La prostitution et l’art: des rapports ambigus exposés au Musée d’Orsay

Elles sont avachies devant un verre, relèvent leur jupon ou attendent le client. Les prostituées de la « Belle époque » ont fasciné les artistes de tous courants, comme en atteste une exposition exceptionnelle au musée d’Orsay, à Paris.

Pour la première fois dans le monde, les relations ambiguës entre le monde de l’art et de la prostitution sont explorées dans une exposition qui associe peinture, sculpture et documents d’époque, notamment photos et films.

Splendeurs et misères, Images de la prostitution 1850-1910 s’attache à montrer l’ampleur du phénomène et son importance dans l’évolution esthétique de grands artistes comme Degas, Manet, Van Gogh, plus tard Munch et Picasso.

Henri de Toulouse Lautrec (1864-1901), Femme tirant son bas, 1894, Huile sur toile, 58 x 46 cm, Paris, musée d'Orsay
Henri de Toulouse Lautrec (1864-1901), Femme tirant son bas, 1894, Huile sur toile, 58 x 46 cm, Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Le monde de la prostitution a généré un « grand nombre de représentations à travers des courants aussi variés que l’impressionnisme, le naturalisme, le fauvisme ou l’expressionnisme », souligne Guy Cogeval, président du musée d’Orsay, dans le catalogue de l’exposition.

Plus ou moins encadrée, la prostitution est alors très répandue. L’amour tarifé prend des formes diverses, des multiples maisons closes à la lingère se prostituant à l’occasion, en passant par les demi-mondaines richissimes et aussi suivies que certaines stars de la télé-réalité aujourd’hui.

Entre les multiples maisons de tolérance et les « boutiques à surprise », souvent de faux magasins de modistes, la prostitution est assimilée au divertissement et des guides sont édités pour les touristes.

Le minutieux Jean Béraud est le meilleur représentant de cette veine qui joue sur le pittoresque avec des compositions soignées telles La Proposition, Les Coulisses de l’Opéra de Paris ou le très cinématographique Le Boulevard Montmartre la nuit.

Même si le racolage est interdit dans la journée, « les filles » possèdent un répertoire de « signes qui, pour le visiteur d’aujourd’hui ne sont pas immédiatement perceptibles mais, qui à l’époque étaient très significatifs, comme le relevé de jupon », explique Isolde Pludermacher, une commissaire de l’exposition.

La Femme dans une calèche de Louis Anquetin a un grain de beauté avec trois poils sur la joue gauche, signe de sensualité comme l’était plus généralement la pilosité.

Les cafés et cabarets sont aussi des lieux de rencontre. Avachies devant un verre d’alcool, tenant une cigarette, les jeunes femmes de La Prune de Manet et de L’Absinthe de Degas pourraient être soeurs.

Début de la pornographie

Avec Au Moulin Rouge, Toulouse-Lautrec signe un chef-d’oeuvre de modernité : lumière verte, cadrage oblique, visages coupés par le bord du tableau.

Peut-être pour l’avoir beaucoup fréquenté, il sera aussi le meilleur chroniqueur du bordel, cet espace clos qui va inspirer les grands artistes de l’époque. Toulouse-Lautrec montre les pensionnaires telles qu’elles sont, attendant le client, le regard vide, sur les canapés de velours rouge, ou relevant leur jupe avant l’inspection médicale.

Félicien Rops les imagine en séductrices maléfiques et Degas explore avec elles toute l’expressivité du corps dans une série de gravures retrouvées après sa mort.

Au début du XXe siècle, l’imaginaire des maisons closes sera chez Frantisek Kupka, André Derain ou Picasso le support de recherches radicales sur la couleur ou les formes corporelles.

François-Rupert Carabin (1862-1932), Groupe de quatre femmes nues, entre 1895 et 1910, Épreuve sur papier albuminé, 17,3 x 12 cm, Paris, Musée d'Orsay
François-Rupert Carabin (1862-1932), Groupe de quatre femmes nues, entre 1895 et 1910, Épreuve sur papier albuminé, 17,3 x 12 cm, Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt

Le monde de la prostitution est aussi celui de la pornographie qui naît avec la photo « parce que les femmes qui posent sont en grande majorité des prostituées », explique Marie Robert, responsable de la section photo d’Orsay. La photo va séduire par sa précision, sur la pilosité ou la texture de la peau. Ces clichés sont présentées dans deux cabinets particuliers interdits aux mineurs. Ils étaient à l’époque vendus sous le manteau et ce commerce était frappé de peines de prison.

Anonyme, Etudes de nu, femme assise bras croisés, entre 1900 et 1910, Aristotype (épreuve au citrate), 17,4 x 12,4 cm, Paris, Musée d'Orsay
Anonyme, Etudes de nu, femme assise bras croisés, entre 1900 et 1910, Aristotype (épreuve au citrate), 17,4 x 12,4 cm, Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt

La photo est aussi utilisée par les demi-mondaines pour vanter leur charme, et à partir de 1885-1900, elle est pratiquée par des amateurs « pour qui la prise de vue participe au plaisir sexuel », souligne Marie Robert.

Au total, 400 pièces sont réunies: registres de police décrivant les prostituées, cartes de visite illustrées suggérant leur spécialité, cires anatomiques recréant les lésions de la syphilis…

Après Paris, cette exposition sera présentée au Van Gogh Museum d’Amsterdam, du 19 février au 19 juin 2016.

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Splendeurs et misères, du 22 septembre 2015 au 17 janvier 2016, au Musée d’Orsay, 62 rue de Lille, 75007 Paris

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