Hierro, le dernier secret des Canaries

Non, cet archipel n’est pas l’enfer touristique que vous imaginez. Une de ses îles, la plus lointaine, est même très proche du paradis.

Non, cet archipel n’est pas l’enfer touristique que vous imaginez. Une de ses îles, la plus lointaine, est même très proche du paradis.

Jusqu’à la découverte de l’Amérique, Hierro était la fin du monde. Il n’en faut pas davantage pour susciter une furieuse envie de prendre le large. Sur la carte, la « fin du monde » est une île échouée à l’extrême ouest des Canaries. Avec ses 268 kilomètres carrés (deux fois l’île de Ré), c’est la plus petite de l’archipel. Mieux encore, son nom signifierait « méridien zéro », fixé ici dans l’Antiquité par Ptolémée!

Tout incite à l’exploration d’une terre si chargée de symboles, paradis nature classé depuis 2000 réserve de biosphère, d’autant qu’elle paraît miraculeusement proche: 3 000 kilomètres de Paris, quelques centaines des côtes du Maroc. Mais on n’arrive pas si facilement au bout du monde: compter une escale matinale à Madrid, une autre à Tenerife en milieu de journée, avant d’attraper l’avion ou le bateau qui font le reste de la course, et seulement trois fois par semaine.

Enfin, la voici. Une couronne de brume fantomatique masque le sommet de ses falaises si hautes qu’elles semblent prêtes à basculer dans la mer. Une crainte pas si absurde que cela: il y a cinquante mille ans, tout le pan ouest de l’île ne s’est-il pas effondré d’un coup, provoquant sans doute le plus grand tsunami de tous les temps? 10 000 audacieux vivent pourtant sur ce caillou volcanique. Les deux tiers à Valverde, la capitale au minimalisme de village.

Les petites maisons et leurs citronniers paressent autour d’une église majestueuse, que les conquérants espagnols commencèrent à construire au xvie siècle, peu après avoir mis la main sur le territoire et réduit en esclavage les insulaires pacifiques, les Bimbaches. Ils y plantèrent des vignes, qui font toujours la fierté des îliens, avant que la misère ne les chasse au début du xxe siècle vers le Venezuela. Pour les mêmes raisons, leurs descendants en reviennent aujourd’hui, se mêlant à ceux d’opposants politiques assignés à résidence sous Franco. Ancienne terre d’exil, Hierro reste campée sur sa solitude, pour le plus grand bonheur des visiteurs fuyant les foules.

On grimpe vers les hauteurs, en direction de San Andres, où l’altitude, avoisinant les 1 500 mètres, fait chuter la température d’une bonne dizaine de degrés. Dans la brume qui s’effiloche surgit un paysage de prairies verdoyantes, de moutons et de petits murets qui ne dépayserait pas le voyageur irlandais. « Le nord de l’île est tout le temps dans les nuages, à cause des alizés que ramène la mer. Ils se condensent ensuite en humidité, qui compense le peu de pluie et l’absence de rivières », explique Paolo, notre guide.

Quelques virages après la grisaille automnale, voici soudain l’éternel printemps qui a fait la réputation de ces îles Fortunées. Un ciel d’un bleu pur découpe les grands pins canariens d’El Pinar, cuirassés dans leur écorce noire. La terre de feu et ses mille cônes volcaniques commencent à la lisière de la pinède, sur la route qui descend vers la côte sud. Paolo s’arrête et coupe le moteur. « Ecoutez. Le silence. On n’entend absolument rien. »

Le paysage est lui aussi stupéfiant d’immobilité, tout de lave charriée, comme humide, révélant l’intimité de la terre. Plus loin, le magma s’est figé en de larges flaques qui ruissellent jusqu’à la mer. Sur la pointe de Tacoron, cet immense champ de lave (le plus grand après celui de Hawaii) s’arrondit en une grande piscine naturelle, où ricochent des échos de vie: une guitare qu’accompagne une mélopée d’amour, des rires alanguis, des plongeons. Une bande de copains se pousse à l’eau, une autre énumère les merveilles de poissons que piègent leurs masques de plongée. « Ils sont tous vénézuéliens, chuchote Paolo. C’est signe que l’eau est bonne. » Et toujours pas un touriste en vue. Après les derniers rayons du soleil, ce dimanche finira en douceur sous les paillotes, où Andrea enfourne ses pizzas, réputées les meilleures de l’île.

Le but du voyage n’est plus très loin. C’est le coeur battant qu’on se rapproche de l’ouest de l’île, à la recherche du point précis où le monde a si longtemps basculé dans le néant. Du haut de la crête d’El Julan, la silhouette blanche du phare d’Orchilla aimante le regard. Rien d’autre à l’horizon qu’un désert de roche piqueté d’euphorbes où serpente un sentier. Tout se joue sur les derniers mètres, qu’on parcourt en se tordant les chevilles sur les cailloux, avant de s’arrêter net. La mer qui paraissait proche plonge à 1 000 mètres en contrebas, si lointaine qu’elle semble vue du ciel. Droit devant, la route de Christophe Colomb scintille dans le couchant.

Pour commémorer cet instant magique, il ne reste plus qu’à rejoindre Las Puntas et son adresse mythique, « le plus petit hôtel du monde », selon le Guinness Book. Quatre chambres seulement, un bar de poche avec vue sur l’infini. Les verres de frontera tintent, les regards aussi, et l’on trinque entre initiés, émus d’être arrivés si loin.

Le paysage est lui aussi stupéfiant d’immobilité, tout de lave charriée, comme humide, révélant l’intimité de la terre. Plus loin, le magma s’est figé en de larges flaques qui ruissellent jusqu’à la mer. Sur la pointe de Tacoron, cet immense champ de lave (le plus grand après celui de Hawaii) s’arrondit en une grande piscine naturelle, où ricochent des échos de vie: une guitare qu’accompagne une mélopée d’amour, des rires alanguis, des plongeons. Une bande de copains se pousse à l’eau, une autre énumère les merveilles de poissons que piègent leurs masques de plongée. « Ils sont tous vénézuéliens, chuchote Paolo. C’est signe que l’eau est bonne. » Et toujours pas un touriste en vue. Après les derniers rayons du soleil, ce dimanche finira en douceur sous les paillotes, où Andrea enfourne ses pizzas, réputées les meilleures de l’île.


Nathalie Chahine, Lexpress.fr Styles

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content