Lille: Tout d’une grande

Art, mode, food, elle bout de créativité à tous les étages. Six ans après « Lille 2004 – Capitale européenne de la Culture », la cité du Nord n’en finit plus d’étonner par son dynamisme culturel et son sens aigu de la fête. Toutes nos raisons d’y retourner.

Art, mode, food, elle bout de créativité à tous les étages. Six ans après « Lille 2004 – Capitale européenne de la Culture », la cité du Nord n’en finit plus d’étonner par son dynamisme culturel et son sens aigu de la fête. Toutes nos raisons d’y retourner.

Par Baudouin Galler / Photos : Julien Pohl

Hormis quelques rares esprits chagrins, tous les Lillois vous le diront : il y a un avant et un après 2004, année charnière qui vit la capitale des Flandres assumer avec panache son rôle de capitale européenne de la culture. En premier lieu Chantal Boyeldieu-Duyck, total look noir souligné d’un trait de rouge à lèvres vermillon : « J’éprouve un sentiment inédit. Il y a un tel dynamisme à Lille, on se sent porté », exulte cette architecte d’intérieur qui assassine à elle seule les vieux clichés sur ces sauvages du Nord au teint grisâtre et à l’allure discount pointés par Dany Boon dans son film à succès. « La ville monte tellement en gamme et le tourisme se porte très bien, constate-t-elle. Ça m’a décidé d’enfin réaliser un vieux rêve : ouvrir une chambre d’hôtes ». Fraîchement inaugurée, La Maison Théodore se love dans un bel immeuble du XIXe siècle de style éclectique, où se mélangent délicatement stucs d’époque et chaises Kartell. Surtout, elle est idéalement située. Dans le quartier de la gare Saint-Sauveur, emblématique du renouveau urbain de la capitale des Flandres.

3000 à l’heure

En bordure du parc Jean-Baptiste Lebas qui était encore un parking sauvage il y a trois ans, cette ancienne gare de marchandise, promise un temps à la démolition, abrite aujourd’hui un des centres nerveux de la vie culturelle locale. On s’y presse aux expos d’art contemporain, aux concerts, aux films, on y mange (bien) – en été, sur la terrasse, c’est un point de contact à la mode. Pour asseoir le côté ludique et anti-jus-de-crâne du lieu, on peut même y organiser l’anniversaire des marmots sous chapiteau et offrir un pot à ses potes dans une des chambres à louer de l’Hôtel Europa, pastiche d’auberge 2.0. aux espaces délirants décorés par des artistes.

Derrière la métamorphose de ces halles post-industrielles en carrefour populaire, il y a le label Lille 3000, héritier direct de Lille 2004. « Après le succès de Lille capitale européenne de la culture, on trouvait dommage que le soufflé retombe, la fête continue », éclaire Olivier Célarié, porte-parole de cette association, sorte d’agence événementielle publique pilotée par l’infatigable Didier Fusillier et présidée par le maire Martine Aubry. Du coup, depuis six ans, on vit ici dans une ambiance de festival permanent. Les manifestations pleuvent. De Bombaysers de Lille, dédié aux arts du sous-continent indien en 2006 à Europe XXL, qui célébrait l’année dernière la créativité en vogue à l’Est du Vieux Continent, la cité des Chtis reste en ébullition. Chaque jour qui passe corrige radicalement son image de désert culturel ravagé par les affres de la désindustrialisation. Jusqu’à convaincre les plus grands amateurs d’art contemporain à venir y montrer leurs trésors personnels.

Tel François Pinault, patron du groupe PPR, qui en 2007 prêta, le temps d’une expo-événement au Tri Postal, une sélection de ses oeuvres conservées au Palazzo Grassi à Venise. Aujourd’hui c’est au tour du rare et intriguant Charles Saatchi, ancien ponte de la pub reconverti en gourou de la scène artistique mondiale, d’investir le « Tripo », comme on dit ici. Jusqu’au 16 janvier prochain, le vieux bâtiment des Postes reconverti à la manière de la gare Saint-Sauveur en espace urbain d’art, accueille en effet La Route de la soie , méga-expo sur le boom créatif asiatique. Une avant-garde venue d’Iran, de Chine ou d’Inde dont le collectionneur anglo-irakien fut un des premiers à prédire (ou à provoquer) la cote stratosphérique qu’elle atteint de nos jours sur les marchés.

En métropole aussi
Par contagion, toute la métropole lilloise semble être prise par cette fièvre culturelle. À Villeneuve d’Ascq, le LaM, musée d’art contemporain et d’art brut, vient tout juste de subir une cure de jouvence administrée par Manuelle Gautrand. Au bâti originel datant des années 80, l’architecte a ajouté une extension « à cinq doigts » ; greffe en béton parcourue d’ouvertures aux formes organiques lui donnant des airs de moucharabieh. Un écrin idéal pour la fragile collection d’art brut – la plus vaste de France – que le musée conserve à cet endroit, alors que l’ancienne partie – rénovée elle aussi – accueille l’exceptionnelle donation d’art moderne des Masurel, un couple de collectionneurs du cru (Braque, Modigliani, Léger…) ainsi qu’une sélection à la fois qualitative et grand public d’art contemporain (Buren, Messager…). On conseillera également à Tourcoing, en périphérie lilloise, Le Fresnoy – Studio National des arts contemporains, qui propose, outre ses formations en cinéma, vidéo et photographie, une programmation très pointue en matière d’art vivant. Une exposition consacrée à l’art belge contemporain est actuellement en place, le vidéaste Michael Snow est prévu pour début 2011. Et puis, à Roubaix, il y a, gros coup de coeur, le musée d’Art et d’Industrie, dit La Piscine. Après sa fermeture pour raison de sécurité dans les années 80, le bassin de natation Art déco a été réhabilité, il y a dix ans, en espace muséal pour le moins singulier. Dévolue aux arts appliqués – dont le tissu, patrimoine local s’il en est – et aux beaux-arts du XIXe siècle, La Piscine doit sa réputation à ses expos d’une érudition remarquable. Comme actuellement celle consacrée aux sculptures d’Edgar Degas, avec en point d’orgue la célèbre petite danseuse, prêtée par Orsay.

Santé m’biau !
Rayon food & drinks, la métropole n’est pas en reste. Restons à Roubaix, justement, où la toute jeune et florissante société Ankama, spécialisée dans l’édition de mangas et de jeux vidéo (le jeu de rôle Dofus, c’est eux), ouvre… sa cantine d’entreprise au public. Le concept séduit, du salad bar pour manger sur le pouce, au resto, déclinant une cuisine de bistrot dans une ambiance rétro-geek hybride, mix de vieux meubles de grands-mères, de fauteuils vintage, et de murs recouverts de clichés de jeunes photographes de la région. A Lille même, on ne sait plus où donner de la tête en la matière. Il y a bien sûr les institutions, L’Huîtrière, ancestrale table nappée spécialisée dans le poisson. Ou la mythique pâtisserie Meert, qui affiche depuis peu une carte salée élaborée par le jeune chef Nicolas Pourcheresse (ancien étoilé à l’Auberge de Chavannes, dans le Jura). Mais il faut surtout pousser la porte d’adresses bien plus décomplexées pour sentir le vent de fraîcheur qui souffle sur les assiettes de la ville. Au Berliner, par exemple, où Christophe Mathiez, chineur gourmand, ramasse son propos à la faveur d’un menu allant chercher du côté de la world-food (currys, woks, fish and chips…) dans une atmosphère de squat est-allemand électrisée par une bande-son électro-rock indé. Si l’on est plutôt d’humeur Marais parisien, on ira goûter la cuisine de grand-mère revisitée au tout récent Comptoir 44, belle brasserie tout en bougies, piano, miroirs d’époque, tables robustes et beaux gosses au service. Quant aux aficionados de cuisine de marché, ils trouveront leur compte chez Max, enseigne déboutonnée du col ouverte par deux cuistots lassés des manières de grand hôtel où ils officiaient avant. Ça se passe dans le quartier Solferino, QG des fiestas estudiantines qui, la nuit tombée, transforme la cité des Flandres en Barcelone du Nord.

Du reste, le sens de la fête, on ne vous apprend rien, est inscrit au patrimoine immatériel de la région. Dans le Vieux-Lille, les bars ne désemplissent pas (de chez Monsieur Jacques à La Part des Anges, les deux meilleures oenothèques de la ville, en passant par le Peek a boo, le Bar Parallèle et l’Australian Bar, rendez-vous des jeunes gens modernes). Seule ombre au tableau, d’après Péo Watson, dj manitou de la night lilloise, le manque de vrais clubs alternatifs de qualité : « En province, c’est la dictature des discothèque FM, culture NRJ, ce n’est pas étonnant que 40 000 mecs passent la frontière belge chaque week-end pour venir s’éclater chez vous », déplore ce grand gaillard de 31 ans qui compte bien changer la donne. Depuis 2006, ce dernier balance ses tracks derrière les platines du Supermarket, boîte du quartier de Wazemmes, bobo-land local en pleine gentrification. Mais avec une capacité de 600 places, c’est un peu court. Le 19 novembre dernier, Péo Watson a donc inauguré le Magazine Club dans un espace industriel relifté en nouveau temple de la teuf. L’ambition est là : le club accueillera des Dj internationaux en résidence et publie un magazine de pop-culture baptisé Triangle, qui, plus qu’un relais promo, entend balayer la culture urbaine dans son ensemble, musique, bien-sûr, mais aussi tendances arty et mode.

FashionLillesta
Le genre de lecture calibrée pour les habitués de la rue Masurelle (Vieille ville). Entre la boutique APC (basiques chers et branchouilles), l’antre pour design-geek SR77 (Droog Design, Panton…) et The Room, caverne d’Ali-Baba masculine pour tradi-pointus à l’esprit vintage, cette venelle autrefois full toxicos est devenue la nouvelle base des hipsters. Un sursaut urbain que vise le quartier cabossé de Lille Sud. En comptant précisément sur le pouvoir d’attraction de la mode et du design. La bonne idée : dans cette partie de la ville, mal intégrée géographiquement (un pont la coupe du centre qui bouge), la Mairie loue en effet à bas prix une dizaine de boutiques-ateliers à des créateurs frais émoulus. Sur une rue entière aux petits airs de Camden Town, s’alignent les vitrines des jeunes designers et stylistes, entre bars PMU et snacks à durum : il y a Clivia, une Marseillaise qui revisite le workwear, Quentin Carnaille, architecte formé à Saint-Luc Tournai, qui fabrique des bijoux à partir de mécanismes de montres, Christophe Guérin, passé par l’école Boulle à Paris qui cherche à faire éditer ses lunettes en bois massif ou encore Cookie Ann, qui s’amuse des années 80 à la faveur d’un vestiaire hypersexy et blindé d’humour. Baptisées Maisons de Mode, ces boutiques sont censées faire d’une pierre deux coups : redorer l’image du quartier et servir de tremplin aux jeunes pour qu’ils lancent leur affaire, telle Sue Hélène, styliste passée par là et aujourd’hui installée dans le Vieux-Lille. « On est une sorte d’énorme couveuse, défend Lucy Wattel-Coll flamboyante responsable com’ du projet. Notre rôle est de transformer le talent de nos petits protégés en entreprise pérenne, leur apprendre la réalité de leur métier. » Un atelier de couture est mis à leur disposition pour les prototypes, des consultants sont là pour les épauler sur les questions compta, financement, etc. Un projet similaire est également en place à Roubaix. À deux pas de La Piscine. Où, on l’a dit, on y danse plus qu’on s’y noie. Un mantra qui va du reste comme un gant à toute la métropole. ?


Lille en pratique

Y aller En TGV ou Eurostar au départ de Bruxelles Midi.

Se loger
Maison Théodore, 6, boulevard Jean-Baptiste Lebas, à 59000 Lille Tél. : +33 6 16 95 64 08.

Se restaurer

À Lille :
Chez Max (Le Bon Restaurant), 164, rue de Solférino. Tél. : +33 3 20 77 59 86. chez.max@hotmail.com

Berliner, 22, rue Royale. Tél. : +33 3 20 74 49 38.

Chez Méert, 27, rue Esquermoise. Tél. : +33 3 20 57 07 44.

Brasserie Comptoir 44, 44, rue de Gand. Tél. : +33 3 20 21 03 63.

La Part des Anges, 50, rue de la Monnaie. Tél. : +33 3 20 06 44 01.

À Roubaix
Ankama, 62, boulevard d’Armentières, à 59100 Roubaix.

Boire un verre

Monsieur Jacques, 30, rue de Gand. Tél. : +33 3 20 74 85 59.

Peek a boo, 92, rue de l’Hôpital Militaire. Tél. : +33 3 20 57 05 15.

Sortir

Café Oz, The Australian Bar, 33, Place des Bettignies. Tél. : + 33 3 20 55 15 15.

Supermarket, 8Bis, rue de Wazemmes.

Magazine Club, 84, rue de Trévise.

Shopping
Maisons de la Mode.
– 27, rue de l’Espérance, à 59100 Roubaix.
– 58/60, rue du Faubourg des Postes, à 59000 Lille.
Tous les détails du projet sont sur www.maisonsdelamode.com ou via téléphone, tél. : +33 3 20 999 120.

The Room, 22, rue Masurel. Tél. : +33 3 20 12 73 68.

SR77, 6 rue Masurel. Tél. : +33 3 20 15 08 67

Parfumerie Ombres Portées, 4, rue Masurel. +33 3 20 31 71 90.

À voir
À Lille La route de la soie, Saatchy Gallery, au Tri Postal, Avenue Willy Brandt, à 59777 Euralille. Jusqu’au 16 janvier prochain.

À Villeneuve d’Ascq
LaM, Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 1, allée du Musée, à 59650, Villeneuve d’Ascq.

À Tourcoing
ABC – Art Belge Contemporain au Studio National des Arts Contemporains, 22, rue du Fresnoy, à 59202, Tourcoing. Jusqu’au 31 décembre prochain.

À Roubaix
Degas Sculpteur à La Piscine, Musée d’Art et d’Industrie, 23, rue de l’Espérance, à 59100 Roubaix. Jusqu’au 16 janvier prochain.

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