[à publier] Dans l’appartement rétro et haut perché de Nicolas Firket

© Diane Hendrikx
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Installé au onzième étage de la tour Albert, à Forest, l’architecte Nicolas Firket a aménagé un appartement d’une grande sobriété, laissant libre cours à une vue grandiose sur la capitale. Un havre de quiétude, dans le ciel, qui le rapproche assez paradoxalement de la nature.

[à publier] Dans l'appartement rétro et haut perché de Nicolas Firket
© Diane Hendrikx

Ne vous y méprenez pas. Vivre en hauteur n’est pas pour Nicolas Firket un  » statement « , pas question pour lui de faire l’apologie de la verticalité coûte que coûte. S’il s’est retrouvé au onzième étage de cette tour Albert, dans la commune bruxelloise de Forest, ce n’est pas parce qu’il désirait habiter un gratte-ciel, mais parce qu’il fut, à l’époque, séduit par les espaces intérieurs du bien. C’est que l’édifice en brique claire, conçu en 1965 par Jacques Cuisinier – aussi auteur, dans la capitale, des tours Martini et Brusilia -, présente  » un pli  » en angle obtus dans sa façade, à l’arrière, qui génère dans l’appartement un plan peu orthogonal : la zone  » nuit  » s’y présente en diagonale des pièces de vie.  » Ce qui est intéressant, c’est que le plan doit s’accommoder à cette morphologie du volume « , observe le propriétaire des lieux, qui avant de tomber sur ce logement en avait déjà visité une trentaine d’autres, ailleurs, sans jamais faire une offre !  » Je n’ai jamais aimé les trois-pièces en enfilade typiques de notre capitale, raconte-t-il. Ce sont des endroits peu reposants dans leurs proportions car ils sont plus hauts que larges, ça donne une impression de couloir. En tant qu’architecte, je suis plutôt conditionné à l’approche moderne de l’organisation spatiale. En 2004, je suis passé plusieurs fois devant cette tour et j’étais intrigué. Je pouvais voir, à travers le dessin de la façade et des balcons, qu’il y avait une multiplicité de projets domestiques intéressants derrière.  »

La limite entre le hall et le séjour a été supprimée et le parquet prolongé pour assurer une transition, en douceur. Une forge lumineuse a été découpée, mais donne l'impression d'avoir toujours existé.
La limite entre le hall et le séjour a été supprimée et le parquet prolongé pour assurer une transition, en douceur. Une forge lumineuse a été découpée, mais donne l’impression d’avoir toujours existé.© Diane Hendrikx

Le Bruxellois ratera deux ventes dans ce building de 70 mètres de hauteur comprenant 120 logements, avant d’acquérir, en 2007, cette entité.  » Ce qui me plaisait beaucoup dans celle-ci, c’est le rapport très paisible à la vue, au travers de la grande baie vitrée du séjour. L’horizon est énorme, mais pas uniquement minéral, grâce au parc Duden entre autres. Le salon, la salle à manger et le balcon sont orientés à l’ouest et quand, le matin, le soleil est dans notre dos et éclaire ce paysage, on a l’impression que les champs du Pajottenland, au loin, viennent jusqu’ici… D’autres appartements, plus hauts, ont un caractère plus démonstratif ; le panorama est tellement spectaculaire qu’il s’impose. Là, la ville ne vous laisse jamais tranquille, vous avez toujours le nez dessus. Ici, il y a un juste équilibre.  » Et il faut avouer que, perché sur la terrasse, on ne peut qu’approuver. Alors qu’en se penchant un peu, on perçoit l’activité de ce quartier en bonne partie bâti à la fin du xixe et au début du xxe siècle, autour du très fréquenté Bar du Matin, il règne sur ce promontoire un certain calme, les bruits urbains semblent étouffés, dans un brouhaha lointain et cotonneux. A l’horizon, on reconnaît quelques grands édifices iconiques – Palais de Justice, Tour du Midi, Hôtel de Ville – mais rien de vertigineux ni déstabilisant.

Émotions naturelles

 » Même si ce n’était pas mon premier critère, cette vue est devenue importante à mes yeux, avoue l’architecte. Habiter en hauteur, ça vous permet symboliquement et sensoriellement de sortir de la ville, tous les jours, quand vous rentrez du boulot. Il y a une mise à distance apaisante. C’est une forme d’exil. La nature, le rapport artificiel que nous entretenons avec elle, me passionnent. Habiter dans le ciel, c’est paradoxalement un retour vers cette nature… par l’artificiel. Souvent, les arts et l’architecture resynthétisent des émotions d’absolu au départ naturelles. Ce balcon, c’est davantage une falaise devant un paysage.  » Et sa compagne scandinave, Sisse, de compléter :  » Ici, on voit les arbres différemment que lorsqu’on se balade en rue. On comprend l’importance de la forêt de Soignes et du Bois de La Cambre dans la capitale. Et on vit vraiment les saisons, quand les feuilles changent de couleurs ou tombent…  »

Le séjour est aménagé de façon très élémentaire, dans un esprit un peu vintage, afin de laisser la vue s'exprimer.
Le séjour est aménagé de façon très élémentaire, dans un esprit un peu vintage, afin de laisser la vue s’exprimer.© Diane Hendrikx

Face à ce panorama, le séjour s’efface et affiche une grande sobriété :  » Quand j’ai acquis cette habitation, elle était en bon état, mais dans son jus. La tour était pensée de façon moderne, mais chaque appartement avait été décoré individuellement, selon les goûts des propriétaires de l’époque. Ici, c’était plutôt rustique, voire régionaliste, avec une cheminée surmontée d’un auvent en bronze, de nombreuses cloisons, de petits carreaux de verre, avec joints en plomb, qui séparaient le vestibule en travertin du salon… Moi, je voulais retrouver l’enveloppe dure du dessin de Jacques Cuisinier, pour qu’on puisse lire, à l’intérieur, le pli de la façade. Je désirais faire un aménagement plus proche des années 60, changer les choses mais en donnant l’impression qu’elles avaient toujours été comme ça.  » C’est ainsi que le hall d’entrée et le séjour ne forment maintenant plus qu’un et sont même uniformisés au niveau du sol, Nicolas Firket ayant retrouvé un parquet similaire pour prolonger celui de la pièce principale. Un faux plafond, avec une gorge lumineuse, a aussi été créé mais semble d’origine. Quant aux châssis en bois, au profil assez fin et aux poignées métalliques datant des sixties, ils ont été conservés, et ce malgré leurs performances énergétiques médiocres.  » Il arrive pourtant qu’en hiver, je ne me chauffe pas pendant plusieurs semaines car les voisins compensent, relève l’habitant. La compacité fait qu’il ne fait jamais moins de 17 °C. Les châssis sont désastreux, la façade n’est pas isolée, mais il y a déjà une efficacité thermique.  »

La déco se limite à quelques objets, arrivés là par
La déco se limite à quelques objets, arrivés là par  » sélection naturelle « .© Diane Hendrikx

La simplicité du vide

Dans la chambre, qui bénéficie également d’une belle vue sur la ville… et la prison, on retrouve aussi cette volonté de décloisonnement. La paroi qui isolait la salle de bains a été abattue et l’architecte a conçu un petit meuble lavabo articulant les deux pièces.  » C’était assez mal fagoté et engoncé de placards. J’ai pris le risque de casser cela, souligne-t-il. Tout a été dessiné, y compris le système d’arrivée et d’évacuation d’eau par le pied de la tablette. C’est un petit travail d’intégration assez expérimental.  » Le carrelage 10 X 10 blanc fait, lui, référence à Jean-Pierre Raynaud qui a entièrement habillé son habitation d’un tel revêtement, avant de la détruire et d’en exposer des morceaux au musée. Un sol en époxy blanc renforce la luminosité.  » Le soir, quand on passe de l’est, côté chambre, à l’ouest, côté séjour, cette surface varie de couleur, du gris bleuté vers l’orangé. Cela participe à l’idée d’être en hauteur, comme un reflet du ciel.  »

Orienté à l'ouest, le salon bénéficie du coucher de soleil. A cette heure-là, les murs se parent d'un festival de couleurs.
Orienté à l’ouest, le salon bénéficie du coucher de soleil. A cette heure-là, les murs se parent d’un festival de couleurs.© Diane Hendrikx

L’ensemble du logement suit cette logique d’ouverture et de dépouillement.  » Ce qui m’intéresse, c’est la simplicité du vide, affirme le propriétaire. Je vis avec peu d’objets, j’aime ce rapport limité à la possession. Ici, ce qu’on recherche, c’est comment la vue entre dans l’espace. Cela dit, la façon dont les objets ont été mis en place est assez précise ; mais c’est plutôt par sélection naturelle, par tâtonnements.  » Une élémentarité qui pourrait toutefois évoluer dans les prochaines années, sa partenaire, antiquaire, entendant bien amener sa touche personnelle à l’endroit.  » Moi, je travaille avec les objets ; c’est très amusant de parler de ça à deux car on a une approche différente : je pars de l’intérieur et je me demande comment un meuble peut le transformer ; lui démarre de l’extérieur…  »

En lien direct avec la chambre, la salle de bains est en carrelage blanc, allusion au travail de l'artiste Jean-Pierre Raynaud.
En lien direct avec la chambre, la salle de bains est en carrelage blanc, allusion au travail de l’artiste Jean-Pierre Raynaud.© Diane Hendrikx

Alors que la visite se termine, le soleil se couche sur la ville et, de la terrasse, le spectacle est époustouflant. Tout l’espace de vie, jusque loin dans la pièce, vire à l’orange puis au mauve.  » Un spectacle qui vous relie à l’absolu et vous sort du quotidien. Certains soirs, on a l’impression d’être dans une installation d’Olafur Eliasson, comme dans son Weather Project, à la Tate Modern, à Londres « , conclut l’architecte. Le dépaysement, au coeur de la cité.

Nicolas Firket et sa compagne Sisse :
Nicolas Firket et sa compagne Sisse :  » On a une approche différente des objets : je pars de l’intérieur et je me demande comment un meuble peut le transformer ; lui démarre de l’extérieur… « © Diane Hendrikx

En quelques mots

Formé à Saint-Luc Liège puis La Cambre, à Bruxelles, le Belge Nicolas Firket (1975) a été associé dans le prestigieux bureau néerlandais OMA, de Rem Koolhaas, au début des années 2000. Il y codirigeait un  » think tank « , en charge de projets de branding pour Prada et de réflexions de stratégies urbaines notamment. En 2009, il participera au Concours pour le masterplan du quartier européen, une compétition que l’équipe remportera, même si la proposition ne sera pas retenue par la Commission.  » Là-bas, à Rotterdam, je travaillais sur des échelles amples et je ne faisais pas d’architecture, raconte-t-il. J’ai eu l’occasion de réaliser quelques commandes privées de maisons particulières, et je me suis dit que j’avais envie de construire de mes propres mains. Je me suis donc lancé.  » Très vite, le concepteur se rendra compte que son expertise sur des dossiers de grande taille mérite d’être valorisée. Mais ne désirant pas accroître son agence, il s’associera régulièrement à des bureaux internationaux pour plancher sur  » les grands chapitres du développement de la capitale « . Il est ainsi partenaire d’une structure parisienne, dans le cadre d’une mission de suivi d’une dizaine d’années sur le redéploiement du quartier du Midi. Il a travaillé sur la reconversion du stade d’Anderlecht et est à la manoeuvre pour la réalisation de 300 logements le long du canal, à côté de Tour et Taxis, dans un ancien bâtiment de la KBC.  » Il s’agit d’une opération de démolition/reconstruction. On érige trois immeubles verticaux de douze étages, qui offriront cette qualité de vie qu’on retrouve dans mon appartement… Peut-être qu’il m’a inspiré, en fait « , conclut-il, perché sur sa terrasse du onzième étage de la tour Albert, à contempler cette ville qu’il perçoit de là comme une grande maquette en évolution constante.

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