Parents des années 80 vs parents des années 2020: ce qui a changé en 40 ans

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Walériane Dubois Stagiaire

Alors que dans les années 80, l’unique objectif des pères et des mères, ou presque, était que leur enfant réussisse dans la vie, de nos jours, une pression énorme pèse sur eux. Mais n’en fait-on pas trop avec toutes ces théories? Les experts relativisent, pour nous, les dogmes récents de la parentalité.

Alors qu’il sort d’une réunion de parents, après les examens, le père d’un adolescent de 14 ans s’interroge. Il était venu à cette rencontre pour savoir comment son fils se comportait en classe, s’il participait, avait des amis… Et il s’est retrouvé face à un prof sur la défensive, prêt à se justifier quant au bulletin du garçon. « J’avais même l’impression que certains parents venaient rechercher là leurs propres notes, après avoir étudié avec leur gamin », observe cet homme que certains pourraient considérer comme laxiste. Et pour cause: son gosse peut sortir après 20 heures et ne doit pas lui téléphoner pour rester en ville s’il finit plus tôt l’école… Tant que les résultats restent stables, le paternel n’y voit pas d’inconvénients.

A contrario de ce papa plutôt décontracté, d’autres estiment aujourd’hui de leur devoir de prendre congé pour épauler leurs mômes avant les contrôles de fin d’année. Tout comme ils trouvent primordial que leurs kids fassent de la danse, du volley-ball, de la musique, aillent aux scouts, suivent des cours privés de math ou d’anglais… et donnent évidemment le meilleur d’eux-mêmes dans tous ces challenges. Ces parents entendent par ailleurs nourrir leurs enfants sainement, ne surtout pas leur donner à boire dans une gourde contenant du bisphénol et limiter leur temps d’écran drastiquement. Sans oublier de leur enseigner les dangers d’Internet et du réchauffement climatique. De quoi en faire des jeunes gens bien dans leurs baskets… ou complètement épuisés.

Trop cool ou trop dirigistes, trop ambitieux ou trop précautionneux… On enferme de nos jours les parents dans toutes sortes de cases pour qualifier leur manière d’éduquer leur progéniture. Des théories toutes faites bien souvent, que les experts que nous avons rencontrés ne cautionnent pas forcément.

Être parents en 1980: s’assurer que son enfant mange à sa faim et étudie bien pour réussir dans la vie.

Être parents en 2020: Veiller à répondre aux besoins émotionnels, scolaires et psychologiques de son enfant, mais faire attention à ne pas lui mettre la pression ou le sur-stimuler. Lui servir des repas sains et faits maison. Eviter le plastique. Et le sucre. Et les couches jetables. Ne pas être trop strict, ni trop protecteur, ni trop laxiste. L’accompagner pour ses devoirs et booster sa créativité. Eveiller sa conscience écologique. Fixer des limites. Mais pas trop. Lui prévoir des activités sportives ou récréatives et des stages durant les vacances. Mais pas trop. Prendre congé pendant les examens pour le faire réviser. Mais ne pas le stresser davantage. Connaître la différence entre TikTok et Instagram. Mais réduire sa consommation d’écrans. Confectionner des cupcakes à distribuer pour son anniversaire. Mais éviter les ingrédients allergènes. Partager des photos de lui sur les médias sociaux. Ou surtout pas. Le préparer à affronter la rudesse du monde. Faire tout pour son bonheur personnel. Rester patient. Toujours.

Être parents en 1980 vs en 2020: ce qui a changé en 40 ans
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L’enfant-projet

« Etre parent est bien plus compliqué que dans les années 80 puisqu’on demande à des adultes moins disponibles de s’investir de plus en plus, explique le sociologue français Gérard Neyrand, auteur de nombreux livres sur la parentalité. On a vu se développer ces dernières années un ensemble d’injonctions sanitaires à prendre en compte et dans le même temps, l’enfant est désormais le reflet de la réalisation personnelle des parents. » Selon lui, les kids sont dès lors devenus « un projet » pour leurs aînés. Un terme que Sandro Costa Sansverino, psychothérapeute et fondateur de Parents Conscients (parentsconscients.be), un organisme de coaching parental, approuve. « Il y a trente ou quarante ans, les parents accordaient surtout beaucoup d’importance à l’avenir professionnel de l’enfant en le poussant à réussir à l’école. Aujourd’hui, il ne faut plus seulement qu’il fasse des études, mais également qu’il soit talentueux. L’éducation a changé et cette pression parentale est dangereuse pour les mômes. »

Ce glissement mène dès lors à ce que d’aucuns nomment « la parentalité intensive », les parents misant tout sur les opportunités rencontrées par leur progéniture et ses talents. « C’est un prolongement narcissique de l’adulte vers l’enfant, analyse le psychothérapeute. Mais cette attitude peut déposséder l’enfant et, une fois adolescent, il n’aura peut-être plus de projets à lui. Mais il ne faut pas généraliser, tous les parents ne sont pas comme ça! »

Être parents en 1980 vs en 2020: ce qui a changé en 40 ans
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Les parents hélicoptères

Un autre terme qualifie également, de façon assez caricaturale, l’éducation d’aujourd’hui, celui des parents hélicoptères, naviguant au-dessus de leurs mouflets et volant à la rescousse dès qu’un problème se présente. Ces parents seraient dès lors trop permissifs et protecteurs, évitant à leurs petits les frustrations, les déceptions et les obstacles… Une attitude qui ne les préparerait pas suffisamment à l’avenir et à la dureté du monde qu’ils devront affronter.

Bart Soenens, psychologue du développement à l’université de Gand, porte un regard critique sur ce concept qui mènerait au laxisme des parents d’aujourd’hui. Pour lui, il s’agit surtout d’un mythe. « La méthode d’éducation classique, autoritaire, comme nous l’avons connue dans les années 50, avec une relation de pouvoir et des punitions sévères, a certes disparu. Certains regrettent ce changement en concluant que la poigne d’antan a laissé place à ces méthodes laxistes dont le résultat se verrait en classe, avec des élèves trop bavards, etc. Ce n’est qu’un stéréotype! » Et d’expliquer que, en réalité, « la surveillance parentale ne cesse d’augmenter, les pères et mères imposant de plus en plus de limites… mais en concertation avec leurs enfants. »

La démocratie familiale

Une approche beaucoup plus démocratique donc… mais qui peut toutefois devenir compliquée pour Sandro Costa Sansverino. « Il est vrai qu’on a une plus grande horizontalité parent-enfant. Ce dernier est plus consulté qu’avant et sa place participative lui est bénéfique. Mais attention à ne pas aller trop loin. Le philosophe français André Comte-Sponville le rappelle: « La famille n’est pas une démocratie. » On doit consulter l’enfant, qui a des droits, mais pas pour tout. » Le psychothérapeute souligne d’ailleurs l’importance de ne pas confondre « autoritarisme destructeur et autorité saine ». « En fait, il faut parler de discipline positive, les mots font moins peur, dit-il. On voit parfois le « non » comme une répression. Mais le cadre sert à imposer à l’enfant un équilibre dans lequel il se sentira en sécurité et sera préparé au monde extérieur. »

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Le sociologue Gérard Neyrand abonde d’ailleurs dans ce sens: « Je ne suis pas en mesure de dire si les enfants sont trop consultés aujourd’hui mais en tous cas, ils le sont bien plus qu’avant. Et parfois, on les consulte tellement qu’ils en ont marre et se réfugient auprès de leur smartphone. En fait, on est dans une relation beaucoup plus explicative qu’avant. On explique pourquoi il ne faut pas faire ci ou ça. Je crois qu’il faut parfois réinstaurer une distance pour sécuriser l’enfant et qu’il sente ce cadre et ces limites. Mais là encore, il y a une telle diversité de situations… »

Tous pareils… ou pas

Les experts sont aussi d’accord sur un autre point: les préceptes qui, aujourd’hui, tentent de guider les papas et mamans en quête de perfection devraient mieux tenir compte des spécificités de chacun.

« Je vois beaucoup d’enfants de familles recomposées, illustre Dina Noelmans, une assistante sociale qui travaille dans le Limbourg. Les parents font de leur mieux, mais les mômes grandissent parfois dans des contextes très différents. D’un côté, ils ont telle ou telle permission et dans l’autre pas. Dans ces conditions, mettre des limites devient mission impossible. » Laura Merla, sociologue de la famille, complète: « Il y a tellement de manières différentes d’être parent aujourd’hui. On a des familles divorcées, monoparentales, homoparentales… Etre parent va moins de soi qu’avant. C’est plus complexe et donc les processus d’éducation le sont également. »

L’implication parentale est aussi à mettre en parallèle avec le contexte dans lequel le ménage évolue. « Il est évident qu’il y a des différences en fonction du niveau d’éducation, confirme Bart Soenens. Dans les familles avec un statut socio-économique plus bas, les parents sont moins impliqués. Des études ont montré que les kids auront alors moins de chances dans la vie, ce qui ne fait qu’agrandir le fossé. » Une situation encore renforcée par le fait, selon Dina Noelmans, que les couples les plus vulnérables ou avec des origines ethniques différentes trouvent rarement l’aide nécessaire, car ils rencontrent des obstacles linguistiques ou culturels supplémentaires.

Un poids, mais pourquoi?

Mais si toutes ces théories qui tendent à aiguiller, mais surtout cataloguer les parents, se doivent d’être prises avec des pincettes, pourquoi la société fait-elle peser un tel poids sur les familles?

Pour Laura Merla, cela s’inscrit dans la logique du culte de la performance. « Il y a une injonction qui pousse les gens à vouloir réussir sur tous les plans. Il existe un idéal de la réalisation de soi. » Et celui-ci passe par l’enfant. Dans cette quête de perfection personnelle, au travers de leurs mômes, certains parents associent même leur dignité aux résultats scolaires de leur progéniture, ce qui entraîne un cercle vicieux dans lequel la pression est mise sur les jeunes.

Mais pourquoi nos enfants devraient-ils s’adapter à une société visiblement problématique? Ce n’est pas de la pédagogie.

Bart Soenens va un cran plus loin et évoque le conférencier américain Alfie Kohn, qui considère que les termes comme « parents hélicoptères » sont politisés: « On les entend souvent dans des environnements de droite ou conservateurs. Et c’est vrai en Belgique aussi. Des hommes politiques comme Jean-Marie Dedecker utilisent un discours rempli de nostalgie du temps perdu, quand les parents avaient toujours de l’autorité et que les enfants ne faisaient qu’écouter. Aujourd’hui, ceux-ci seraient choyés et trop sensibles. »

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Les enfants doivent certes être prêts à affronter le monde qui les entoure, et là se trouve le rôle des parents. Mais Stefan Ramaekers, pédagogue à la KULeuven, signale que cette vision de l’éducation peut aussi être le symptôme d’un monde qui tourne mal. « Un modèle où les dépressions, les burn-out et d’autres soucis psychologiques sont fréquents. Il y a quelques années, le Conseil supérieur de la santé a proposé d’enseigner la gestion du stress dès la première primaire. Mais pourquoi nos enfants devraient-ils s’adapter à une société visiblement problématique? Ce n’est pas de la pédagogie. »

Bref, comme le conclut Sandro Costa Sansverino: « Le parent parfait n’existe pas et heureusement car ce serait malsain. Le ‘bon parent’ est celui qui se pose des questions et va chercher les réponses. Parce que même si être parents aujourd’hui est plus compliqué que dans les années 80, on est beaucoup plus aidés avec Internet et les nouveaux métiers thérapeutiques qui existent. »

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