Le Sénégal, par-delà les baobabs géants

Au coeur de la Petite-Côte, Mbour est le deuxième port de pêche du pays. Ici, elle se pratique toujours en pirogue, à l'ancienne. © Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Le coeur du pays bat le long de la Petite-Côte, qui déroule ses plages et ses villages de pêcheurs au sud de Dakar. Une région certes touristique, mais dont l’authenticité reste intacte dès que l’on quitte les sentiers battus à la rencontre des populations locales. Et dont la biodiversité ravira les amoureux de la nature.

On dit au Sénégal que les esprits se nichent dans les baobabs, ces géants tourmentés devenus les symboles officiels du pays. Certains, multicentenaires voire millénaires, ont un tronc creux dans lequel les villageois enterraient leurs griots avant que Léopold Sédar Senghor, le poète devenu premier président de la République après son indépendance en 1960, n’interdise cette pratique animiste. Mais il règne toujours autour de cet arbre mythique une atmosphère un peu mystique. Elle atteint son paroxysme lorsque la brume matinale baigne la forêt de baobabs de la région de Mbour, à une centaine de kilomètres au sud de Dakar.

Nous sommes au milieu de la Petite-Côte, cette longue bande littorale bordée par l’Atlantique et reliant la capitale au delta du Saloum, l’un des grands fleuves qui irriguent ce petit pays souvent désigné comme  » la porte de l’Afrique noire « . Un haut lieu du tourisme, très fréquenté l’hiver par des Européens en quête de soleil et d’exotisme à quelques heures d’avion et à des prix défiant toute concurrence. Les plages de rêve, bordées d’impressionnantes falaises multicolores, alternent avec les villages de pêcheurs qui revendiquent une authenticité délabrée. Malgré la propension croissante des Occidentaux à y investir de belles villas protégées des regards… et des convoitises d’une population pauvre mais réputée pour son honnêteté. Et son hospitalité rieuse.

Heureusement, les stations balnéaires branchées comme la célèbre Saly ne sont que l’arbre arrogant qui cache une forêt de merveilles, dans un rayon d’à peine quelques centaines de kilomètres carrés. Où les villages de brousse ponctuent le charme d’une nature (relativement) préservée. Où la vie coule au rythme des cultures, des pâtures, de la pêche et des appels du muezzin, 90 % de la population pratiquant un islam modéré. Ici bat le coeur du Sénégal, au rythme des djembés qui s’animent la nuit.

à Mbour, le retour de la pêche

Posé sur une plage envahie de pêcheurs qui déploient leurs filets et d’ados qui se disputent un ballon face à d’autres filets, l’un de ces villages s’appelle Guéréo. Un gros bourg de 10 000 âmes, selon son chef Mamadou Ndione, qui nous fait fièrement visiter le lycée bâti grâce à de généreux donateurs belges. A l’initiative d’une fondation initiée par Philippe Taminiaux, à la fois créateur de la chaîne de magasins Euro Center, des cuisines èggo, du festival Nature Namur… Et grand amoureux du Sénégal, où il vient de racheter un hôtel failli pour le transformer en lodge nature d’un charme inouï (lire par ailleurs).

A leurs pieds – ceux du lodge et du village – s’étend l’écrin d’une faune et d’une flore exceptionnelles, la réserve naturelle de la lagune de la Somone. Une petite mer intérieure bordée de mangrove, dont les palétuviers ont été patiemment repiqués par les femmes des environs dans un souci de préservation, où l’on défie les marées en barque, en paddle ou même à pied, quitte à s’immerger parfois jusqu’à la taille. Pour observer au plus près le ballet des oiseaux pêcheurs – pélicans, balbuzards, hérons, cormorans… -, des crabes violonistes, des souimangas (cousins du colibri) multicolores, mais aussi des varans, des singes, chacals et autres caméléons, sans parler des pythons malheureusement plus difficiles à apercevoir. Voilà pour les environs immédiats. Ils débouchent, dix minutes de piste cabossée plus loin, sur l’imposante forêt des baobabs.

Le coeur du pays, c’est la base idéale pour rayonner dans toutes les directions, à travers un entrelacs de pistes organisé comme un réseau d’artères pour irriguer la région. Nombre de villages méritent le détour pour leur marché bigarré, l’accueil des familles, des enfants et des artisans, où les amateurs de masques africains, instruments de musique et autres objets décoratifs ne savent plus où donner du franc CFA.

Arrêt à Mbour, le deuxième port de pêche du Sénégal. Chaque soir au coucher du soleil, des centaines de pirogues franchissent le dernier rideau de vagues pour venir déverser, littéralement, leur cargaison sur les étals improvisés d’un immense marché au poisson. Ambiance magique et trépidante, colorée comme les barques qui rivalisent de couleurs vives, joyeuse comme un festival du rire, rude aussi comme une vie de pêcheur sur des flots déchaînés.

à Joal, les tombes en coquillages

En poussant plus au sud et après un crochet par le plus vieux, vénérable et colossal baobab du pays, dont le tronc abriterait facilement une maison, cap sur l’étonnante Joal-Fadiouth, connue par son surnom d’île aux coquillages… et pour avoir vu naître Senghor. Ce bourg bâti sur un monceau de coquilles évidées dans l’estuaire du fleuve Sine abrite l’une des plus importantes communautés chrétiennes du Sénégal. Un pont de bois relie le village à la côte, un autre au cimetière dont les tombes sont creusées dans les coquillages à l’ombre des baobabs. Encore un lieu surnaturel que l’on rallie volontiers en pirogue. Guidé par un marin arc-bouté sur une perche, le frêle esquif joue les gondoles sur les eaux calmes du crépuscule. Mieux vaut quand même ne pas se gondoler trop brusquement si l’on veut éviter la baille !

Avec son grand frère le Saloum, le Sine forme un gigantesque delta de plus de 100 000 hectares qui constitue aussi le deuxième Parc national du Sénégal, le bien nommé Sine Saloum. Son débit est si lent qu’il laisse pénétrer l’eau de mer loin à l’intérieur des terres, privant en partie les villageois d’eau potable mais leur offrant en échange du poisson en abondance. La pêche est d’ailleurs un sport que pratiquent volontiers les visiteurs, au détour d’une balade en bateau dans les bolongs. C’est le paradis des oiseaux endémiques et migrateurs, la Mecque des ornithologues amateurs. C’est aussi l’une des plus belles régions du pays, avec son alternance de lagunes, de mangroves et de bancs de sables mouvants qui déclinent un infini dégradé d’ocres, de jaunes et d’or. C’est enfin, par endroits, une terre constellée de puits dont on extrait le sel d’une eau saumâtre aux teintes multicolores. Les salines du Sine Saloum sont célèbres dans le monde entier. Il faut prendre un peu de hauteur pour en apprécier l’étendue colorée (lire par ailleurs).

Au retour, les amateurs de safaris n’hésiteront pas à explorer la réserve de Bandia, premier parc animalier privé créé au Sénégal en milieu naturel. La plupart des mammifères herbivores disparus de la région y ont été réintroduits, de la girafe au zèbre en passant par le rhinocéros, le buffle et toutes sortes de gazelles. Mais pas d’éléphants ni, surtout, de carnivores dans ces 3500 hectares de brousse. Hormis des crocodiles qui bronzent au bord d’un étang, où ils disputent aux singes les reliefs du restaurant voisin.

à Gorée, c’est toujours blanc de monde

Le nord de la Petite-Côte réserve aussi quelques pépites. Ne parlons pas de Dakar, dont on a vite fait le tour des sites intéressants, mais rejoignons son port pour embarquer sur le ferry qui conduit à Gorée.  » La petite île à la grande histoire « , résume notre guide aussi érudit qu’édenté qui se fait appeler le Colonel. L’île aux esclaves, en vérité. Ils seraient entre 15 et 20 millions à avoir transité ici – l’immonde centre de tri où hommes, femmes et enfants étaient provisoirement parqués dans des conditions atroces est devenu un musée – entre la découverte des Amériques et l’abolition de l’esclavage par la France, puissance coloniale historique de la région.

Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, Gorée est un lieu de mémoire aux ruelles colorées qui serpentent jusqu’à son sommet, où subsistent les vestiges et canons d’un fort censé protéger Dakar des invasions. Un incontournable souvent  » blanc de monde « , ironise le Colonel en invitant ses ouailles à inverser le sens logique de la visite pour éviter la foule. De nombreux artistes du cru proposent des oeuvres souvent originales à même la rue. Nombreux sont aussi les expatriés à avoir succombé au charme de l’île et de sa  » Plage des Amoureux « … jusqu’à s’y être offert une maison coloniale. Ils ne craignent manifestement pas les fantômes du passé.

Au Sénégal, les esclaves des temps modernes sont peut-être les récolteur/ses de sel du Lac Rose, sur la route de Saint-Louis. Entouré de dunes qui accueillaient jadis l’arrivée du Paris-Dakar – et où les 4×4 s’en donnent toujours à coeur joie -, il doit sa teinte caractéristique à une bactérie qui fabrique un pigment rouge pour résister au sel, dont la concentration est plus forte que celle de la mer Morte. Immergés jusqu’à la poitrine et armés d’un piquet, les hommes cassent la croûte de sel formée au fond puis en récoltent les plaques à la pelle pour les déposer dans des barques. Celles-ci sont ensuite vidées par des femmes, certaines portant un bébé en bandoulière, qui déversent le butin sur la berge pour le laisser sécher. Chaque famille a son tas, la concession est libre.

A l’autre bout du lac, une plage invite les touristes à se laisser flotter dans cette eau d’une densité extrême, où il est quasi impossible de s’enfoncer – fou rire garanti. On conseille juste de ne pas y rester plus d’un quart d’heure pour ne pas laisser le sel entamer sur la peau son oeuvre corrosive. Les récolteurs, eux, s’enduisent simplement de graisse. Une bien maigre protection.

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