Sobriété numérique: place à la diète virtuelle

© Gudrun Makelberge
Mathieu Nguyen

Vous avez déjà troqué votre volant pour un guidon, adopté le zéro déchet et rationalisé vos déplacements en avion ? Le temps est venu de vous pencher sur un autre aspect de votre consommation énergétique : pour 2020, on vise moins de stream et moins de clics. Place à la diète virtuelle. Mais comment ?

Avant toute chose, un rapide rappel de l’évidence : l’omniprésence des écrans et l’hyperconnexion touchent toutes les strates de la société. Smartphones, tablettes, portables, montres et autres bibelots connectés ont pris d’assaut notre temps de cerveau disponible, et leur offensive gagne du terrain sur notre quotidien. Pire : nombre d’entre nous en sont parfaitement conscients, mais ne parviennent tout simplement pas à lâcher leur foutu gadget technologique… malgré l’urgence. L’Organisation Mondiale de la Santé considère en effet la cyberdépendance comme une maladie, et l’on peut certainement s’attendre à voir la définition élargie aux pathologies liées à l’hyperconnectivité d’ici quelques années. Ce qui était au départ une question de savoir-vivre – rappelez-vous l’étiquette plutôt stricte qui accompagnait l’usage des premiers GSM – n’a mis qu’une décennie pour devenir un problème de santé publique. Maux de tête ou de cou, stress accru et sommeil perturbé, quand ce n’est pas la concentration ou la créativité qui en font les frais : nos chers téléphones nous font payer leur utilisation intensive au prix fort.

En ces temps de transition écologique, on imagine qu’un paquet d’abonnés s’offusquerait de savoir qu’il fait tourner des centrales à charbon en regardant Netflix.’

La menace fantôme

Pour ne rien arranger, un coût supplémentaire vient s’inviter dans l’équation : le coût écologique. A la source, bien sûr, car l’on sait déjà très bien que la fabrication de nos terminaux miniaturisés mobilise des ressources rares et génère une importante pollution. Mais une autre raison fait de nos précieux smartphones une catastrophe pour l’environnement : la consommation d’énergie par leur biais de contenus numériques, source de nuisances aussi alarmantes qu’insoupçonnées. Pourquoi, comment ? La réponse est à chercher dans nos usages compulsifs et la toute-puissance actuelle du format vidéo. Des sites, services, applications que nous utilisons tous les jours découlent des monceaux de données à héberger et traiter, ce qui entraîne d’énormes demandes en énergie. Sur le podium : le streaming, les réseaux sociaux… et le porno. D’après Greenpeace, qui tient tout cela à l’oeil depuis 2009, malgré leurs promesses, pas mal de géants du secteur traînent à verdir leur manière de faire. L’impulsion salutaire viendra donc, peut-être, des consommateurs eux-mêmes. En ces temps de transition écologique, on imagine qu’un paquet d’abonnés s’offusquerait de savoir qu’il fait tourner des centrales à charbon en regardant Netflix.

Sobriété numérique: place à la diète virtuelle
© Gudrun Makelberge

Si le dernier rapport de Greenpeace sur le sujet date de 2017, d’autres se sont chargés de mettre à jour les données, comme le Shift Project, think tank international dédié à la transition carbone. Et le bilan ne souffre aucune contestation, il est temps de freiner cet incontrôlable trafic, dont la pollution égalerait celle de l’aviation civile. Après le  » flygskam « , la honte de prendre l’avion, va-t-on assister à l’émergence d’une culpabilité relative à la boulimie virtuelle ? Ce n’est pas impossible, vu la gravité du constat. Chargé de mission pour la Ligue de l’Enseignement, Adrien Plomteux est actuellement investi dans le projet européen Conscience numérique durable, dont la mission est d’informer les citoyens sur les enjeux environnementaux et sociaux liés à ces technologies.  » On est à peu près à 4% des émissions mondiales, nous dit-il, soit autant que tous les véhicules légers, et à peu près autant que l’aviation. D’ici à 2025, on estime qu’elles atteindront 6 à 9%, ce qui est considérable quand on sait que l’agriculture compte pour 15 à 20% et le total des transports à 14%. Ça doit donc devenir une préoccupation. Mais avant de changer, le problème, c’est qu’il faut savoir ce qu’on doit faire. Or, on ne comprend pas encore bien ce qu’est le numérique. Même les experts ne sont pas toujours d’accord entre eux, notamment parce que les entreprises impliquées refusent de communiquer leurs données, ce qui empêche de mesurer l’impact exact.  »

Les pistes pour commencer

Une chose est sûre : si de plus en plus de littérature et d’outils (lire par ailleurs) existent pour nous aider à décrocher, ces efforts resteront vains si l’on n’assiste pas à une grande prise de conscience, suivie d’un changement des mentalités. Avec un peu de chance, d’ici quelques années, laisser son smartphone connecté en permanence nous paraîtra aussi absurde que d’ouvrir un robinet ou allumer la TV jour et nuit.  » Au niveau environnemental, le streaming est bien plus problématique que ça, rappelle néanmoins Adrien Plomteux. On lit souvent qu’il faudrait éteindre son PC au lieu de le mettre en veille, utiliser un moteur de recherche plutôt qu’un autre ou supprimer ses e-mails. D’accord, mais l’effet sera très, très minime. Le fait d’éliminer des milliers d’e-mails équivaut à peine à quelques secondes de vidéo. Attention à ne pas se donner bonne conscience avec des gestes qui ne servent pas à grand-chose. Mieux vaut essayer de garder son GSM plus longtemps et oser remettre en cause ses habitudes d’utilisation. Est-ce qu’on est obligé de binge-watcher Netflix toute la journée et de passer de longues soirées sur des jeux vidéo ? Il va falloir se poser ces questions « , recommande Adrien Plomteux.

Sobriété numérique: place à la diète virtuelle
© Gudrun Makelberge

Si nos comportements sont souvent visés en premier, la réflexion concerne aussi les équipements, avec des recommandations plus inattendues, comme le fait de réduire le nombre d’écrans plats, pour leur préférer des lunettes de réalité virtuelle ou des projecteurs LED ou, dans un autre ordre d’idées, contraindre les fabricants à ouvrir leurs interfaces de programmation afin de favoriser la mutualisation du hardware plutôt que sa prolifération. Et ensuite ? Une évaluation en temps réel de l’empreinte écologique de notre consommation ? L’émergence d’hébergeurs zéro carbone, une écolabellisation des contenus, des écotaxes d’un genre nouveau, des quotas ?  » Ça va être compliqué à mettre en place, tempère Adrien Plomteux, mais il faudra peut-être effectivement en arriver à fixer des restrictions. Peut-être à la quantité de données qu’on peut transférer, à l’utilisation de la 4G. Graduellement. Je ne suis même pas sûr que ce soit la meilleure idée, mais pour le numérique comme pour toute autre chose, puisque la planète a elle-même des limites, il est peut-être bon de se demander si nos usages ne devraient pas être limités aussi.  »

En bref : maîtrise et sélectivité. Et fini l’insouciance numérique. Parce que, en additionnant l’aspect environnemental à l’argument santé, on aboutit tout de même à un paquet de raisons en faveur de l’exploitation raisonnée de nos précieux smartphones. Vous cherchiez un nouveau défi en ce mois de bonnes résolutions ? Le voici ! Et si vous ne le faites pas pour votre propre bien-être, faites-le pour celui des autres, ils vous en remercient.

Chiffres

100

A eux seuls, Netflix et Disney émettraient plus de 100 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de ce que produit un pays comme le Chili (18 millions d’habitants).

97 %

des ménages belges avec enfants sont connectés à Internet.

4,2 %

Au niveau mondial, l’empreinte du numérique représente 4,2% de la consommation d’énergie et 3,8% des gaz à effet de serre, soit davantage que l’aviation civile.

80 %

Le streaming compte pour 80% de la pollution liée à Internet.

Détox : Google s’en mêle…

On connaissait déjà les bars et restaurants  » no fi zone  » pour encourager les conversations, même chose pour les hôtels sans Wi-Fi prônant la déconnexion. On avait reçu les conseils de ceux qui recommandent le retour à la montre au poignet, au radio-réveil et au bon vieux GSM d’antan, et même lu les nombreux ouvrages consacrés au sujet. Ce qui est plus nouveau, c’est l’arrivée fin 2019 d’outils fournis par les géants de la tech’. Et à ce petit jeu, c’est Google qui a été le plus actif, en sortant une série d’applis programmées pour nous aider à décrocher : Unlock Clock, qui renseigne le nombre de déverouillages par jour, Desert Island, qui propose de restreindre l’accès à certaines applis dispensables, WeFlip, une interface de déconnexion collective, Post Box, qui regroupe les différentes notifications, et même un Paper Phone, petit carnet renfermant les infos dont nous avons  » réellement besoin « . Autant d’initiatives censées nous convaincre que la Silicon Valley se soucie subitement du bien-être de ses utilisateurs, après avoir déployé des moyens colossaux pour les rendre accros.

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