En terre inconnue, exploration de lieux abandonnés

L'exploration urbaine © THIBAULT FLAMENT

L’urbex, comme l’appellent les initiés, attire de plus en plus d’adeptes avides de découvrir de nouveaux lieux abandonnés. Une activité cumulant quête d’aventure et amour du patrimoine. Immersion.

Réveil à 7 heures en un dimanche ensoleillé mais frais ; l’urbex n’est clairement pas destiné aux paresseux. Au programme du jour : la visite d’un sanatorium, à 120 km de Bruxelles, direction Luxembourg-Bastogne.

Une fois quittée l’autoroute, on s’engage sur une petite route de campagne, barrée d’une pancarte en carton griffonnée au stylo. Quelques détours plus tard, le bâtiment convoité apparaît.

Cela fait maintenant plusieurs années que notre guide, Romain, explore des sites désaffectés.

Depuis le jour où il a poussé la porte d’un hôtel laissé à l’abandon dans une forêt près de Wavre, en réalité. Ses spots, il les trouve assez facilement, souvent sur le Web. Le jeune homme fait partie d’un petit réseau constitué d’une quinzaine  » d’urbexeurs « .

La plupart sont photographes ou vidéastes et leur motivation première est de rapporter des images inédites. Mais certains sont juste curieux, comme Aliénor, qui n’hésite pas à accompagner la troupe quand l’occasion se produit… Les présentations faites, la balade peut commencer.

Pour entrer dans  » notre bâtiment « , un ancien centre pour tuberculeux, aucun problème. Pas besoin de feindre la cueillette de champignons auprès d’un vigile, l’accès n’est pas surveillé. Une voiture est d’ailleurs déjà garée devant l’édifice ; il y a d’autres mordus de vieilles pierres dans la place…

Très vite, on constate que beaucoup de gens sont déjà passés par l’imposante bâtisse dont il ne reste plus rien, à part des couloirs, des pièces vides et des murs couverts de graffitis. Le sanatorium a accueilli ses premiers patients en 1903 et a été reconverti en centre pour demandeurs d’asile de 2010 à 2013.

Géré par Fedasil, il est aujourd’hui laissé à l’abandon et ne trouve pas d’acquéreur. Progressivement, chacun part de son côté, à la recherche d’images à capturer, on se recroisera plus tard.

On ouvre des portes, pénètre dans de nouveaux blocs en espérant tomber sur quelque chose d’un peu inédit. Mais rien d’extraordinaire ici. La plupart des vitres ont été brisées, les cloisons s’effritent, certains sanitaires ont été explosés. Au rez-de-chaussée, une grande cuisine, trop lourde à transporter, est encore là. Aux étages, on reconnaît les chambres et les salles de bains.

Et au deuxième, un escalier escamotable en métal donne accès au toit, puis, via des échelles, à la tour du sanatorium. La vue y est impressionnante, même si les tags sur les vitres gâchent un peu le paysage. On redescend, tout se ressemble et on finit par se perdre… Quelques photos plus tard, la visite se termine.

Dans ce sanatorium, malgré le vandalisme, des traces du passé subsistent, à l'instar de cette cuisine industrielle ou de cette cuve de piscine.
Dans ce sanatorium, malgré le vandalisme, des traces du passé subsistent, à l’instar de cette cuisine industrielle ou de cette cuve de piscine.© THIBAULT FLAMENT

Les règles de l’art

L’attrait de l’Homme pour les endroits abandonnés n’est pas neuf. De tous temps, les constructions délaissées ou en ruine furent squattées, abîmées, sublimées, réinvesties…

Cependant, le terme  » urbex  » – de l’anglais urban exploration – et l’intérêt croissant pour sa pratique sont nés avec le boom des réseaux sociaux dans les années 2000. Par ailleurs, ces explorateurs urbains 2.0 envisagent de s’infiltrer clandestinement dans leurs trouvailles pour rapporter ce qui n’a pas encore été vu.

Et pour en être, il y a plusieurs règles à respecter. Voler, dégrader ou laisser des traces de son passage sont des atteintes à la charte éthique des urbexeurs. Ils ne communiquent pas non plus les adresses. Rien ne sert de les harceler, ça fait partie du jeu.

Il est devenu très rare de tomber sur des bâtisses intactes par hasard, ce qui explique leur réticence à partager. La plupart des animateurs de sites Web dédiés au sujet inventent même un passé aux maisons, hôpitaux et manoirs qu’ils visitent, afin de ne laisser poindre aucun indice.

Enfin, il n’est pas non plus conseillé de découvrir seul un immeuble inconnu, la prudence étant toujours de mise. Car, hélas, pour certains, l’urbex est un véritable moyen de buzzer sur Internet, quitte à s’aventurer dans des buildings dangereux ou de proposer des angles de vue complètement fous, du haut d’un pont ou d’une grue.

Au-delà de ces  » cascadeurs  » de l’extrême, il est également possible de tomber sur un sol pourri ou sur un pilleur un peu agressif.  » Il ne faut pas tenter le diable, insiste Sylvain Margaine, un pionnier (lire par ailleurs). Si je suis dans une vieille maison, je regarde toujours l’état du plafond au-dessus de moi. L’observation, l’expérience et le bon matériel, c’est le B.A.-ba d’une visite.  » Nous voilà prévenus.

3 questions à Sylvain Margaine

L’auteur du site Forbidden Places a exploré de nombreux lieux abandonnés. Le Bruxellois d’adoption prépare un cinquième recueil.

Comment est née votre passion ?

Enfant, j’étais curieux et, d’une certaine manière, je pratiquais déjà l’urbex ! Puis, quand j’ai fait mes études à Paris, je suis tombé sur les catacombes. Je n’y allais pas pour immortaliser les lieux, mais surtout pour les découvrir. Fin des années 90, j’ai lancé mon site et je me suis mis à la photo.

Pourquoi avoir décidé de partager cela avec le public ?

Certains bâtiments sont intéressants au niveau architectural. J’appelle ça de petits patrimoines, donc des buildings qui ne seront pas classés et sont souvent voués à disparaître, malheureusement. Le fait de les montrer et de raconter leur histoire, c’est un moyen de déclencher une prise de conscience. Ma démarche a d’abord été documentaire et historique. Mais je pense que la plupart des gens le font pour les sensations, se faire peur et le partager sur la Toile. Je me suis un peu désolidarisé de tout ça.

Avez-vous un sujet de prédilection ?

J’aime les asiles psychiatriques. C’est méconnu et, en général, ils présentent une très belle architecture, du fait de leur vocation thérapeutique. C’est un peu tabou et c’est aussi révélateur de la médecine d’il y a trente ou quarante ans. Sinon, les meilleurs souvenirs sont les trouvailles qu’on fait par soi-même, comme l’école vétérinaire d’Anderlecht. C’était une forteresse, il n’y avait pas moyen d’y pénétrer. Je passais devant en allant au boulot et, un jour, j’ai eu de la chance. J’ai réussi à garder cette découverte secrète quelques années. Puis, l’info s’est répandue comme une tache d’huile.

PAR ELODIE SIMONS

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