Reykjavik, geyser d’émotions

Escale à Reykjavik, capitale de l’Islande, aussi provinciale qu’avant-gardiste.

Charmante et onéreuse, provinciale et avant-gardiste, Reykjavik séduit par son architecture fin de siècle, sa créativité bouillonnante et une convivialité inattendue. Dépaysement garanti à l’heure où Bozar, à Bruxelles, accueille une épatante exposition islandaise.

De février à juin 2008, Bozar – relayé par l’Ancienne Belgique pour le rock – organise la plus grande manifestation jamais consacrée à l’Islande en Belgique. Iceland On The Edge est un cocktail servi très frais de la particularité culturelle de cette île à la fois nature et iconoclaste où cinéma, danse, musique, arts divers, semblent nourris d’une créativité boulimique (1). Les quatre thèmes du festival – Pure Energy, Independent People, Bad Taste et Sagas – sont prometteurs d’un dépaysement sauvage que nous avons expérimenté « in vitro ».

Ainsi à un concert donné dans le cadre de l’indispensable festival rock Iceland Airwaves à l’automne 2007 à Reykjavik, nous attendions le début des festivités lorsque nos jeunes voisins immédiats se sont mis à nous bombarder de questions en anglais. Avec une curiosité candide proche de la gentillesse d’un paysan cambodgien ou d’un gamin de Bamako, alors que l’Islande est – tout simplement – le pays le plus développé au monde (2). Elle est aussi la dernière destination branchée des Parisiens et des New-Yorkais attirés par la vivacité rock locale et la vaste nature d’une île peu peuplée.

Cette impression de terre de contrastes est palpable dès la première déambulation dans Reykjavik – cent quarante mille habitants à peine – où tout se trouve à proche distance. Les rares vestiges très anciens de la conquête norvégienne voisinent avec une architecture moderne jamais tape-à-l’oeil. Où de la tôle peinte en couleurs brise le gris du ciel et rime avec du béton bien éduqué. Comme la façade du Listasafn Reykjavikur (Musée d’art de Reykjavik) qui évoque le Bauhaus avec son allure de sobre aérogare des années 1920. Blanc à l’extérieur, tout en courbes et couleurs chaudes à l’intérieur où s’exposent les dernières créations de l’art islandais, volontiers kitsch et provoquant.

Ici, l’art est naturellement lié à la terre volcanique et aux espaces sauvages d’un pays environ trois fois et demi plus grand que la Belgique mais trente-six fois moins peuplé ! Pour casser le spleen d’une île isolée dans l’Atlantique Nord, pratiquement privée d’arbres, l’art islandais est volontiers coloré, bariolé, foldingue. Eirun Siguroardottir, invitée au Bozar ressemble à une cousine un peu enveloppée de Björk et ses créations au sein de l’Icelandic Love Corporation sont coquines : tente géante en forme de chambre nuptiale ou table basse dont les sièges ont la forme de femmes accroupies… La trentenaire au nez retroussé précise : « Cela sonne peut-être comme un cliché mais être Islandais signifie vivre au plus près de la nature. Par obligation, l’Islandais doit sortir de son île, il doit voyager ».

Vous ne manquerez pas de prendre la température bouillonnante de l’expression locale aux rendez-vous annuels tels que le généreux Reykjavik Arts Festival (mai-juin), le rock Iceland Airwaves (octobre) ou l’underground Young Art Festival (novembre). Mais aussi dans les nombreux pubs et cafés du centre où les trois cents groupes de la capitale (!) croisent régulièrement les décibels. Sens de la fête prononcée, malgré le prix prohibitif de la bière, et costumes outrageants : l’Islandais pète les plombs en couleur mais avec bonne humeur. Et c’est la seule ville au monde où les toilettes comportent deux W-C voisins sans cloison de séparation (au Solon)…

Le besoin islandais d’entretenir sa propre langue – héritière du dialecte viking du XIIIe siècle – engendre une frénésie de lecture entretenue par une météo peu ensoleillée. On en acquiert la certitude en visitant la librairie Eymundsson (Austurstræti) : conforme au modèle nord-américain, on peut y passer la journée en lisant les ouvrages, coffee-shop et facilités Internet Wi-Fi à portée de main. On est un peu étourdi par la production littéraire locale (les polars d’Arnaldur Indridason, les contes de Jon Kalman Stefansson ou les ouvrages du Prix Nobel Halldor Kiljan Laxness) et tout autant par la capacité locale à traduire des livres étrangers dans une langue pratiquée par guère plus de trois cent mille personnes. Pour les lecteurs étrangers, Eymundsson propose également des ouvrages nationaux traduits en anglais.

Pour se faire une idée du lien profond qui unit tout Islandais à son passé, on peut commencer par lire l’excellent La Femme en vert d’Arnaldur Indridason (Editions Métailié). Puis découvrir d’autres produits locaux comme les bottes en peau de saumon chez Kraum (Adalstræti), une boutique qui vend également du design islandais et des vêtements, des laines tendrement beiges ou des robes de fausse mariée. C’est joli mais, naturellement, cher.
Un charme incongru

C’est en déambulant dans Reykjavik que l’on saisit tout son charme incongru et provincial. Depuis les hauteurs de la ville, du côté de l’hôtel Hilton Nordica, en marchant pendant une petite demi-heure, on rejoint l’Althing, le parlement islandais – depuis 1881 dans ce bâtiment en bord de mer. Ici, pas de circulation maniaque mais des artères aérées où une place privilégiée est réservée aux vélos et aux piétons. Le ciel de Reykjavik, ville peu bruyante, prend les couleurs des saisons, qui contrastent avec la mer éternellement gris bleu, et le profil escarpé des vertes collines de la Videy Island, accessible en ferry, non loin du centre-ville. En route, crochet par l’église luthérienne Hallgrimskirkja (Skolavorduholt Road), un curieux édifice bâti entre 1945 et 1986. Doté d’un orgue monumental, il est construit en basalte et s’inspire des glaciers. Du haut de ses 73 mètres, le clocher domine Reykjavik.

Au National Museum Of Iceland (Sudurgata, 41), on découvre l’histoire de la conquête de l’île par des pionniers norvégiens à la fin du IXe siècle. C’est alors une société essentiellement rurale. Au début du XXe siècle, Reykjavik ne compte encore que six mille habitants. Ailleurs, des sculptures religieuses en bois ainsi que des ballerines en écailles de poisson sont particulièrement impressionnantes. Le sens ludique et social des pays nordiques y est également développé : les enfants peuvent ainsi y enfiler une réplique de costume de guerrier viking.

En rupture complète avec ces traces de passé recomposé, le méga-projet du Icelandic National Concert And Conference Centre (3) pose l’Islande du XXIe siècle. Les concepteurs danois ont imaginé un gigantesque édifice transparent où la lumière pénètre par une vaste coquille de verre. En construisant en plein centre du port pour l’automne 2009, ce multiplexe combinant quatre cents chambres d’hôtel et diverses salles, dont un auditorium de 1 800 places, la ville prend l’option de séduire un public en quête de modernité. Celui-ci peut toutefois se satisfaire avec la visite de The Imagine Peace Tower, une énorme sculpture lumineuse imaginée par Yoko Ono et la municipalité de Reykjavik pour rendre hommage à John Lennon. Telle une aurore boréale, cette installation sur l’île de Videy qui déchire la nuit nordique est partiellement visible depuis Reykjavik. Un ferry permet de l’approcher en bateau. Une vision impressionnante…

Le grand bleu

Quittons Reykjavik, pour la visite des glaciers sauvages, surhumains, impressionnants qui occupent plus de 10 % de la superficie du pays. Ou goûter au bain chaud irréel et à ciel ouvert du Blue Lagoon, premier choix d’un pays très riche en spas et géothermalisme. A quarante minutes de voiture de la capitale, cette source naturelle a été emménagée en une sorte de piscine extralarge, dont la plus grande partie est en plein air. Dans un bassin de roche noire, plonger dans l’eau turquoise, à 40 °C procure une extraordinaire impression de bien-être. Et nourrit les peaux les plus abîmées. Il n’est pas rare que des DJ ou des musiciens s’y produisent et réchauffent l’atmosphère extérieure, l’endroit étant ouvert toute l’année. Appréciez les vestiaires collectifs (hommes et femmes y sont toutefois séparés), et la boue blanche que vous pouvez appliquer sur le visage comme gommage, tout comme le paysage lunaire qui vous entoure. Inoubliable.

Reportage : Philippe Cornet

(1) Iceland On The Edge, exposition sur le Icelandic National Concert & Conference Centre de Reykjavik, du 11 avril au 15 juin prochain, à Bozar, à 1000 Bruxelles. (2) Classée première par les Nations unies selon l’Index de Développement Humain.(3) Dreams Of The Sublime And Nowhere jusqu’au 25 avril prochain au Bozar, à 1000 Bruxelles. www.bozar.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content