L’art urbain redonne des couleurs à la banlieue morne de Beyrouth

Beyrouth © AFP

Vu de l’entrée de la capitale libanaise, le quartier d’Ouzaï ressemble à un ramassis de constructions désordonnées, mais en s’aventurant à l’intérieur, on découvre de petits immeubles servant désormais de canevas à l’art urbain.

Les artistes qui ont participé au projet « Ouzville » ont peint des bâtisses de bleu, rouge, jaune et vert éclatants, et en ont orné d’autres de peintures murales, de graffitis et de personnages de bandes dessinées.

Le projet est une bouffée d’air frais pour Ouzaï, un quartier informel sur la côte méditerranéenne au sud de Beyrouth.

Avant la guerre civile (1975-1990), ce secteur se vantait d’avoir les plus belles plages de sable, aux noms évocateurs comme Acapulco, mais à partir de l’invasion israélienne du Liban-sud en 1978, des déplacés ont commencé à s’y installer, construisant des habitations sans permis.

Durant des décennies, ces constructions sauvages d’où pendent des amas de câbles électriques ont été la première image du Liban aperçue par les voyageurs en atterrissant à l’aéroport adjacent. Le projet Ouzville modifie désormais quelque peu l’allure du quartier Ouzaï.

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‘Apporté de la joie’

Promoteur immobilier, Ayad Nasser est à l’origine de cette initiative qu’il a financée sur ses propres deniers à hauteur de 140.000 dollars.

Il est né à Ouzaï en 1970 mais a quitté le pays durant la guerre.

« Chaque fois que j’atterrissais, j’étais submergé de tristesse. Je me disais: ‘Je vais m’occuper d’Ouzaï' », a-t-il confié à l’AFP.

« J’avais le sentiment qu’Ouzaï était la partie la plus délaissée du Liban. Cela fait 40 ans que personne ne s’y intéresse, ni le gouvernement, ni les autorités locales, ni même les habitants », dit-il.

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Il y a 18 mois, le rêve d’Ayad devient réalité: il commence à inviter des artistes locaux et internationaux pour embellir des parties de Beyrouth, particulièrement Ouzaï, grâce à l’art urbain. Avec l’aide des habitants, il sélectionne des rues et des bâtiments, selon des critères esthétiques.

Environ 140 immeubles ont ainsi été peints de couleurs rutilantes, dont quelques-uns par des habitants eux-mêmes, mis à contribution pour peindre mais qui ne participent pas financièrement au projet.

Depuis la rue en bas de sa maison d’un étage, à travers une large fenêtre percée dans un mur jaune, on peut voir Joumana Younis préparer un plat de haricots verts et, sous l’embrasure, une fresque aux tons turquoise et bleu royal montrant le large visage d’une fille.

Joumana, mère de quatre enfants, a toujours vécu là et, selon elle, le projet Ouzville « a apporté de la joie » dans son quartier.

« Quand vous sortez et que vous voyez ces couleurs, vous vous sentez heureux (…) Vous avez le sentiment que c’est un nouveau quartier », explique à l’AFP cette femme de 38 ans.

« Beaucoup de gens viennent ici et nous rencontrons des étrangers. C’est vraiment adorable. Le quartier s’est paré de couleurs », confie-t-elle.

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Pour Ayad Nasser, un des objectifs de ce projet est de « briser le stéréotype » d’Ouzaï, considéré par beaucoup au Liban comme un bidonville à éviter.

Il a dépensé la plus grande partie des 140.000 dollars qu’il a mis dans Ouzville pour inviter à plusieurs reprises 2.000 personnes dans un restaurant de poissons du quartier afin qu’ils rencontrent les habitants d’Ouzaï.

‘Comme Disneyland’

Rania al-Halabi, une artiste qui participe au projet, admet qu’Ouzaï est un « endroit où on se rendait dans le meilleur des cas seulement en voiture ».

Mais « ce projet va certainement changer la vie de chacun », assure-t-elle alors qu’elle badigeonne de vert un mur autour d’un visage austère de plusieurs mètres. « Les couleurs embellissent tout ».

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Si les habitants ont bien accueilli l’initiative d’Ayad, ils soulignent l’absence relative des autorités locales – bien que des ouvriers municipaux étaient en train de creuser une rue lors de la visite des journalistes de l’AFP.

« C’est la municipalité qui devrait faire ce travail (d’embellissement), et pas seulement ici », peste Zakaria Kobrosly, un pêcheur de 57 ans qui habite près de la plage.

Ouzville a reçu un certain écho grâce aux réseaux sociaux et attiré des volontaires. Mais l’avenir du projet dépend désormais de la volonté de particuliers car Ayad Nasser a l’intention de s’en retirer juste après avoir lancé une campagne de financement participatif.

Leila Slim, 51 ans, montre un endroit où la couleur saumon de sa maison s’écaille déjà. « Le projet est très charmant mais l’humidité l’a déjà abîmé. J’espère qu’ils vont revenir », dit-elle.

Effet positif d’Ouzville: « Les gens avaient l’habitude de se recevoir chez eux mais maintenant ils se retrouvent dans la rue. Ils ont commencé à se connaître les uns les autres », explique Zakaria.

Pour lui, la plus belle vue d’Ouzville, c’est depuis son bateau de pêcheur. « Vous pouvez voir toutes les couleurs. C’est un peu comme Disneyland… », lâche-t-il.

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