mesure, dans toute sa démesure. Bienvenue dans l’univers de l’ultraluxe !

De l’unique, du cousu main!

« C’est un mythe très répandu dans l’industrie du voyage de croire que les riches veulent seulement jouer au golf et aller au spa », écrivait récemment Douglas Gollan, rédacteur en chef d’Elite Traveler, magazine consacré au style de vie des supernantis. Aujourd’hui, le voyage de luxe se veut toujours plus unique, cousu main pourrait-on dire.

Les hôtels 5 étoiles sur la Côte d’Azur? Tellement surfait ! Place à l’émotion, à la fantaisie, aux sensations fortes. Plonger au-dessus de l’épave du Titanic ou dans une cage, pour taquiner du grand requin blanc, faire la course en ballon au-dessus du pôle Nord ou encore s’envoyer dans l’espace pour 20 millions de dollars avec Virgin Galactic… les frontières sont sans cesse repoussées.

Selon les estimations, les Ultra-High Net Worth Individuals (UHNWI) – ceux qui  » pèsent  » plus de 30 millions de dollars de patrimoine – dépenseraient chaque année 4 milliards de dollars dans des expériences de voyages. Ainsi, 0,25% des voyageurs assureraient à eux seuls 5% des revenus de cette industrie. De quoi ouvrir de nouveaux horizons à ce secteur fortement chahuté par le boom des réservations en ligne.

L’an dernier, une soixantaine d’agences de luxe européennes, en partenariat avec les plus prestigieux hôtels du continent, ont d’ailleurs décidé de s’organiser pour faire face à cette nouvelle donne. Sur le modèle du réseau américain Virtuoso, elles ont créé Traveller Made, leur propre consortium de professionnels.

Le 1er décembre, ces acteurs discrets – inutile de chercher une brochure ou une devanture, tout se fait sur rendez-vous privé – se sont retrouvés pour la première fois vingt-quatre heures durant à Monaco. Au programme: conférences sur les nouvelles tendances, désirs et aspirations des hyperriches, échanges de cartes de visites, et dîner huppé au grand hôtel Métropole.

Ce jour-là, Somewhere Club, petit nouveau du secteur, crée l’événement. L’entreprise, fondée par deux mordus de sensations fortes, a eu l’idée de réunir toute l’équipe de réalisation d’Ushuaia Nature, ex-émission phare de Nicolas Hulot sur TF1, pour produire des documentaires dignes d’une expédition du commandant Cousteau.

Pour 98.0000 euros, l’agence propose à ses clients de partir à la découverte des fonds marins indonésiens avec trois scientifiques explorateurs et une équipe de télévision. Ils deviennent ainsi les héros de leur propre film… Le concept est séduisant. Mais ce qui amuse vraiment l’auditoire en ce dimanche ensoleillé à Monte-Carlo, c’est le gadget qui l’accompagne : un drone ultrasophistiqué, capable de filmer à plusieurs mètres de distance, pour moins de désagrément!

Plonger dans l’océan Antarctique avec une équipe de télé, ou comment être le héros de son propre film.

Fin de la conférence, la responsable d’une agence suisse pose aussitôt une option sur l’engin : elle est en train d’organiser les 40 ans d’un client au Népal, prêt à débourser beaucoup d’argent pour « mettre en boîte » l’événement.

Aller là où personne n’est jamais allé

« D’une certaine manière, nous sommes devenus des professionnels de l’événementiel familial », estime Quentin Desurmont, à l’origine de Traveller Made et fondateur de l’agence Peplum. A son côté : Gloria Lanéry, trente ans de métier, a vu cette nouvelle clientèle émerger, plus abondante, plus riche et toujours plus exigeante, à mesure que le tourisme mondial se démocratisait.

Cette polyglotte à l’imposante crinière noire, plus rangers que talons hauts, fut parmi les premières à prospecter l’Asie centrale et la Sibérie pour y réaliser des expéditions hors normes. Dès le début des années 1990, elle propose des circuits à dos de cheval en Mongolie. « A l’époque, je recherchais des cobayes : des gens avec des moyens, mais qui ne craignaient pas de se rendre dans des contrées inexplorées », raconte la bourlingueuse.

Aujourd’hui, c’est elle que les clients traquent pour ses excursions haut de gamme. A l’été 2012, elle a imaginé pour un important industriel français une virée au Kazakhstan. « Cette famille, propriétaire notamment de deux châteaux en France, avait tout vu, tout fait. Il fallait concevoir l’inoubliable », explique-t-elle. Pendant deux semaines, l’équipée traverse la steppe kazakhe, l’une des plus arides au monde, en 4×4, à cheval et en hélico.

Sur les traces du Père Noël

Trois couples et leurs six enfants en bas âge, pas franchement familiers des conditions extrêmes. Nuits à la belle étoile ou dans des yourtes, le périple s’achève sur un panorama d’exception à 4000 mètres d’altitude. Au sommet, pour l’occasion, un véritable sauna a été érigé dans l’immensité du ciel étoilé. Féerique.

Aller là où personne n’est jamais allé, trouver le mètre carré qu’aucun pas humain n’a jamais foulé… voilà désormais le luxe ultime. L’agence belgo-suisse Horizons nouveaux a réaliséson plus coûteuxvoyage, environ 1,2 million d’euros, dans l’Empty Quarter (le quart vide), le désert le plus hostile au monde, dans le sud de la péninsule Arabique. Quelque 650000 kilomètres carrés de sable entre la mer Rouge et le golfe d’Oman, où les températures oscillent entre -10 et 60°C. Pendant une semaine, les 10 convives évoluent de campement en campement, découvrant chaque jour une installation originale différente. Rien n’étant jamais trop beau pour ces happy few d’un autre monde, tous les soirs, un chef étoilé est héliporté sur le camp pour servir le dîner…

Pour une grande famille belge, la même agence a scénarisé un rallye en plein désert marocain. Une sorte de Paris-Dakar personnalisé, en forme d’anniversaire surprise, pour lequel un logo spécial, estampillant voitures, vêtements et accessoires, a même été créé.

Mais dans l’art du storytelling, la palme du meilleur scénario revient sans doute à ces deux couples du cinéma américain qui voulaient offrir un véritable conte de fées à leur progéniture. C’est ainsi qu’ils sont partis sur les traces du Père Noël, dans le nord de la Laponie finlandaise. Décors magiques, acteurs costumés, rennes et traîneaux, la mise en scène, paraît-il, était parfaite. Pour plus de 1 million d’euros, même les parents auraient fini par y croire!

Concevoir de tels événements nécessite en amont un travail de préparation aussi titanesque que minutieux. « On interroge nos clients bien sûr, mais aussi l’entourage, les assistants, les family officers, la nounou des enfants, explique Philippe Brown, car souvent les intéressés eux-mêmes ne savent pas ce qui peut encore les étonner. »

La quête du dépaysement absolu

Face à une clientèle pour qui la perfection relève du service minimum, mieux vaut éviter les erreurs de diagnostic. Entre une nuit sous la tente tout confort, ou dans un igloo à -30°C, ces ultrariches n’ont pas tous la même définition de l’authenticité, de l’exotisme ou de la prise de risque. « Aujourd’hui, j’ai parmi mes clients un homme en crise existentielle, qui veut escalader l’Everest et descendre en sous-marin à l’endroit le plus profond de l’océan, et un autre dont la seule obsession est de dîner tous les soirs à 18h30. Autant dire que, face à eux, j’adopte deux conceptions différentes du mot « dépaysement » », s’amuse Philippe Brown.

Pour être honnête, les cas de traders désireux de se faire parachuter en forêt amazonienne, façon « Man versus Wild » avec un simple couteau de survie, sont assez rares. Moins inhabituelle en revanche, l’histoire de cet Américain passionné de golf qui voulait transformer chacune de ses excursions en green géant. Son objectif : s’assurer que personne à Hollywood ne pourrait se vanter d’avoir fait les mêmes trous! « La plupart du temps, nos clients ont des responsabilités, ils peuvent vouloir un peu d’adrénaline, éventuellement chercher à épater leurs amis, mais sans mettre leur vie en péril « , précise Quentin Desurmont.

La tendance du moment ? La privatisation d’à peu près tout – la tour Eiffel, le Taj Mahal, la grande muraille de Chine, et pourquoi pas, un zoo sauvage au Canada. Mais aussi partager quelques heures avec un expert ou un professionnel de renom – un sommelier, un journaliste, un chercheur, un écrivain, ou un moine tibétain ! La quête de l’authenticité passe par l’échange mutuel avec ces « personnalités influentes ». Et si l’on peut dormir dans le palais du maharaja… alors, c’est encore mieux !  » Le mot « impossible » ne fait pas partie de notre vocabulaire. Nous accédons à toutes les demandes de nos clients, dans la limite de ce qui est légal bien entendu « , assure Anna Isaeva, de l’agence russe Prime Traveller.

Guides, fixeurs et interprètes, artisans de la perfection

A 70 et 74 ans, ce couple d’anciens expatriés à la retraite s’offre un voyage d’exception tous les deux ans. Au téléphone, madame, petite voix aimable et chevrotante, s’enthousiasme en évoquant ces gros plus qui font la différence : un concert d’opéra privé en Nouvelle-Zélande, une rencontre de geishas au Japon, une danse avec les Zoulous en Afrique du Sud… « Ils [NDLR : Safrans du monde, leur agence de voyage] nous connaissent tellement bien qu’ils savent exactement comment nous surprendre », raconte-t-elle.

Ainsi, sans prévenir, ces pros leur ont concocté une nuit spéciale pour leur anniversaire de mariage : parterre de roses, champagne et baignoire monumentale posée au milieu de la chambre. Une autre fois, ils ont organisé au pied levé la visite surprise de leur fille, pour une embrassade éclair à mi-séjour.

Artisans de cette perfection, les guides, fixeurs, interprètes… se révèlent souvent la clef de la réussite de ces incroyables odyssées. Ceux-là même qui sauront transformer un moment agréable en un souvenir inoubliable et habiller l’instant magique d’une patine d’authenticité. « Un guide va vous faire croire que vous êtes perdu, alors qu’une table digne d’un grand restaurant vous attend derrière un buisson. Et que des paparazzis sont en train de vous shooter pour un album secret », illustre Guy Bigiaoui, directeur de Safrans du monde. « C’est parce qu’ils auront une très bonne connaissance du terrain qu’ils sauront être toujours plus originaux et percutants », ajoute Philippe Richard, de l’agence Easia Travel.

Et nos producteurs de rêves en série de poursuivre leur incroyable litanie. « Pour un passionné de cyclisme en Colombie, nous avons fait restaurer 6 kilomètres de route trouée de nids-de-poule », rapporte, tout sourire, Philippe Brown. « Pour la famille d’un grand patron français, en voyage initiatique au Vietnam, nous avons retrouvé des soldats qui avaient combattu avec leur aïeul à Dien Bien Phu », s’enorgueillit Philippe Richard. « En avril prochain, nous prévoyons de proposer une virée stratosphérique, à bord d’une suite en montgolfière », glisse encore Guy Bigiaoui… Au pays du luxe, la surenchère n’a pas fini de se payer très cher.

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