Tokyo: les bonnes adresses de Nicolas Degennes, DA maquillage de Givenchy

© TETSUYA MIURA
Isabelle Willot

Dès qu’il le peut, le directeur artistique maquillage et couleurs de Givenchy embarque pour l’empire du Soleil levant. Cette deuxième patrie, qu’il prend plaisir à apprivoiser, nourrit depuis plus de quinze ans son inspiration. Nous nous sommes glissés dans ses pas, à la découverte d’une ville contrastée.

La frontière entre haine et passion est parfois ténue – difficile d’expliquer, d’ailleurs, ce qui fait que l’on bascule, soudain, de l’un à l’autre. Entre Tokyo et Nicolas Degennes, la première rencontre aurait en tout cas pu être fatale. C’était il y a dix-sept ans. L’homme de l’ombre qu’il est jusqu’alors, habitué des coulisses de tournages et d’émissions télévisées, vient tout juste d’arriver chez Givenchy.  » Le choc a été d’une grande violence, se souvient-il. Je n’ai pas réussi à dormir pendant quatre nuits. J’avais le coeur qui battait à 190 à l’heure. J’étais venu pour présenter les produits que nous étions en train de lancer. Une collection sur laquelle je n’avais pas travaillé et qui ne me correspondait pas mais il fallait la faire vivre, c’était le jeu. Je me suis retrouvé face à 400 personnes et 7 écrans gigantesques, forcé de faire l’acteur. Lorsque je suis monté dans l’avion du retour, j’ai pris un calmant et je ne me suis réveillé que lorsque tous les autres passagers étaient descendus ! Le staff n’avait jamais vu cela.  »

Comme celui qui remonte sur son cheval juste après en être tombé, Nicolas Degennes décide très vite de retourner là-bas.  » Je ne voulais pas rester sur une expérience traumatisante, poursuit-il. En fait, je n’avais rien compris au pays et à sa culture. Mais cette fois-là, j’ai pris mon temps. Et je n’arrête plus de le faire ! J’ai eu la chance de rencontrer des gens passionnés, sincères, fidèles. J’ai aujourd’hui une  » soeur  » japonaise que je vois chaque fois que je reviens. Je me sens ici chez moi, c’est ma deuxième patrie et j’y séjourne désormais le plus souvent possible.  » Ses sources d’inspiration y sont multiples, qu’il s’agisse de l’art de manier la couleur ou d’une certaine vision de la féminité –  » à la fois tellement puissante et tellement tendre  » – qu’il distille au gré de ses créations.

Tokyo: les bonnes adresses de Nicolas Degennes, DA maquillage de Givenchy
© Photos : Christophe Roue pour givenchy beauty

C’est donc naturellement qu’il a choisi Tokyo pour le lancement du Rouge Liquide (disponible chez nous en août prochain), déroutant lorsqu’on le prend en main mais facile à apprivoiser dès qu’on commence à le manier.  » Oubliez tout ce que vous croyez savoir sur le rouge à lèvres « , sourit celui qui est aujourd’hui directeur artistique maquillage et couleurs de Givenchy. En apparence, l’illusion est parfaite : à la place du traditionnel raisin, un applicateur mousse qui s’emplit de carmin lorsque l’on twiste le pack pour doser la formule, pigmentée comme jamais, mate et velours à la fois. Vu d’en haut, le point rouge sang rappelle le disque du soleil du drapeau national. Sur le visuel de la campagne, les lèvres impeccablement dessinées sur un teint pâle de la top espagnole Blanca Padilla évoquent aussi la beauté des geishas.

 » Lorsque vous êtes au Japon, même pour travailler, tout est fait pour vous accompagner dans un monde qui vous est a priori complètement étranger, poursuit Nicolas Degennes. Vous êtes en éveil, parce que curieux de tout dans un univers qui vous pousse à sortir de votre zone de confort. Ce sont des instants parfaits pour se redécouvrir soi-même, porter un autre regard sur son propre travail. Se rendre compte que l’on peut se poser, prendre le temps, même dans une ville en constante ébullition.  » Plutôt que de contradiction, quand on lui oppose le geste délicat et précis nécessaire à la préparation du thé matcha à la folie psychédélique des danseurs transformistes du Robot Show de Shibuya, un restaurant-spectacle, notre esthète préfère parler de nécessaire complémentarité.  » L’un n’existe pas sans l’autre, conclut-il. Face à la tradition qui va de pair avec l’écoute, le respect, le vivre-ensemble enraciné dans la religion qui est le pilier du Japon, il y a cette folie douce, presque enfantine, cette joie de vivre qui anime tout le monde ici, comme une nécessité.  » Le Tokyo cher à son coeur en est le reflet. Visite guidée.

Tokyo: les bonnes adresses de Nicolas Degennes, DA maquillage de Givenchy

Omotesando

Omotesando
Omotesando© Belga Image

 » Lorsque je suis à Tokyo, je descends toujours au Grand Hyatt, dans le quartier de Roppongi. C’est un peu ma maison ! Mais j’adore flâner du côté des  » Champs-Elysées  » tokyoïtes, la célèbre avenue Omotesando où se trouvent toutes les boutiques de luxe. Il faut y passer, bien sûr, mais pour mieux s’en éloigner et se balader tout autour, se perdre dans Harajuku, juste pour le fun – c’est ici que se retrouvent les lycéens – et puis de là, emprunter la rue piétonne de Cat Street pour descendre jusqu’au célèbre passage pour piétons de Shibuya. « 

Happo-en

Happo-en
Happo-en© getty images

 » C’est d’abord l’un des plus beaux jardins de Tokyo mais c’est aussi un lieu magique pour s’initier à la cérémonie du thé. Il faut au moins le faire une fois lorsque l’on vient dans la mégapole. Les Japonais ont cette force incroyable que nous avons perdue : c’est d’arrêter le temps, de faire qu’il ne compte plus. A la maison, je me prépare mon thé matcha tous les jours, avec mon petit fouet, sinon ce n’est pas drôle ! Cela permet de le faire mousser comme il faut mais aussi d’éviter de le boire trop chaud.  »

1-1-1, Shirokanedai, Minato 108-8631, Tokyo.

Ma-suya

Ma-suya
Ma-suya© dr

 » Ce qui est extraordinaire au Japon, c’est que vous pouvez trouver des magasins extrêmement spécialisés. Celui-ci ne vend que du sel ! Il y a plus de 300 références : au yuzu, au gingembre, de l’Himalaya, d’Okinawa… Quand j’y suis entré pour la première fois, je n’en revenais pas ! Même si je n’aime pas cuisiner – il faut faire des choix – j’apprécie en revanche qu’on le fasse pour moi. J’en ai acheté plusieurs et j’ai trouvé les saveurs intéressantes. J’aime cette forme de fidélisation du client, cette passion qui se transmet et qui fait que l’on se déplace jusque chez vous pour un seul produit. C’est cette passion qui fait vraiment la différence entre ici et le reste du monde.  »

1F, Fujiwara Bldg, 1-7-3, Azabu Juban, Minato-ku, 106-0045, Tokyo.

Yanaka et ses cimetières

Yanaka et ses cimetières
Yanaka et ses cimetières© getty images

 » Yanaka est le seul quartier de Tokyo qui a survécu au grand incendie de 1923, à la guerre et à tous les tremblements de terre. C’est un lieu de vie exceptionnel où l’on croise beaucoup de personnes âgées. Il m’est même arrivé de faire découvrir cet endroit à des Japonais qui n’y étaient jamais allés. Il fait bon s’y perdre. C’est rempli de petites boutiques traditionnelles. C’est là que se trouvent les ateliers des céramistes – c’est une autre de mes passions – mais il y a également de nombreux cimetières qui sont particulièrement poétiques lors de la floraison des cerisiers, ce que l’on appelle ici sakura. Ce sont de magnifiques lieux de recueillement et de silence. La rue la plus connue et la plus  » touristique  » s’appelle Yanaka Ginza aussi surnommée l’autre  » cat street  » car on y voit des représentations de chats un peu partout. Lorsque vous descendez les escaliers, sur votre droite, vous verrez un petit magasin d’objets en bois, j’adore m’arrêter là. Un peu plus bas, sur la gauche, on tombe sur une boutique de thé, on y trouve tout pour faire son matcha.  »

Kinkaido

Kinkaido
Kinkaido© Nicolas degennes

 » Encore une boutique spécialisée où l’on trouve cette fois des pigments minéraux broyés utilisés en calligraphie. On les mélange à des huiles, ils ont une tenue redoutable. Cela fait déjà quelques années que je peins, mais c’est ici, au Japon que je me suis initié à la calligraphie. J’ai fait de la teinture sur soie aussi, tout cela m’a permis d’acquérir de nouveaux gestes. Comme les papiers de couleurs, les pigments m’aident à mieux expliquer à mes équipes de quel bleu, entre toutes les variantes possibles, j’ai précisément envie. Je me rappelle être entré dans la boutique et avoir voulu tout emporter ! La patronne a mis plusieurs jours pour me préparer les échantillons qu’elle a envoyés d’abord à mon bureau de Tokyo, puis à Paris. C’est resté bloqué à la douane pendant trois mois parce qu’ils se demandaient ce qu’étaient ces poudres bizarres. Je pense qu’ils ont voulu tout contrôler mais tout a fini par arriver. Même si je suis un peu plus raisonnable aujourd’hui, j’aime l’idée de posséder ces objets, j’ai plaisir à les contempler. Lorsque je vais monter une nouvelle collection, plutôt que de repartir de ce que j’ai déjà, je préfère composer ce dont j’ai besoin. Cela m’aide à mieux comprendre pourquoi je n’aime pas telle teinte et pourquoi j’adore celle-ci.  »

1-5-10, Taitoku, Yanaka, 110-0001,Tokyo.

Itoya

Itoya
Itoya© dr

 » C’est une papeterie, située à Ginza. Au troisième étage, on trouve une exposition absolument invraisemblable de petits carrés en papier sur un mur qui doit faire 20 m de longueur, avec toutes les nuances de toutes les teintes possibles et imaginables. Et quand je dis couleurs, ça vaut aussi pour les blancs, parce qu’il n’y a pas qu’un seul blanc, il y en a  » des « , et les noirs, pareil, sans parler de la multiplication des rouges, des orangés, des bleus, des verts… Et tout est exposé comme cela. Alors on prend son petit ticket, on va ensuite au comptoir pour chercher les grandes feuilles de papier dans le coloris précis que l’on souhaite. J’adore cet endroit parce que ça me fait rêver. J’y achète ce dont j’ai besoin pour réaliser mes cahiers de tendances, j’ai dû déjà emporter la moitié du magasin ! Travailler avec des Pantone ne me parle pas, ce n’est pas forcément avec ce type de nuancier que je me sens bien. Surtout parce que j’ai besoin de couper et d’associer. Pour avoir devant moi quelque chose qui me soit acceptable à l’oeil, du moins dans un premier temps.  »

2-7-15, Ginza, Chuo 104-0061, Tokyo.

Tokyu Hands

Tokyu Hands
Tokyu Hands© getty images

 » Je ne peux pas venir à Tokyo sans passer par ce magasin où l’on propose tout pour chaque pièce de la maison. Je peux y rester quatre heures… et revenir encore le lendemain ! Au gré des étages, on tombe sur de la vaisselle, des matelas, des télévisions, des sommiers, des produits nettoyants, des accessoires pour la voiture mais aussi des cosmétiques et plus généralement ce qui touche aux soins du corps. Vous ne pouvez pas imaginer combien de Cotons-Tiges différents existent ici, dans des formes complètement improbables, déjà humidifiés parfois, parfaits pour éliminer une petite trace de maquillage au coin de l’oeil. Au rayon beauté, on peut s’acheter un masque hydratant qui vous fera une tête de panda… ou de geisha ! Un tas de produits beaucoup plus sérieux, également. Ce pays est celui de la cosmétique à boire : les principes actifs qui préservent le jeunesse, comme le collagène, s’ingèrent et ne sont pas seulement intégrés dans les crèmes.  »

12-18, Udagawacho, Shibuya, 150-0042, Tokyo.

Narukiyo

Narukiyo
Narukiyo© isabelle willot

 » C’est le nom d’un restaurant, mais c’est aussi celui du chef qui y officie. Un endroit minuscule – quelques tables où l’on mange par terre, et puis autour du bar – dont on ne pousse pas la porte par hasard ! Il est indispensable de réserver. On n’a jamais fini de le découvrir et c’est essentiellement dû à la personnalité de son propriétaire. Et à sa cuisine, évidemment, qui est complètement unique car il revisite à sa manière l’ensemble des traditions culinaires nationales. C’est une adresse connue des gens de la mode qui s’y retrouvent régulièrement quand ils sont de passage à Tokyo. Mais pas seulement. Entre Narukiyo-san et moi, le courant est passé tout de suite. On s’adore ! Normalement, il ne privatise jamais son établissement. Mais exceptionnellement, pour moi, il a accepté de le faire lors du lancement du Rouge Liquide.  »

2 -7-14, Shibuya, 150-0002, Tokyo.

Onsen

Onsen
Onsen© isopix

 » Un onsen est une source d’eau chaude naturelle, il en existe plus de 3 000 sur toute l’île. Les plus beaux sont bien sûr à l’extérieur de Tokyo, à Kyoto notamment, mais on en trouve aussi à Hakone, à une bonne heure de voiture en direction du mont Fuji. C’est une expérience formidable, à vivre à deux idéalement, certains espaces peuvent être privatisés. C’est encore plus magique en hiver, avec un peu de chance, il se mettra à neiger pendant que vous vous baignez. Les bains sont à l’extérieur et le rapport à la nature est toujours saisissant. Les décors sont sublimes. Encore une fois, tout est fait pour vous apaiser, non seulement l’esprit mais aussi le corps.  »

Tokyo Somei Onsen Sakura Spa, 5-4-24- Komagome, Toshima, 170-0003, Tokyo.

Le sanctuaire Meiji-jingu

Le sanctuaire Meiji-jingu
Le sanctuaire Meiji-jingu© getty images

 » C’est un temple shinto, l’autre grand culte du Japon avec le bouddhisme. C’est beau, c’est grand, c’est étonnant. L’arrivée dans ce lieu unique, au milieu de ces arbres centenaires, invite déjà à la méditation. J’ai redécouvert la religion ici et cela m’a plu parce qu’elle respecte les choses, elle n’interdit pas. Elle conseille, c’est totalement différent. Ce n’est pas dans la frustration que l’on s’épanouit mais dans la liberté de chacun. En ce sens, les Japonais ont tout compris car ils s’offrent beaucoup de liberté dans leur pratique et l’adaptent au fil de leur vie.  »

1-1, Yoyogikamizonocho, Shibuya, 151-8557, Tokyo.

Le saké

Le saké
Le saké© getty images

 » D’abord, il est important de préciser qu’il n’y en a pas un, mais des sakés ! J’adore ce breuvage, à ne surtout pas confondre avec l’alcool chinois très fort à base de sorgho fermenté, le Mei Kuei Lu Chiew, que l’on nous  » vend  » pour du saké en Europe. Il s’agit d’un vin, et comme dans le cas des bordeaux, il y a la même volonté de proposer une large variété. Découvrir le saké, c’est apprendre à le goûter, c’est percevoir les gammes, les différentes manières de le boire : il y a des sakés nouveaux, gourmands, à boire plus ou moins frais ou chauds.  »

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