Nouvelle-Calédonie: précieux caillou

Aux antipodes, Pacifique Sud, archipel dit « le caillou ». Lagon somptueux, classé en 2008 au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Nature sauvage et luxuriante. Culture autochtone préservée. Carnet de voyage.

Aux antipodes, Pacifique Sud, archipel dit « le caillou ». Lagon somptueux, classé en 2008 au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Nature sauvage et luxuriante. Culture autochtone préservée. Carnet de voyage.

Lundi matin, aéroport de La Tontouta, 7 h 20. Il était 23 heures, samedi soir (!), quand nous avons embarqué sur le vol Paris-Tokyo-Nouméa. Tout cela semble déjà très loin – 19 000 kilomètres tout de même… Le jet-lag est forcément extrême, avec son lot de confusion et de douce ivresse. L’impression étrange mais bien réelle de se trouver littéralement au bout du monde, à 1500 kilomètres au large de l’Australie, achève de dérégler les sens. Mais Gilles Defaut est là pour les maintenir éveillés. Gilles, c’est notre guide, soixantaine Pepsodent, peau cuivrée, enjoué comme un louveteau. Officier retraité de l’armée française, l’homme a débarqué il y a dix ans sur le Caillou avec femme et enfant, à l’instar de plus en plus de métropolitains attirés par le printemps éternel de cette collectivité d’outre-mer en voie d’émancipation – les accords de Nouméa (1998) prévoient un référendum sur le statut de l’archipel entre 2014 et 2018.

Dans le cas de Gilles, le climat ne suffit pas à expliquer son amour, osons le mot, de la Nouvelle-Calédonie : l’authentique, l’ancestrale, celle de la culture mélanésienne, particulièrement préservée « en brousse ». Comprendre tout ce qui existe en dehors de la capitale, Nouméa, sorte de Nice bis exportée en plein Pacifique. Une ville aux métissages inouïs, où certains enfants ont la peau café au lait, les yeux verts et les cheveux clairs où les Européens se mélangent aux Mélanésiens qui se mélangent aux Polynésiens qui se mélangent aux Chinois. La seule ville de l’île en réalité où se concentrent les deux tiers de la population, soit à peine 145 000 habitants. Les 100 000 autres, à majorité Kanak, se partageant le reste de la Grande Terre, l’île des Pins et les îles Loyauté (Maré, Lifou et Ouvéa). Autant dire que là où le van de Gilles nous emmène, vers le nord-est, de l’autre côté de la majestueuse Chaîne Centrale, le luxe, c’est l’espace, comme dit la pub. Avec 4 habitants au km², on ne parle même plus de luxe. Pour rejoindre cette promesse, on peut emprunter la RT1, l’unique route « à grande vitesse » contournant tout le territoire. On peut aussi prendre directement la tangente. Et son temps, a fortiori.
Première étape : Farino, la plus petite commune de Calédonie.

Certainement pas la moins attractive. Grâce à la vue imprenable que ce village planté sur la crête d’une colline offre sur le lagon, au loin. Grâce aussi au marché mensuel de produits locaux que l’on peut toujours goûter à la table de Mamie Fogliani, une des adresses gourmandes les plus courues de l’archipel. Cette mère de vingt enfants, à la réputation gouailleuse, a installé son auberge au bord d’une rivière pour y servir dans une ambiance forcément familiale de copieuses assiettes aux saveurs tropicales : tagliatelles de papaye verte, crabe de cocotier, purée de pommes de terre kari doucement sucrées. Du cerf rusa, aussi, étonnante spécialité de l’île, résultat de l’importation au XIXe siècle d’une douzaine d’individus de cette espèce originaire d’Indonésie, aujourd’hui estimée… à plus de 100 000 têtes. Qui font le bonheur des chasseurs, le malheur des agriculteurs.


C’est le bagne Avant de profiter du calme luxuriant de Sarraméa, porte d’entrée de la Province Nord, où nous passerons la nuit, nous avons un rendez-vous nécessaire avec l’Histoire de l’archipel. Détour par la côte Ouest, au Fort Teremba, un des témoins en dur de la colonisation pénitentiaire, active entre 1864 et 1931. A l’époque, pour les métropolitains, la Nouvelle-Calédonie n’était effectivement pas vraiment synonyme d’escapade-plaisir : c’était une terre de bagne. « Aujourd’hui, le sujet n’est plus tabou, explique Manuel Cormier, directeur de ce site classé Monument Historique. Beaucoup de Calédoniens descendent des 22 000 bagnards envoyés ici pour purger leur peine. Car les plus méritants recevaient une terre et avaient la possibilité de faire venir leur famille. » Ce qui débouchera sur une vague d’insurrections kanaks, un siècle déjà avant les évènements sanglants qui déstabilisèrent le Caillou dans les années 1980. Si des frictions demeurent aujourd’hui – on l’a encore vu cet été – elles restent politiques et ne contaminent en rien l’attrait de l’île et l’humeur générale des autochtones envers les touristes. Qui sont, du reste, plutôt très discrets. Chaque année, l’archipel en accueille à peine 100 000 (Japonais, métropolitains, Australiens et Néo-Zélandais, en première ligne). A titre de comparaison, Rome tourne autour de 20 millions par an.

D’où, en plus de l’espace, une tranquillité à toute épreuve. A laquelle il faut goûter dès l’aube. D’autant plus quand vous vous réveillez dans la brume matinale, au coeur de la forêt tropicale qui emmitoufle le petit village de Sarraméa. Sous un ciel bleu Magritte, lune en filigrane, on croise des escargots géants, des oiseaux fous, une rivière qui pousse la chansonnette, des cuves où l’eau cristalline dort encore dans la roche. De quoi se donner la niaque pour les deux longues journées qui s’annoncent : 280 bornes, direction Hienghène, « en langue Kanak, celui qui pleure en marchant, tellement c’est beau », ajoute, Gilles, lyrique dans ses effets d’annonce. Pas menteur, non plus, on le comprendra plus tard.


Pour l’heure, on emprunte la deuxième des cinq routes transversales qui coupent Grande Terre d’ouest en est. Une des plus grandioses, d’avis général. L’extraction du nickel, première ressource naturelle de l’archipel, a façonné un paysage lunaire, ou plutôt martien, où s’hérissent les troncs de sapins faméliques dans une ambiance de grand canyon. Les couleurs de la montagne oscillent entre l’ocre de la terre ferrugineuse et les verts profonds des pâturages, au bout de la vallée. Où barbote le site minier de Kouaoua, les pieds dans le lagon d’un bleu gris somptueux, naturellement. Et désert, évidemment. Les rares figurants que l’on rencontre dans ce décor à la fois âpre et magistral sont des poules, peut-être un chien, un chat, des vendeurs de fruits frais en bord de route et quelques grappes de dames en robe de mission vous donnant du bonjour à coup de grands signes enjoués. La suite, vers Poindimié, seule « ville » du coin, n’est qu’une alternance de ponts, d’où l’on pêche à la ligne en famille, de plages sans traces de pas ou presque et de bourgades hors du temps : Houaïlou et ses délicieux litchis, Ponérihouen et le Nimbaye, fleuve lisse comme un miroir au bord duquel deux aînées conversent, un homme gratte sa guitare. Tié, aussi ; son église et son cimetière blanc plantés face à la mer.


La vie en tribu
Pour s’initier aux modes de vies mélanésiens, c’est ici, sur la côte est de la Province Nord qu’il faut poser son sac. Jehudit, 28 ans, chapeau d’archéologue, épaules larges, a compris le potentiel touristique de la culture kanak. Nous le retrouvons à Poindimié, d’où il emmène les visiteurs curieux à la découverte de la vie quotidienne en tribu. La sienne, en l’occurrence, celle de Napoémien, 300 personnes disséminées dans des petites maisons construites à flanc de coteaux entre les cocotiers et les pins colonnaires. Qu’il rejoint parfois à la nage quand les orages viennent grossir le Creek qui coule en bas de chez lui. Ce qui frappe à l’issue de cette balade c’est l’hybridation très particulière de la coutume et des codes importés d’Occident. La culture vivrière, base de la cuisine kanak flirte allègrement avec les produits français de l’hypermarché de Poindimié. Les enfants chassent la crevette au sabre, les ados le cerf, à la carabine, après l’école où ils suivent le même programme qu’à Paris ou Lyon. On regarde le JT de Pujadas à l’aube. Et on se marie trois fois, selon la coutume d’abord, à la mairie et puis au temple. « Et lors de la fête qui suit, d’un côté de la tribu c’est pilou (danse traditionnelle) et de l’autre on passe des CD de pop jusqu’au bout de la nuit », s’amuse Jehudit. Une cohabitation pacifique des moeurs qu’appelait précisément de ses voeux Jean-Marie Tjibaou, le leader indépendantiste modéré assassiné par un extrémiste kanak à l’issue des « événements ». Patrie de Tjibaou, Hienghène, plus au nord encore, est aussi un des sites les plus majestueux du Caillou avec ses spectaculaires roches noires plantées dans le lagon. Beau… à pleurer. Effectivement. D’autant qu’il faut partir. Enfin, ce n’est pas vraiment le bagne : direction les îles. Lifou, d’abord, la plus grande des Loyauté. L’île des Pins, ensuite, mythique.


Casse pas la tête

Plus qu’ailleurs, le mantra « casse pas la tête », entonné un peu partout dans l’archipel, prend toute sa valeur à Lifou. A l’image de Gabriella et Cédric, deux modèles de nonchalance assumée qui nous servent de guide pour la journée. Rien ne sert en effet de se presser, ici : workaholic, passez votre chemin, il n’y a rien d’urgent à faire « asap », rien à agender « fissa », rien à boucler « dans l’heure ». Visiter Lifou, c’est parcourir le marché de Wé, y taper la discussion avec les marchands d’igname, de roussette et de fruits de la Passion. On peut aussi assister à un match de cricket improvisé au bord des falaises Xodre. Ou simplement profiter des plages de sable blanc qu’on dirait expressément vidées pour nous. Celle de Luengoni, au sud-est est inoubliable – avec ses rochers flottant dans l’eau turquoise. Prendre son temps, c’est aussi goûter au plat traditionnel de l’archipel, le fameux bougna. Excellente adresse : chez Inaje, une petite structure d’accueil du nord de l’île. Adèle, maîtresse des lieux a consacré sa matinée à envelopper dans des feuilles de Pandanus poulet, igname, taro, tomates, carottes, maïs, manioc et patates douces. Qu’elle a ensuite arrosé de lait de coco et cuit à même la terre sous des cailloux échaudés et un feu de bois. On ne vous dit pas l’odeur à tomber lors de l’effeuillage de ce drôle d’objet hautement goûteux.


Mythique île des Pins
Même tendance à buller sur l’île des Pins, qui prolonge Grande Terre au sud, tel un point d’exclamation. Comme pour signifier que ce petit bout de terre de 150 km² et de 2 000 habitants est sans exagération l’un des endroits les plus paradisiaques de la planète. Parsemée de quelques hôtels de luxe, l’île reste malgré tout préservée de tout tourisme agressif. La tranquillité qui prévaut sur tout le Caillou ne fait pas défaut. Les incontournables : depuis la plage de Saint-Joseph, il faut monter sur une pirogue traditionnelle et se laisser pousser par les alizés sur la sublime baie d’Upi, mer d’huile turquoise ponctuée de gros rochers, habitée de tortues, plonger au milieu des poissons dans la piscine naturelle d’Oro et gravir, encore et encore seul, le sentier vers le sommet du Pic Nga. Vue à la clé. Pour ceux qui avaient déjà tout vu.

Par Baudouin Galler

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