Visite d’une maison Art Déco conçue par l’architecte Jacques De Weerdt, métamorphosée en cocon familial

Dans le salon télé au premier étage trône un grand canapé modulaire vieux rose Tufty-Time de B&B Italia. L’œuvre d’art a été achetée par Dominique et Matthias lors d’un voyage en Afrique du Sud. La télé est subtilement dissimulée dans l’authentique cheminée en marbre. © Hannelore Veelaert

Avec le postmodernisme, l’Art nouveau est l’un des courants architecturaux les plus contraignants du XXe siècle. Dominique et Matthias prouvent que l’on peut transformer une telle demeure en une maison de famille agréable à vivre tout en respectant le patrimoine… en partant d’une page blanche.

Des ondulations gracieuses, de grands vitraux remplis de fleurs colorées, des sols en mosaïque aux multiples dessins, des balcons exubérants, des peintures murales féeriques, des moulures aux plafonds… Ceux qui ont déjà visité une maison Art nouveau – comme le Musée Horta à Bruxelles – savent qu’un tel endroit n’est pas des plus apaisants pour l’œil.

L’impressionnante façade avec notamment un balcon couvert et au-dessus une mosaïque représentant le soleil et les étoiles, qui renvoient à la commanditaire Stella Tolkowsky.

Où que l’on pose le regard, il y a quelque chose à voir. C’est impressionnant, mais est-ce agréable à vivre pour autant? Posez la question à Dominique Schroijen et Matthias Laqueur, et ils vous répondront oui sans hésiter.

Voici deux ans et demi, ils ont acheté un bâtiment Art nouveau à Anvers dont ils ont fait une maison tout confort pour leur famille, comprenant une grande cuisine ouverte avec vue sur le jardin. Mieux encore: ils l’ont remplie de meubles design et d’art moderne… sans que ça ne jure.

Dans le coin salon côté rue, le couple a associé l’authentique feu ouvert en métal à une banquette jaune ocre Sesann de Tacchini et une table basse multicolore des Anversois de Nortstudio.

Alors qu’à Bruxelles les perles d’Horta et consorts sont éparpillées un peu partout, à Anvers, les édifices Art nouveau sont concentrés dans le quartier de Zurenborg, près de la gare de Berchem. Tout fan d’architecture a déjà admiré les époustouflantes façades du triangle d’or formé par la Transvaalstraat, la Waterloostraat et le Cogels-Osylei. «Des amis qui habitent dans le coin nous ont parlé de ce bâtiment, que nous sommes allés visiter le jour même, raconte Dominique. Nous étions absolument sous le charme, mais j’hésitais. Je trouvais ça trop grand. Heureusement, Matthias a réussi à me convaincre de faire une offre. Une maison de ce genre, avec un jardin et dans ce quartier, c’était une chance unique qu’on ne pouvait pas laisser filer.»

Un mélange réussi

D’emblée on ne peut qu’admirer la façade en pierre naturelle, abondamment ornée de fleurs en relief, d’un balcon couvert et, tout en haut, d’une mosaïque représentant le soleil et les étoiles. Un clin d’œil à la première propriétaire, Stella Tolkowsky. Cette riche héritière d’une famille de diamantaires russes a commandé cette maison en 1906 – elle avait alors 17 ans et était célibataire – à l’architecte Jacques De Weerdt, un disciple d’Horta, qui a conçu de nombreuses bâtisses de ce quartier, notamment la fameuse demeure Les Mouettes, dans la Waterloostraat.

La table organique d’Armand & Francine est entourée de chaises Heart du designer danois Hans Wegner. Le couple trouvait le lustre Art nouveau d’origine trop exubérant. A sa place est arrivée une suspension Lyndon d’Oluce: une création de Vico Magistretti de 1977. Le parquet est authentique. © Hannelore Veelaert

Une fois passée la porte d’entrée ornementée, on est tout de suite frappé par tout ce qui a été conservé: les sols en marbre, le parquet, les portes intérieures, les lampes, les cheminées, les moulures des plafonds, la coupole en vitrail. Même les poignées de portes sont encore d’origine. Mais tous ces éléments patrimoniaux n’ont pas empêché le jeune couple de faire des choix contemporains pour leur intérieur. Dans le salon, on repère ainsi un sofa Sesann jaune ocre de Tacchini à côté d’une table basse multicolore de Nortstudio et d’une étagère murale Kaari de la marque finlandaise Artek. Au-dessus de ce design du XXIe siècle est suspendu le lustre en laiton originel et son verre taillé.

Une page blanche

Comment ont-ils réussi ce mélange? «A vrai dire, nous sommes en partie redevables à l’ancien propriétaire. Il a complètement rénové cette maison mais n’a finalement jamais habité ici à cause d’une séparation, explique Matthias. Il a abordé cette rénovation de manière assez brutale, en recouvrant de blanc tous les plafonds et les murs. Des peintures murales entières, des plafonds polychromes décorés à la feuille d’or et des piliers peints en imitation marbre ont ainsi disparu sous une couche de peinture. On n’aurait jamais osé quelque chose d’aussi radical. Mais en même temps on lui en est reconnaissants. Parce que cette page blanche nous a permis d’imprimer notre propre marque.»

La salle de bains semble authentique mais a été complètement rénovée il y a quinze ans. L’ancien propriétaire est même allé jusqu’en Angleterre pour trouver les sanitaires appropriés. Le sol en mosaïque est lui d’origine

Mais ce n’était pas si simple. Au départ, le couple a bataillé sur le mobilier, comme l’explique Dominique: «Auparavant nous habitions dans une petite maison de rangée. Presque tous nos meubles sont restés là parce que nous louions déjà meublé. Et ce qu’on a quand même emporté avec nous était beaucoup trop petit. Les plafonds sont ici à plus de 4 mètres de hauteur. Au début on s’asseyait littéralement sur des chaises de camping. Et au moment où on a voulu acheter du mobilier, la Belgique a connu son premier confinement. Pas de chance, mais a posteriori ce n’était pas si mal. Parce que grâce à ça on a pu réfléchir plus longtemps et plus en profondeur à ce qu’on voulait.»

Pendant des mois, ils ont louvoyé entre des pièces anciennes qui collaient à la maison et un aménagement plus contemporain. Quand ils n’ont plus su comment s’en sortir, ils ont fait appel à l’architecte d’intérieur Sam Peeters de Studio Contekst. Il leur a notamment conseillé le grand canapé modulaire vieux rose Tufty-Time de B&B Italia qui se trouve dans le salon télé. La lampe en forme de nuage Nuvola de la marque italienne Nemo a, elle aussi, été achetée par le couple sur ses recommandations. «Un chouette clin d’œil aux grappes de raisin présentes dans les moulures», fait remarquer Dominique. Accompagnés par l’expert, ils ont découvert leur propre style: très coloré et dominé par des formes graphiques. «Ça fait un peu style Memphis, mais d’aujourd’hui», confie Matthias.

Déroutante cuisine

L’ancien propriétaire a également construit une annexe à la cuisine, avec deux grandes coupoles pour la lumière. Une intervention plutôt contemporaine. Mais grâce à l’intégration de la porte extérieure d’origine, l’ensemble a l’air assez authentique. «C’est un endroit très lumineux et on a ici une chouette connexion avec le jardin, explique Dominique. En fait, une grande partie de notre vie de famille se déroule dans cet espace. Aussi parce qu’on a créé nous-mêmes un passage fluide avec l’arrière-cuisine, où se trouve maintenant la salle de jeux de nos enfants, Odette et Theo.»

Il y a juste l’imposante cuisine noire qui pique un peu les yeux dans cette pièce. «On n’aurait jamais fait ça, avance Matthias. Certainement pas dans une maison de ce genre. On a envisagé un temps de la remplacer, mais ce serait trop bête. Elle n’a littéralement jamais servi, du plastique recouvrait encore les armoires. Mais on aimerait la changer un jour. Dries Otten peut s’attendre à recevoir un coup de fil de notre part, on adore son travail.» On est curieux de voir comment celui-ci fera rimer Art nouveau et style Memphis…

EN BREF Jacques De Weerdt
– Il est né en 1867 à Malines.
– Il s’installe à Anvers et travaille d’abord dans le style traditionnel.
– A partir de 1904, il commence son style Art nouveau, inspiré par Horta.
– Il est très productif, réalisant notamment des dizaines de maisons dans le Zurenborg. Ses bâtiments les plus connus sont Les Mouettes (1905), au numéro 39 de la Waterloostraat, et la Maison Quinten Matsijs (1904), au 80 du Cogels-Osylei.
– Il fuit la Première Guerre mondiale à Rotterdam mais signe peu de nouvelles constructions après la guerre.
– Il décède en 1942.
– Son œuvre fera prochainement l’objet d’un livre par Alex Elaut, guide pour la Ville d’Anvers et spécialiste du patrimoine.

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