Trésor caché: le Belarus, destination la moins touristique d’Europe

Le château de Niasvij fut à l'origine du rayonnement des arts et de la culture lituano-polonaise dans tout le monde slave. © PHILIPPE BERKENBAUM
Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Cette ex-république d’URSS est réputée pour son régime autocratique qualifié de dernière dictature d’Europe. Mais celle-ci s’assouplit et entrouvre la porte sur une destination méconnue. Voyage dans le temps à travers un pays qui doit son surnom à ses quelque 11 000 lacs.

C’est comme un trou noir sur la carte du Vieux Continent. Un trait d’union géographique avec la Russie que très peu de gens peuvent se targuer d’avoir visité. Avec moins de 100 000 voyageurs occidentaux par an, le Belarus est la destination la moins touristique d’Europe – vingt fois moins que la Lituanie voisine ! En cause : le régime anti-démocratique du dictateur Alexandre Loukachenko, vissé au pouvoir sans partage depuis vingt- quatre ans . Un despote fort peu enclin à laisser les étrangers jeter un oeil sur ses méthodes répressives.

Mais le Belarus n’est pas la Corée du Nord, et le régime s’est assoupli ces dernières années. Libération de prisonniers politiques (ce qui a permis de ré-esquisser des relations avec l’Union européenne), timide rétablissement du dialogue avec l’opposition, autorisation de quelques journaux critiques… La liberté d’expression est loin d’y être la règle, et des manifestations ont encore été durement réprimées ces derniers mois (comme, du reste, en Russie ou en Turquie…), mais les signes d’ouverture se multiplient.

Deux de ces signaux visent les touristes en général et les Belges en particulier : depuis mars dernier, on peut séjourner au Belarus pendant cinq jours sans visa (il est automatiquement délivré à l’aéroport), et en avril dernier, la compagnie nationale Belavia a lancé une liaison directe entre Minsk et Charleroi. Ce qui place cette nation à moins de trois heures de vol de la Belgique. L’occasion rêvée d’aller y découvrir, avant tout le monde, un riche passé culturel, une nature généreuse, les derniers vestiges de la guerre froide et, surtout, un peuple authentique, chaleureux et qui ne demande qu’à jeter des ponts à ses voisins de l’Ouest.

Un château en Biélorussie

Le village de Mir fut longtemps l'un des plus tolérants d'Europe.
Le village de Mir fut longtemps l’un des plus tolérants d’Europe.© PHILIPPE BERKENBAUM

Après un court passage par la capitale, Minsk, où nous nous arrêterons plus longuement par la suite, notre première étape nous conduit à Mir, 120 km plus au sud, un village qui porte d’autant mieux son nom –  » paix  » en (biélo)russe – qu’il fut longtemps symbole de cohabitation harmonieuse entre les communautés. Fondé au xive siècle, il a abrité des populations catholiques, orthodoxes, musulmanes (des Tatars venus de Crimée) et juives, ces derniers représentant jusqu’à 60 % des habitants avant d’être massacrés par les Allemands au milieu du siècle dernier. Tout comme le village, entièrement détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Les temples, églises, synagogues et mosquées y ont été reconstruits, pas la yeshivah (école talmudique) qui comptait parmi les plus réputées d’Europe de l’Est au début du xxe siècle. De nombreux israélites y viennent encore en pèlerinage de Russie ou d’autres pays proches.

C’est pour son château que Mir mérite surtout le détour. Classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, cette forteresse tout droit sortie du Moyen Age témoigne à merveille du passé mouvementé d’une région qui a toujours subi les convoitises de ses puissants voisins et connu, dès lors, d’innombrables invasions. Magnifiquement restauré ces dernières années, il est devenu un incontournable musée dans un cadre enchanteur. Notre guide Natallia s’enthousiasme :  » Les édifices comme celui-ci sont l’une des fiertés de notre pays, qui en compte un très grand nombre dont les plus anciens remontent à l’époque féodale. Quel que soit l’empire dont elle dépendait, c’est une région qui a toujours été partagée en autant de principautés, duchés, comtés et autres seigneuries.  »

Le château de Mir, classé au patrimoine mondial de l'Unesco.
Le château de Mir, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. © PHILIPPE BERKENBAUM

En témoigne un autre somptueux vestige d’un passé révolu et posé à quelques encablures, le château de Niasvij, lui aussi inscrit sur les tablettes de l’Unesco et restauré en profondeur au cours de la dernière décennie. Propriété durant cinq siècles de la très puissante famille Radziwill, il fut à l’origine du rayonnement des arts et de la culture lituano-polonaise dans tout le monde slave jusqu’au tournant du xxe siècle. Sa visite représente un voyage dans un autre espace-temps.

Cerise sur le château : au fil de l’année, tous ces lieux accueillent spectacles et festivals ou, plus ponctuellement, ouvrent leurs portes en nocturne pour une Nuit des Musées qui déplace les grandes foules.

Le poumon vert de l’Europe

De l'eau partout et des villages dont les maisons en bois paraissent figées dans le temps.
De l’eau partout et des villages dont les maisons en bois paraissent figées dans le temps.© PHILIPPE BERKENBAUM

On passe notre deuxième journée au bord de l’un des milliers de lacs qui ont donné au pays son surnom. Celui de Zaslawkaye, également connu sous l’appellation Mer de Minsk, est le plus proche de la capitale, et en partie artificiel. Ses 15 km2 bordés de forêts luxuriantes offrent d’innombrables possibilités d’activités nature, ludiques ou sportives, entre les randonnées, les promenades en barque, la pêche ou le parc aquatique.

Ce n’est là qu’un aperçu du véritable trésor du Belarus : sa nature vierge, largement préservée du tourisme de masse. Sauvage et authentique, à l’instar des villages de bois qui parsèment les régions rurales et sont restés figés dans le temps, avec leurs maisonnettes aux couleurs vives et leurs charrettes à cheval encore nombreuses à arpenter les pistes en terre. C’est le paradis des marcheurs, des amoureux de grands espaces, des campeurs et férus de VTT. Avec un accueil et une hospitalité sans fard chaque fois que l’on frappe à une porte, tant les habitants sont heureux de voir passer des étrangers qui animent leur quotidien. Bière locale ou vodka à la clé.

Plus d'un millier de bisons sauvages paissent encore en liberté au Belarus.
Plus d’un millier de bisons sauvages paissent encore en liberté au Belarus.© BELARUS TOURISM

Plus du tiers du pays est non seulement boisé, mais abrite aussi les dernières forêts primaires d’Europe. Elles protègent une faune et une flore d’une rare diversité, dont beaucoup d’espèces devenues exceptionnelles ailleurs – lynx, visons, ours, loups, chevaux sauvages, élans… et bisons : la magnifique réserve naturelle de Belavejskaya Pushcha, proche de la frontière polonaise, en héberge plus d’un millier en liberté. Et le trekking y est autorisé. Près de 100 000 km de rivières et 11 000 lacs complètent le paysage. Et un autre tiers du territoire est formé de marécages. Le nirvana pour les pêcheurs ou les ornithologues, qui lui vaut son second surnom de  » poumon vert de l’Europe « .

Même les skieurs ne sont pas en reste, dans ce pays couvert de neige plusieurs mois par an. Immense plaine parsemée de quelques rares collines plutôt que de montagnes, le Belarus s’enorgueillit d’une poignée de stations de sports d’hiver.

Minsk et son décorum factice

L'opéra de Minsk, au coeur de l'un des parcs qui pullulent dans la capitale.
L’opéra de Minsk, au coeur de l’un des parcs qui pullulent dans la capitale. © BELARUS TOURISM

L’attachement des Biélorusses à la nature se prolonge dans les villes qui regorgent d’espaces verts et de parcs où il fait bon flâner par tous les temps. Les familles s’y promènent, les enfants s’amusent, les sportifs s’entraînent et les jeunes se rassemblent pour tromper leur désoeuvrement. En journée, car le soir, ils se retrouvent dans les bars animés où l’ambiance peut battre son plein jusqu’à pas d’heure, dans les quartiers branchés de Minsk où pullulent les tavernes underground. Dans ce régime qui reste officiellement sourd aux sirènes consuméristes occidentales, on s’occupe comme on peut. Entre distractions culturelles – concerts, théâtre, opéra, folklore en veux-tu en voilà… – et détente en famille ou entre amis, en ville ou à la campagne.

Beaucoup d'églises orthodoxes ont été reconstruites après leur destruction pendant la Seconde Guerre mondiale.
Beaucoup d’églises orthodoxes ont été reconstruites après leur destruction pendant la Seconde Guerre mondiale.© PHILIPPE BERKENBAUM

La capitale présente un visage contrasté. Tant de fois rasée et pillée, elle a subi le coup de grâce sous le pilonnage des nazis. Presque entièrement rebâtie selon les standards soviétiques, elle offre un condensé saisissant d’architecture stalinienne mêlée aux rares vestiges orthodoxes et byzantins plus anciens – authentiques ou, comme c’est souvent le cas, reconstruits à l’identique. Les bulbes d’or des lieux saints côtoient les monuments à la gloire de Lénine ou même de Dzerjinski, le sinistre enfant du pays devenu père du KGB. Ils en sont fiers.

Mais Minsk ne craint pas les contradictions : certains bustes d’anciens dignitaires soviétiques se découpent sur fond d’immenses fresques murales taguées par les stars locales du street art contemporain. Flamboyantes, mais toujours politiquement correctes ! Aucune, jamais, ne critique ouvertement le régime. Soit les tagueurs ne s’y risquent pas, soit elles sont rapidement effacées.

Entièrement reconstruit après 1945, le coeur de la capitale offre un condensé de démesure urbanistique.
Entièrement reconstruit après 1945, le coeur de la capitale offre un condensé de démesure urbanistique.© PHILIPPE BERKENBAUM

Deux mondes s’opposent à Minsk, et c’est ce qui forge son caractère unique. Il faut prendre le temps d’arpenter le centre, imposant résumé architectural d’un totalitarisme devenu anachronique avec ses bâtiments grandiloquents et ses boulevards démesurés – l’avenue de l’Indépendance, artère principale plantée d’immeubles staliniens classiques, se prolonge sur 15 km -, puis de s’égarer dans la ville haute et la périphérie où l’atmosphère garde le cachet authentique d’un gros bourg sans prétention. Sans oublier le marché couvert et ses produits locaux les plus typiques. Ni les nombreux mémoriaux aux victimes des deux guerres, dont celui dédié à l’holocauste n’est pas le moins émouvant.

L'imposant monument de Brest à la gloire des soldats morts pour la patrie.
L’imposant monument de Brest à la gloire des soldats morts pour la patrie.© BELARUS TOURISM

On a assez vite fait le tour de la seule véritable métropole du pays. D’autres villes valent le détour si l’on a un peu plus de temps. Vitebsk, berceau culturel et artistique du pays, a vu naître Chagall et séjourner Malevitch ou Kandinsky. Brest, à la frontière polonaise, s’enorgueillit d’une célèbre forteresse dont les ruines ont été transformées en un monument grandiose dans le plus pur style post-bolchevique. Grodno, 300 km à l’ouest de Minsk, a pu sauver la plupart de ses bâtiments historiques des destructions liées aux guerres, ce qui fait d’elle la destination urbaine la plus pittoresque de cette petite nation. Un pays somme toute attachant et très bon marché, vestige d’un passé qui a marqué l’histoire européenne et sera bientôt, peut-être, totalement révolu.

Tourisme dentaire

A l’époque soviétique, la Biélorussie était célèbre pour ses maisons de cure situées au milieu des bois et attirait, dès lors, un abondant tourisme sanitaire issu de tout le bloc de l’Est. Le Belarus du xxie siècle n’a pas renoncé à cette spécificité. Il mise même dessus pour attirer, désormais, une large clientèle occidentale. Parmi ses nouvelles spécialités : les implants dentaires.

Dans les environs de Minsk, plusieurs cliniques ultramodernes se proposent de remettre votre dentition à neuf pour un prix trois fois inférieur à ce que vous paieriez en Belgique, et deux fois moins élevé que ce qui se pratique en Espagne ou en Roumanie, deux destinations phares pour ce type de traitement. Les Russes, en tout cas, sont conquis. Et les Européens de plus en plus nombreux à tenter le coup, surtout depuis qu’ils peuvent s’y rendre sans visa.

En pratiqueFormalités

Pour un séjour de 5 jours maximum via l’aéroport de Minsk, les ressortissants de l’UE sont exemptés de visa. Un passeport suffit. Seule obligation : souscrire une  » assurance médicale  » à l’arrivée (1 euro/jour).

Ambassade de la République du Belarus, 192, avenue Molière, à 1050 Bruxelles.

Tél. : 02 340 02 70 ou 02 340 02 96.Y aller

La compagnie nationale Belavia assure 3 vols hebdomadaires entre Minsk et Charleroi, dès 175 euros A/R.

www.belavia.bySe loger

Les hôtels offrant peu d’intérêt et étant assez chers, il est intéressant de louer un appartement ou une chambre chez l’habitant, une pratique assez courante au Belarus. Plusieurs sites proposent ce type d’hébergement, y compris dans les zones rurales. Sans oublier l’option Airbnb.

www.belarusrent.com

www.apartmentinminsk.comSe restaurer

La scène gastronomique évolue vite à Minsk. Les restaurants assez tristes et guindés de l’ère post-soviétique laissent peu à peu la place à des adresses dynamiques et branchées, qui mélangent cuisine traditionnelle de qualité avec des influences occidentales et/ou orientales.

Pour une découverte savoureuse des spécialités locales, essayez Kamyanitsa, réputée la meilleure adresse du genre de la ville.

www.kamyanitsa.by

Dans un autre style et dans un magnifique faubourg boisé aux allures de forêt de Soignes, le resto russe Expedicia propose une cuisine raffinée inspirée de Sibérie dans un décorum de grandes expéditions arctiques.

https : //expedition-rest.relax.by

Vers un mieux ?

Lorsque la Biélorussie devient indépendante en 1991, après la chute de l’URSS, c’est une première dans son histoire mouvementée. Ballottée pendant des siècles entre différentes puissances régionales, au carrefour des cultures d’Orient et d’Occident, elle en a subi toutes les influences ainsi qu’un brassage inouï. Elle aurait pu être un modèle sur le Vieux Continent en même temps qu’un pont avec la Russie, dont elle reste culturellement proche.

Elle a même essayé d’en prendre le chemin, en instaurant d’emblée une démocratie parlementaire. C’était compter sans Loukachenko qui, élu en 1994, organise des référendums destinés à augmenter les pouvoirs présidentiels et dirige le pays sans partage avec le soutien de Moscou. Longtemps, son régime fut durement répressif, marqué par les arrestations et disparitions d’opposants et de journalistes.

Mais ces dernières années, poussé par les contraintes économiques, il a commencé à lâcher du lest. Si son régime est loin d’être devenu un modèle d’ouverture, beaucoup de locaux nous l’ont dit : ils comptent sur l’arrivée croissante de touristes et les pressions occidentales pour faire bouger les lignes.

Tourisme dentaire

A l’époque soviétique, la Biélorussie était célèbre pour ses maisons de cure situées au milieu des bois et attirait, dès lors, un abondant tourisme sanitaire issu de tout le bloc de l’Est. Le Belarus du xxie siècle n’a pas renoncé à cette spécificité. Il mise même dessus pour attirer, désormais, une large clientèle occidentale. Parmi ses nouvelles spécialités : les implants dentaires.

Dans les environs de Minsk, plusieurs cliniques ultramodernes se proposent de remettre votre dentition à neuf pour un prix trois fois inférieur à ce que vous paieriez en Belgique, et deux fois moins élevé que ce qui se pratique en Espagne ou en Roumanie, deux destinations phares pour ce type de traitement. Les Russes, en tout cas, sont conquis. Et les Européens de plus en plus nombreux à tenter le coup, surtout depuis qu’ils peuvent s’y rendre sans visa.

Vers un mieux ?

Lorsque la Biélorussie devient indépendante en 1991, après la chute de l’URSS, c’est une première dans son histoire mouvementée. Ballottée pendant des siècles entre différentes puissances régionales, au carrefour des cultures d’Orient et d’Occident, elle en a subi toutes les influences ainsi qu’un brassage inouï. Elle aurait pu être un modèle sur le Vieux Continent en même temps qu’un pont avec la Russie, dont elle reste culturellement proche.

Elle a même essayé d’en prendre le chemin, en instaurant d’emblée une démocratie parlementaire. C’était compter sans Loukachenko qui, élu en 1994, organise des référendums destinés à augmenter les pouvoirs présidentiels et dirige le pays sans partage avec le soutien de Moscou. Longtemps, son régime fut durement répressif, marqué par les arrestations et disparitions d’opposants et de journalistes.

Mais ces dernières années, poussé par les contraintes économiques, il a commencé à lâcher du lest. Si son régime est loin d’être devenu un modèle d’ouverture, beaucoup de locaux nous l’ont dit : ils comptent sur l’arrivée croissante de touristes et les pressions occidentales pour faire bouger les lignes.

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